Nicolas Dupont-Aignan veut créer 600 000 emplois en supprimant la directive des travailleurs détachés qui travaillent en France mais paient les cotisations sociales dans leur pays d’origine
Dernière modification : 23 avril 2024
Autrice : Sarah Nunes Amaral, master droit international et droit européen à l’Université de Lille
Relecteurs : Christian Osorio Bernal, juriste et enseignant en droit des affaires européennes et internationales à l’Université de Lille
Vincent Couronne, chercheur associé en droit public au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Aya Serragui
Source : Site du parti Debout La France, 12 novembre 2024
On ne « supprime » pas une directive européenne, on négocie son abrogation avec les 26 autres Etats de l’Union européenne, attachés à la libre circulation au sein de l’Union européenne. En outre, on ne comprend pas d’où sort le chiffre de 600 000.
Nicolas Dupont-Aignan, président du mouvement Debout la France et ancien candidat à l’élection présidentielle, était présent, comme chaque année, au salon du Made in France ce vendredi 10 novembre 2023. A l’occasion de ce salon, il avait avancé 25 propositions, dont la suivante : “Créer 600 000 emplois en supprimant la directive des travailleurs détachés qui travaillent en France mais paient les cotisations sociales dans leur pays d’origine”. À l’approche des élections européennes du 9 juin 2024, il convient de revenir sur plusieurs éléments de cette promesse qui pourrait faire l’objet de débats pendant la campagne.
On ne « supprime » pas une directive unilatéralement
C’est la directive européenne de 1996 , révisée en 2020, régissant les travailleurs détachés, que Nicolas Dupont-Aignan veut « supprimer ». Le travailleur détaché y est défini (à l’article 2) comme “tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement”. En d’autres termes, il s’agit le plus souvent d’un salarié d’une entreprise européenne envoyé pour une mission temporaire dans un autre État membre.
La France peut-elle supprimer une directive ? Non, car une directive est une norme européenne adoptée à la suite d’un processus législatif européen. Abroger cette directive ne peut se faire qu’au niveau européen, et suppose de passer par ce même processus législatif en mettant d’accord une majorité d’États membres de l’Union européenne et le Parlement européen. En attendant, un État ne peut pas se soustraire à l’application d’une directive de manière unilatérale. La France est liée par cette directive et tenue de la mettre en œuvre en vertu de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et du principe de primauté du droit de l’Union impliquant l’obligation, pour les États membres, de transposer et appliquer les directives européennes, sans pouvoir les suspendre unilatéralement.
Cela ne veut pas dire pour autant que cette directive est immuable ou gravée dans le marbre. En 2018, le Parlement européen et une majorité d’États membres se sont mis d’accord pour la faire évoluer, notamment en limitant à 18 mois maximum la durée d’un détachement, au-delà de quoi l’entreprise doit se conformer à l’intégralité du droit local.
C’est vrai, les travailleurs détachés ne cotisent pas en France
Il est vrai que, selon l’article 12 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relatif à la coordination des systèmes de sécurité sociale, les travailleurs détachés sont couverts par la sécurité sociale et le droit social de leur pays d’origine, où ils paient leurs cotisations sociales. C’est ce système que dénonce Nicolas Dupont-Aignan. La logique de cette mesure est que le travailleur détaché, qui ne peut rester plus de 18 mois dans l’État membre d’accueil, ne touchera ni chômage, ni retraite dans cet État. Inutile, donc, que lui ou son employeur cotisent pour une prestation auquel il n’aura pas droit.
Cependant, ces travailleurs paient aussi des taxes en France, comme celle mentionnée à l’article L436-10 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, variant entre 50 euros et 300 euros et exigible à la fin du mois au cours duquel intervient le premier jour d’activité professionnelle, en France, du salarié détaché.
LA MISE EN PÉRIL DE LA LIBRE CIRCULATION AU SEIN DE L’UE
En outre, la suppression de cette directive reviendrait à ouvrir la porte à des conditions de travail moins favorables pour les travailleurs détachés, entraînant la mise en péril de la libre circulation des services et libre circulation des travailleurs des articles 45 et 56 du TFUE, qui interdisent toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres.
La directive de 1996 sur la circulation des travailleurs détachés avait été adoptée non pas pour libéraliser le système du travail détaché, mais à fin de l’encadrer. L’article 56, interdit en effet, toute discrimination par un État membre d’un prestataire de services d’un autre État membre de l’Union et qui viendrait proposer ses services. La directive de 1996 encadre donc les conditions de cette égalité de traitement, en obligeant les entreprises qui détachent des travailleurs à appliquer un grand nombre de règles locales : congés payés, durée de travail, sécurité, santé et hygiène au travail, conditions d’hébergement, application des conventions collectives, etc. Tout autant de mesures qui, en réalité, font augmenter le coût d’un travailleur détaché.
600 000 emplois ? Où ça ?
Le Code du travail impose à tout employeur étranger de déclarer en ligne les détachements à l’inspection du travail française. D’après les statistiques de la DARES, en 2019, le nombre de travailleurs détachés recensés en France à une date donnée s’élevait à une moyenne de 72 600, nombre qui a baissé à 57 500 en 2021 du fait de la crise sanitaire. La suppression de la directive ne pourrait donc avoir pour conséquence la création de 600 000 emplois, puisque la place occupée par les travailleurs détachés ne représente pas un tel nombre.
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