#FactCheck. L’Allemagne a-t-elle vraiment décriminalisé la possession de pédopornographie ?
Auteur : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Lili Pillot, journaliste
Source : Compte Facebook, le 24 mai 2024
L’Allemagne n’a pas décriminalisé la possession ou distribution d’images pédopornographiques à proprement parler. Elle a partiellement assoupli une loi de 2021 qui empêchait la justice d’adapter les peines de façon appropriée.
“Quelle autre raison l’Allemagne aurait-elle de décriminaliser la possession de pédopornographie, si ce n’est le fait qu’il s’agit d’un pays dirigé par des pédophiles ?” Cette accusation en forme de question rhétorique a au moins le mérite d’être claire : l’internaute accuse les décideurs allemands de faciliter l’accès à la pédopornographie (et ce, pour leur propre plaisir).
Pour dénoncer cette facilitation aux “atteintes à l’intégrité physique” des enfants en Allemagne, l’internaute partage une chronique, appelée “Tipping Point”, de Kara McKinney, une animatrice de la chaîne ultraconservatrice américaine One America News.
La présentatrice américaine se base sur un article du journal non-moins conservateur, Daily Caller, fondé par l’éditorialiste Tucker Carlson. Elle y explique que le Parlement allemand, le Bundestag, a “désormais assez de voix” pour reclasser la possession de pédopornographie comme un “délit mineur” plutôt que comme un “crime grave”.
Assouplissement de la loi
Alors oui, le Parlement allemand a en effet adopté un projet de loi proposé par le gouvernement fédéral, le 16 mai 2024, concernant la pédopornographie. La peine minimale, fixée à un an, a été abaissée à six mois et trois mois selon les cas, mais les peines maximales ont été conservées.
Pour Jocelyne Leblois-Happe, spécialiste en droit pénal comparé franco-allemand, le terme de décriminalisation n’est pas adapté car il est souvent compris comme “le fait de cesser d’interdire sous menace de peine un comportement donné“. “Le projet est d’atténuer la répression de la diffusion, l’acquisition et la possession de contenus pornographiques pour la rendre plus juste, plus proportionnée à la gravité effective des faits constatés“, précise Jocelyne Leblois-Happe. Cet assouplissement de loi a été mis en place pour éviter un embouteillage de cas non pertinents, et non pas dans le but de tolérer ou d’autoriser ces agissements comme le laisse entendre la chronique partagée sur les réseaux sociaux.
En juillet 2021, le Bundestag (à l’initiative du gouvernement) avait durci la loi : quiconque possédait des images de maltraitance d’enfants, et/ou les diffusait, s’exposait à de plus lourdes sanctions. Minimum un an, maximum quinze ans. Ce qui était auparavant un “délit” était alors désormais considéré comme un “crime“. “En droit allemand, c’est la peine minimale qui détermine la qualification de l’infraction, explique Julien Walther, spécialiste en droit pénal comparé franco-allemand. Si la peine minimale est d’un an au moins, l’infraction est automatiquement qualifiée de ‘crime’ et non plus de ‘délit’.”
Cette distinction de gravité de l’infraction est importante, car dans le cas d’un crime justement, les tribunaux ne peuvent pas suspendre les procédures. “Il s’agit du principe de légalité des poursuites, détaille Julien Walther. Si l’infraction est avérée et qu’il s’agit d’un ‘crime’, le ministère public est dans l’obligation de poursuivre.”
Et c’est bien cela qui a posé un problème avec la loi de 2021. Toute personne qui recevait des images à caractère pédopornographique pouvait être concernée par la loi et poursuivie pour un crime. C’était le cas, par exemple, d’un parent inquiet d’une image que recevait son enfant et qui la partageait ensuite sur un groupe de parents d’école dans le but d’alerter sur la circulation de ce genre d’images. Pire, si les autres parents n’effaçaient pas immédiatement les images, ils se rendaient, eux aussi, responsables d’un “crime”.
C’était également le cas pour les adolescents, prévient Julia von Weiler, psychologue et directrice d’une association allemande de lutte contre les abus sexuels infantiles, Innocence en danger. “Imaginons que deux adolescents de 13 et 14 ans en couple s’échangeaient des photos intimes. Le plus âgé pouvait être tenu responsable de ses actes et la police était obligée d’enquêter.” Selon Julia von Weiler, ces cas “moins graves” remplissaient les bureaux des forces de l’ordre qui n’avaient plus assez de temps pour les cas les plus sévères.
Un an de prison, même pour les mineurs ?
Obligation, donc, pour le ministère de poursuivre toutes ces personnes avec une peine minimum établie à un an. De quoi ralentir la Justice allemande à en croire le gouvernement qui a donc choisi de modifier la loi. “La proportionnalité de la peine minimale d’un an d’emprisonnement est particulièrement discutable si l’accusé n’a manifestement pas agi dans un but pédocriminel”, détaille par mail le porte-parole du ministre de la Justice allemand aux Surligneurs.
Le changement de loi voté au Parlement, le 17 mai 2024, a donc pour ambition de permettre à la justice de réagir de façon proportionnée, explique le ministère. “Une rétrogradation en délit est également nécessaire de toute urgence afin de pouvoir traiter la grande proportion de jeunes délinquants de manière appropriée et avec la flexibilité nécessaire.”
Si Julia von Weiler soutient cette différenciation, elle dénonce un empressement. “Ils s’étaient précipités sur la loi de 2021, ce qui a créé les problèmes que l’on connait à l’heure actuelle. Et aujourd’hui encore, ils se sont précipités pour faciliter la vie des forces de l’ordre et de la justice. Mais pour les enfants, il aurait été plus intéressant d’inscrire dans la loi la différenciation entre les délinquants en fonction de l’âge et de la volonté.”
Quoi qu’il en soit, la réduction des peines n’a été abaissée que pour les crimes les moins sévères. Ainsi, les peines minimales ont été, respectivement, abaissées à six mois et trois mois pour la diffusion et l’obtention d’images pédopornographiques. Les peines maximales, elles, rendues plus sévères avec la réforme de 2021, seront conservées.
C’est pourquoi l’affirmation de l’animatrice de télé américaine qui dénonce une “décriminalisation” est très simplifiée et trompeuse. Quand elle dénonce un supposé laxisme de la loi, elle saute rapidement sur des raccourcis : en vrac, elle mélange l’extrême gauche, l’éducation sexuelle, la pédophilie et l’immigration. Il est souvent plus facile d’accuser que de vérifier.
Mis à jour le 3 juin 2024 à 10:13, ajout des citations de Jocelyne Leblois-Happe.
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