Israël-Hamas : pourquoi la CPI peut poursuivre Netanyahou

Benjamin Netanyahu aux Nations Unies, le 27 septembre 2024. Crédit : Charly TRIBALLEAU / AFP
Création : 22 mai 2024
Dernière modification : 22 novembre 2024

Clotilde Jégousse, journaliste

Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé en droit public au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Contrairement à ce qu’affirment les États-Unis, la Cour pénale internationale a bien juridiction sur Israël, même si le pays n’a pas ratifié le statut de la Cour. Dans le cadre, des mandats d’arrêt émis mercredi 21 novembre 2024 par la CPI, ni le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, ni son ex-ministre de la défense, Yoav Gallant, ne bénéficient d’immunité.

Alors que la Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt, mercredi 21 novembre 2024, contre le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, et son ex-ministre de la défense Yoav Gallant, nous republions dans son intégralité notre article sur la compétence de la CPI sur les dirigeants d’Israël et du Hamas publié à l’origine le 22 mai 2024.

 

La vision américaine est claire : “La CPI n’a aucune compétence sur cette affaire”. C’est avec cette déclaration que le chef de la diplomatie américaine Anthony Blinken a accueilli la demande de mandat d’arrêt formulée lundi 20 mai par le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) contre les dirigeants du Hamas et d’Israël. 

Lors d’une allocution télévisée, Karim Khan, ancien avocat britannique en poste à La Haye depuis 2021, a expliqué avoir “de bonnes raisons de penser” que la responsabilité pénale des deux camps pourrait être engagée pour crime contre l’humanité et crime de guerre. Côté Hamas, il reproche à Yahya Sinwar (chef du Hamas à Gaza), Mohammed Diab (commandant de sa branche militaire) et Ismail Haniyeh (chef de son bureau politique), la “prise d’otage d’au moins 245 personnes”, des “viols et autres formes de violences sexuelles”, ainsi que des actes de “torture” et des “traitements cruels”. Côté israëlien, il soupçonne Benjamin Netanyahou et Yoav Gallant “d’affamer délibérément des civils” – Israël bloque notamment l’acheminement de vivres à Rafah – et de “diriger intentionnellement des attaques contre la population civile”.

Il ne s’agit pour l’instant que de demandes de mandats d’arrêt, que les juges de la chambre préliminaire de la Cour pourront rejeter en partie ou en intégralité. Toutefois, s’ils estiment que les conditions sont réunies pour que ceux-ci soient délivrés, les dirigeants d’Israël et les chefs du Hamas devront bien répondre de ces accusations.

La Palestine, État partie à la CPI

Pour contester la légitimité de la Cour, le secrétaire d’État américain s’appuie sur l’absence de reconnaissance de celle-ci par Israël. En effet, si l’État hébreu a signé le Statut de Rome en 2000, il ne l’a jamais ratifié. Il ne lui a donc jamais conféré le pouvoir de juger les crimes les crimes internationaux de génocide, de crime contre l’humanité, crime de guerre et crime d’agression, concernant sa population ou son territoire. Néanmoins, la Palestine a, elle, bien adhéré à la CPI. En 2015, elle a demandé à l’Assemblée de ses États parties – son organe délibérant – de lui reconnaître le statut d’État, uniquement dans le cadre de cette juridiction, pour pouvoir le faire.

L’article 12 du Statut de Rome précise que la Cour peut juger les crimes commis sur le territoire d’un État qui a accepté sa compétence, et les crimes commis par le ressortissant d’un État qui est partie au Statut. “La Cour est donc compétente pour tous les crimes internationaux commis sur le territoire de la Palestine, ou par les ressortissants palestiniens en Israël”, explique Mathilde Philip-Gay, professeure de droit public à l’université Jean Moulin Lyon 3, spécialisée sur la justice pénale internationale. 

Pas d’immunité, et obligation de livrer les personnes recherchées

En plus de ces critères, les détracteurs de la CPI pourraient être tentés d’invoquer la carte de l’immunité personnelle des chefs d’État en exercice. Là encore, elle ne tient pas : l’article 27 du Statut de Rome, intitulé “Défaut de pertinence de qualité officielle”, dispose que Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne”. Selon Aude Brejon, docteure en droit public et chercheuse au Centre de recherche sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire (CRDH), “cela écarte toute possibilité d’immunité pour un chef d’État”. 

Benjamin Netanyahou et son ministre de la Défense – qui sont les seuls représentants étatiques visés par la demande de mandat d’arrêt – pourraient donc être tenus responsables. Si le mandat d’arrêt est effectivement lancé, les 123 pays parties au Statut de Rome, dont la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, seraient d’ailleurs dans l’obligation d’arrêter et de livrer le Premier ministre israélien à la justice internationale s’il se trouvait sur leur territoire. L’article 89 du Statut de la Cour prévoit en effet que Les États Parties répondent à toute demande d’arrestation et de remise conformément aux dispositions du présent chapitre et aux procédures prévues par leur législation nationale”. 

En pratique, la remise d’un dirigeant reste subordonnée à des négociations politiques et prend du temps. Omar el-Béchir, resté trente ans à la tête du Soudan, fait toujours l’objet de mandats d’arrêt, émis en 2009 et 2010 pour crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide au Darfour. Il était notamment passé en Afrique du Sud – partie au Statut de Rome – en 2015, sans y être arrêté, ce qui avait valu au pays de devoir s’expliquer en audience devant la CPI. Ce n’est que deux ans après son renversement, en 2021, et d’âpres négociations, que le Soudan a annoncé son intention de le livrer à la justice internationale. 

Certes, le Premier ministre israélien ne figurera sans doute pas immédiatement sur le banc des accusés. L’émission d’un tel mandat compliquerait toutefois considérablement les déplacements et les relations diplomatiques d’un dirigeant déjà fragilisé depuis l’attaque du 7 octobre.

 

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