Oui, la baisse de la pollution de l’air aggrave le réchauffement climatique, mais attention aux déductions hâtives
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à Paris II Panthéon-Assas
Source : Compte Facebook, le 16 avril 2024
Bonne nouvelle, grâce à des efforts réglementaires, nos émissions de particules fines ont baissé. Mauvaise nouvelle, l’effet réfléchissant et donc “refroidissant” de ces particules a aussi diminué. Sur les réseaux sociaux, dans un méli-mélo d’infos vraies et de conclusions fausses, certains internautes se sont emmêlé les pinceaux.
Utiliser des études scientifiques pour appuyer son propos, c’est bien. Les lire en entier, c’est mieux. Dans un post publié sur Facebook le 16 avril 2024, un internaute prétend révéler une mauvaise nouvelle “carrément dérangeante” qui remettrait en cause le “narratif carbone” utilisé pour “extorquer de l’argent aux entreprises et contribuables”.
“La baisse de la pollution à l’échelle de la planète aggrave le réchauffement climatique”, peut-on lire. Et c’est là où la chose est intéressante, car cette affirmation, aussi contre-intuitive puisse-t-elle être, est vraie. En revanche, l’internaute, sûr de lui, tire de cette vérité scientifique l’idée que l’activité industrielle humaine “n’y est pour rien [dans le réchauffement climatique]”. Cette conclusion est, elle, tout à fait fausse et aux antipodes des résultats des études sur lesquelles il dit s’appuyer.
Une pollution en baisse aggraverait le réchauffement climatique ? L’info est assez inquiétante et difficilement compréhensible pour qui n’est pas à l’aise avec les propriétés chimiques et les interactions climatiques. Donc, pour bien comprendre, il faut expliquer le mécanisme scientifique que développe, plutôt correctement d’ailleurs, l’internaute.
Plus de particules, moins de radiations
De quelle pollution parle-t-on ? Dans l’atmosphère terrestre, on trouve des aérosols. Ce terme, très générique, désigne tout simplement des particules fines (moins de 2,5 μm) solides ou liquides en suspension dans l’atmosphère. “Il existe de nombreuses sortes de particules”, développe Pierre Nabat, chercheur en modélisation du climat à Météo-France. “Certaines comme les poussières désertiques peuvent être d’origine naturelle, et d’autres sont d’origine anthropique et spécifiquement dues aux activités industrielles.” Parmi ces aérosols d’origine industrielle, on retrouve majoritairement du sulfate, mais aussi des particules de carbone-suie et des nitrates.
Si elles ne restent pas très longtemps dans l’air (quelques jours à quelques semaines selon leurs profils et l’altitude à laquelle elles ont été émises), ces petites particules en suspension jouent sur la température. Cela s’explique : les radiations émises par notre soleil vont être réfléchies, en partie, par les aérosols présents dans l’air. Ainsi, plus les particules sont nombreuses, moins les radiations du soleil pourront pénétrer dans l’atmosphère.
Pour être encore plus précis, les particules fines jouent aussi un rôle dans la formation des nuages. Plus il y a de particules en suspension dans l’air, plus il y aura de gouttelettes dans les nuages, et donc plus les nuages seront clairs. Conséquence : des nuages plus blancs réfléchissent, eux aussi, mieux la lumière du soleil.
“Certaines de ces particules comme le carbone-suie ont un pouvoir absorbant et donc ‘réchauffent’ l’atmosphère, précise Pierre Nabat de MétéoFrance. Mais globalement, l’effet ‘refroidissant’ des aérosols d’origine humaine comme les sulfates est celui qui domine.”
Or, au début de l’ère industrielle, le nombre de particules anthropiques a fortement augmenté, comme l’explique Annica Ekman, professeure de météorologie à l’université de Stockholm. “L’augmentation a vraiment commencé dans les années 50 en Europe et en Amérique du Nord. Il y avait énormément de particules dans l’air, et c’est à partir des années 80, qu’on a pris des mesures pour diminuer l’émission de ces particules.” En effet, c’est à cette époque que l’on comprend les conséquences des aérosols sur la santé et l’environnement. Inhaler des particules fines provoque des problèmes de respiration et impacte les poumons et le cœur notamment.
