Selon un député LFI, la convocation de Mathilde Panot pour apologie du terrorisme porte atteinte à la séparation des pouvoirs
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Relecteurs : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Basile Ridard, maître de conférences en droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Aya Serragui
Source : Compte Facebook d'Idir Boumertit, 23 avril 2024
La convocation d’un député par la police pour soupçon de délit, n’est pas, en droit français, une atteinte à la séparation des pouvoirs car il n’y a pas de contrainte pesant sur sa personne. Chaque pays aménage à sa manière l’immunité de ses parlementaires, et chacun est libre de considérer, politiquement, qu’il y a pression sur les parlementaires.
Ces derniers jours, de nombreuses personnalités politiques soutenant la cause palestinienne dans le conflit à Gaza ont été convoquées par la police judiciaire pour le même motif : suspicion d’apologie du terrorisme. Les policiers ont notamment souhaité entendre Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale. Le député LFI Idir Boumertit, a déclaré qu’ “il n’y a même plus le respect de la séparation des pouvoirs“. C’est juridiquement inexact, car la convocation en elle-même n’est pas illicite.
Comment est garantie la séparation des pouvoirs dans notre République ?
Dans un régime démocratique, il existe en principe une séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. En France, celle-ci est garantie par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Même si cette séparation ne doit pas être strictement entendue comme défendant une indépendance totale de chacun des trois pouvoirs, il demeure que l’autorité judiciaire n’est pas censée empiéter excessivement sur les fonctions exercées par le Parlement. Qu’en est-il dans le cas de Mathilde Panot ?
Afin que la séparation des pouvoirs soit garantie, selon le droit en vigueur en France, les parlementaires ne peuvent être inquiétés pour des opinions qu’ils expriment dans l’exercice de leurs fonctions. C’est pourquoi l’article 26 de la Constitution pose le principe de l’immunité parlementaire : “Aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions“. Une ligne rouge est donc tracée par ce texte : il y aurait atteinte au principe de séparation des pouvoirs si un député était mis en examen ou arrêté pour un propos tenu ou une opinion exprimée dans le cadre de ses fonctions, au sein d’Assemblée elle-même. Mathilde Panot étant, pour l’instant, seulement convoquée pour être entendue, l’autorité judiciaire n’a pas porté atteinte à la séparation des pouvoirs (toujours selon la conception française de cette séparation des pouvoirs, qui n’est pas nécessairement la même dans d’autres pays).
Toutefois, l’autorité judiciaire peut-elle aller plus loin sans méconnaître ce principe ?
Comment fonctionne cette immunité parlementaire ?
L’immunité parlementaire comprend deux aspects. Le premier est l’irresponsabilité : un député ne peut pas être inquiété pour les propos tenus dans le cadre de son mandat de député. Cette irresponsabilité étant absolue, elle ne peut jamais être levée. Un député est représentant de la nation tout entière. Du fait de cette légitimité démocratique, il bénéficie d’une liberté d’expression et d’opinion davantage protégée que celle des citoyens, comme nous l’expliquions lors de l’affaire Quentin Bataillon.
C’est la liberté d’expression de nos députés, qui vaut également pour les sénateurs. En revanche, une fois sorti de son assemblée, le parlementaire est privé de cette immunité : s’il prononce des paroles pénalement répréhensibles (injures, calomnies, appels à la haine, par exemple), il peut être poursuivi, même s’il s’exprime par exemple dans les médias, en tant que parlementaire.
Le second aspect est l’inviolabilité : un député ne peut être arrêté durant tout le temps de son mandat pour des faits qui lui seraient reprochés, même si ces faits sont sans lien avec son rôle de parlementaire. Autrement dit, aucun acte de contrainte n’est possible. Or, dans le cas présent, Mathilde Panot a été simplement convoquée par la police, ce qui n’est pas une contrainte et donc pas attentatoire à son immunité. D’ailleurs, elle pouvait choisir de ne pas déférer à cette convocation, sans que la police ne puisse la contraindre.
Toutefois, cette inviolabilité n’est pas absolue. D’abord, les flagrants délits ne sont pas couverts ; ensuite, un parlementaire contre lequel pèsent suffisamment de soupçons peut être arrêté si le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat l’autorise en levant l’immunité, selon le second alinéa de l’article 26 de la Constitution.
A ce jour donc, aucune atteinte n’a été portée au principe de séparation des pouvoirs, du moins en droit. On peut contester cet état du droit, et on peut aussi contester la légitimité de la convocation de Mathilde Panot. Mais c’est une autre histoire.
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