Bientôt « les pleins pouvoirs » du Directeur général de l’OMS pour décréter une pandémie ?
Dernière modification : 30 mars 2024
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteurs : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP à l’Université Paris-Saclay
Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay, auteur du code de santé publique
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : Magazine Nexus, 20 mars 2024
Une avocate laisse croire que le Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé va absorber une partie du pouvoir de souveraineté des 194 États membres en cas de pandémie, dans une vidéo postée sur Youtube et partagée sur Instagram. Or, c’est faux, on vous explique pourquoi.
Dans une interview Youtube du magazine Nexus, reliée au post Instagram, Laetitia Rigault, avocate au Barreau de Saint-Denis de la Réunion, accuse notamment le projet de révision du Règlement sanitaire international (RSI) d’octroyer un nouveau pouvoir “sans limite” au Directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé. Elle affirme, dans le post Instagram qui joue sur les zones grises du droit international public, que la révision du Règlement sanitaire international, lié à l’OMS, impliquera une perte de souveraineté des États membres : “Perte de souveraineté monstrueuse pour la France“, “pleins pouvoirs et sans limite du Directeur général de l’OMS“, “suppression de la mention droit et liberté dans le texte” … Tous les éléments de langage destinés à semer le doute y sont.
Or, tout est faux : le Directeur général de l’organisation n’aura toujours qu’un pouvoir déclaratif, et non décisionnel.
Une lecture erronée des textes
Laetitia Rigault met en cause le projet de réforme du Règlement sanitaire internationale (RSI) dont la dernière version remonte à 2005. Face aux différentes pandémies survenues depuis, une révision de ce texte s’imposait. C’est le projet de révision du RSI que l’avocate critique, et ce faisant elle commet deux erreurs.
En droit international public, “le principe de base est celui de l’attribution des compétences” rappelle Denys-Sacha Robin, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Nanterre, membre du Centre de droit international de Nanterre et auteur d’une thèse de doctorat sur les actes unilatéraux en droit international.
Cela implique que l’organisation internationale ne peut agir que dans le cadre des compétences qui lui sont expressément octroyées par les textes. A défaut, elle ne peut agir. C’est toujours la souveraineté des États membres qui prime si le texte ne prévoit aucun pouvoir pour l’organisation.
Le projet de Traité sur les pandémies, aussi évoqué sur ce post Instagram, rappelle d’ailleurs dans son article 3 alinéa 2 que “les États ont le droit souverain de légiférer et de promulguer la législation en vue de la mise en œuvre de leurs politiques en matière de santé“, contrairement à ce qu’affirme Laetitia Rigault.
Confusion entre déclaration, coordination et décision
L’actuel RSI, en vigueur depuis 2005, donne déjà au Directeur général de l’OMS le pouvoir de déterminer “si un événement constitue une urgence de santé publique de portée internationale” (article 12 alinéa 1). Mais cette prérogative du Directeur général ne se concrétise que par un pouvoir déclaratif : il ne fait qu’annoncer une urgence de santé publique au niveau international ce qui implique des obligations de notification et d’information entre l’OMS et ses États membres.
Le projet de révision, qui sera débattu du 27 mai au 1er juin, ajoute simplement des paliers. Le Directeur général pourrait, en plus de déclarer une urgence de portée internationale, informer d’une urgence de portée régionale ou d’une alerte sanitaire intermédiaire (article 12 du projet). Mais “une fois qu’il a décidé de cela, le Directeur général ne peut rien imposer [aux Etats membres, NDLR], il déclare seulement l’existence d’une situation à risque“.
Bien sûr, le Directeur général peut adopter des “recommandations” pour faire face à l’urgence de santé publique. Mais “l’analyse du texte du RSI pousse à considérer que, malgré les projets d’amendements, les recommandations et avis n’auraient pas de portée contraignante“, précise Denys-Sacha Robin. Les articles 18 et 23 de l’actuel RSI précisent d’ailleurs que ces recommandations relèvent de simples “conseils” (article 18) et qu’un État “peut” (article 23), c’est-à-dire qu’il n’est en rien obligé de prendre des mesures sur son territoire.
Le RSI, un outil déjà contraignant
Plus loin dans l’interview Youtube, l’avocate affirme que jusqu’ici, le RSI n’aurait pas été contraignant, mais qu’il pourrait le devenir. C’est faux et le site internet de l’OMS le précise directement. Le RSI est certes “un instrument international juridiquement contraignant vis-à-vis duquel 196 États Parties, dont l’ensemble des 194 États Membres de l’OMS, se sont engagés“, mais dans ce cadre, les États sont uniquement tenus à une obligation d’information et de coordination en matière sanitaire. Ils doivent notamment désigner les autorités nationales compétentes pour échanger en permanence avec l’OMS.
L’avocate s’étonne enfin d’un manque de définition du terme “pandémie” dans le projet de révision du RSI. Mais Denys-Sacha Robin précise qu’une définition de ce mot est justement proposée dans le Traité pandémies (projet d’article 1 e). Et surtout, le Directeur général ne décrète pas des “pandémies” mais des “urgences de santé publique de portée internationale”. Cette expression est quant à elle bien définie dans le texte du RSI, ce que ne mentionne pas l’avocate, et ne fait l’objet d’aucun débat particulier.
Enfin, tous ces projets d’amendement ne sont pas définitifs et seront soumis à débat lors de la 77ème Assemblée mondiale de la Santé, avant de pouvoir envisager d’être adoptés et d’entrer en vigueur.
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