Baisse dans une région et hausse dans l’autre
Dès les années 80, en Europe et en Amérique du Nord, on assiste à une diminution importante des aérosols. Pour autant, à l’échelle mondiale, cela ne se voit pas pour la simple raison que d’autres pays entament leur révolution industrielle. En Asie, la Chine, notamment, prend le relais pour devenir le leader dans l’émission d’aérosols.
La prise de conscience dans certains pays asiatiques se fait plutôt aux alentours des années 2010, date à laquelle on observe une diminution progressive des aérosols à l’échelle mondiale. Mécaniquement, le phénomène physique en question — le réfléchissement des radiations du soleil — diminue lui aussi. Moins de réfléchissements, c’est plus d’énergie et donc de chaleur qui arrive jusqu’à la Terre.
Jusqu’ici, notre internaute a eu juste. C’est factuel : la baisse de la pollution de l’air aggrave le réchauffement climatique. Là où le bât blesse, c’est que les termes du post sont peu précis et, in fine, trompeurs. “De quelle pollution parle-t-on ? Il semble qu’il y a une confusion entre la pollution de l’air due aux aérosols et les gaz à effets de serre qui sont deux choses bien différentes”, analyse Øivind Hodnebrog, météorologue au CICERO (Center for International Climate Research d’Oslo) qui vient de publier dans la revue Nature une étude sur le sujet.
Pour éviter cette fameuse confusion, reprenons à la base. Les gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone et le méthane par exemple, sont, comme leur nom l’indique, des gaz (contrairement aux aérosols qui sont des particules solides ou liquides). Ces gaz ont la particularité d’entraîner le phénomène d’effet de serre, mais ce ne sont pas des polluants directs de l’air.
Dire que les gaz à effet de serre sont une pollution de l’air est, au mieux, un raccourci, au pire, une erreur. Mais notre internaute n’est pas le seul à se mélanger les pinceaux. Il faut dire que les gaz à effet de serre et les aérosols sont parfois émis par les mêmes activités. La combustion d’énergies fossiles pour le transport, par exemple, provoque l’émission de CO2, mais aussi de particules fines. La confusion pourrait bien venir de là.
Si ces activités émettrices n’ont pas baissé, il y a eu des progrès techniques pour diminuer l’émission d’aérosols. “Il est possible de réduire la production de particules grâce à une meilleure combustion ou encore de supprimer les émissions de composés soufrés au niveau des cheminées d’usine, développe Olivier Boucher, climatologue à l’Institut Pierre-Simon Laplace. Mais ces technologies n’ont pas d’incidence sur les émissions de gaz à effet de serre, cela ne diminue que les émissions de particules fines.”
Pas question non plus de décréter qu’il faudrait raugmenter l’émission d’aérosols d’origine humaine pour compenser le réchauffement climatique. Tout d’abord, la part de refroidissement que provoquaient les émissions d’aérosols d’origine humaine ne suffit pas à compenser le réchauffement climatique dû aux gaz à effet de serre.
Même s’il est difficile de quantifier ces ratios, la réduction des aérosols constitue près de 40 % de la chaleur supplémentaire observée du système climatique durant ces deux dernières décennies, selon l’étude de Øivind Hodnebrog et de ses collègues. “Le phénomène dominant responsable du réchauffement climatique est bien l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre”, rappelle le météorologue norvégien. D’autre part, les aérosols sont un véritable enjeu de santé publique. Il s’agirait de ne pas choisir entre la peste et le choléra.
“Nous voyons le véritable réchauffement climatique”
Alors, oui, la baisse des émissions d’aérosols limite le réfléchissement des radiations du soleil et son potentiel refroidissant. Mais, non, cela ne signifie pas que le réchauffement climatique n’est pas lié aux activités humaines. “Les études sur la baisse des émissions de particules montrent au contraire que l’effet ‘refroidissant’ des particules masquait le réchauffement lié au changement climatique, explique Annica Ekman. Grâce à cette baisse, nous voyons le “véritable” réchauffement climatique.”
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