Lu dans Le Parisien : la Fédération française de football (FFF) refuse les ruptures de jeûne du Ramadan pendant les matchs
Dernière modification : 22 mars 2024
Auteur : Maxime Fauché, juriste en droit public
Relecteur : Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public, Université Savoie Mont Blanc
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : Le Parisien, 12 mars 2024
Les fédérations sportives sont soumises aux principes de neutralité et de laïcité dans le cadre des missions de service public qui leur sont confiées comme l’organisation des championnats. C’est pourquoi la FFF ne semble pas avoir d’autre choix que de refuser tout aménagement du règlement en raison du ramadan.
Le Parisien, nous donnait à lire il y a peu qu’”alors qu’ailleurs en Europe les règlements commencent à évoluer (Angleterre, Allemagne, Pays-Bas), la Fédération française de football maintient son interdiction des ruptures de jeûne pendant les matchs”. Ce fait, s’il est vrai, tient au principe de neutralité du service public auquel sont assujetties les fédérations sportives agréées.
Le journaliste ajoute que cette interdiction poursuit “une interprétation des principes de laïcité qui ne fait pas l’unanimité”, avant d’esquisser un début de réponse : “La loi républicaine se limite à exiger la neutralité religieuse aux salariés et agents travaillant pour les fédérations délégataires d’un service public, pas à ses pratiquants”.
Le sujet n’est donc en réalité, et donc en droit, pas si simple.
Le statut particulier des fédérations sportives agréées
Les fédérations sportives sont des associations qui ont pour objet d’organiser la pratique d’une discipline sportive. Elles doivent faire l’objet d’un agrément ministériel, avant de se voir déléguer une mission de service public (article L. 131-14 du Code du sport). Cette mission porte notamment sur l’organisation des compétitions sportives, les sélections, les “projets de performance fédérale” (PPF) ou encore l’inscription sur des listes “Espoirs” (article L. 131-15 du Code du sport).
L’obligation de neutralité s’applique aux fédérations sportives
La Cour de cassation juge de façon constante que “les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé […] peu important que la salariée soit ou non directement en contact avec le public”. Dès lors, les fédérations sportives, alors même qu’elles sont des associations de droit privé répondant au régime de la loi de 1901, sont soumises à ces principes.
Laïcité et neutralité font souvent l’objet d’une confusion de la part des observateurs, alors qu’elles ne renvoient pas exactement aux mêmes concepts. Le principe de laïcité fait référence aux règles découlant de l’article premier de la Constitution et de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat récemment modifiée par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, et au fait que tous les cultes quels qu’ils soient, sont mis sur un même pied d’égalité, permettant ainsi l’expression plurielle des courants religieux. De son côté, le principe de neutralité permet de protéger les agents et les usagers, en leur offrant un service basé sur le principe d’égalité, découle notamment de la déclaration des droits de l’homme.
Mal appréhendés et parfois peu compris dans les États étrangers, ces principes de laïcité et de neutralité interdisent selon le Conseil constitutionnel à “quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les collectivités publiques et les particuliers”. Le juge administratif précise même que ces principes “[font] obstacle à ce qu’ils [les agents publics ou privés chargés d’un service public] disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses”. Dans un arrêt du 29 juin 2023, le Conseil d’État a fait application de ces principes aux fédérations sportives, en rappelant qu’ “Il en va ainsi notamment des personnes que la Fédération (…) sélectionne dans les équipes de France, mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent à ce titre et qui sont, dès lors, soumises au principe de neutralité du service public”. En somme, les professionnels jouant en sélection nationale sont dans ce cas précis assimilés par le Conseil d’Etat à des agents publics, et ne peuvent pratiquer leur culte durant leurs fonctions, sur le terrain en l’occurrence. Cette solution s’appuie d’ailleurs sur la loi du 21 août 2021 (article 1er) qui oblige les organismes privés chargés d’un service public à faire respecter les principes de laïcité et de neutralité aux personnes sur lesquelles ils “exercent une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction”. Or les joueurs sont considérés comme étant sous l’autorité de la FFF.
Même si elle le voulait, la FFF ne pourrait vraisemblablement pas accepter
Il est toujours possible pour l’entité qui gère un service public (en l’occurrence la FFF) d’organiser et de faire évoluer les règles de fonctionnement et d’accès à ce service, y compris en tenant compte des convictions religieuses des usagers. Pour autant, la jurisprudence administrative est claire et constante en ce que ces joueurs n’ont aucun droit à l’aménagement du service. L’article premier de la Constitution prohibe à quiconque de se prévaloir de ses convictions religieuses pour se soustraire aux règles communes.
Si la FFF souhaitait faire évoluer son règlement intérieur pour satisfaire une partie de ses joueurs professionnels, elle risquerait la censure du juge. Dans une décision du 21 juin 2022, le Conseil d’État a rappelé s’agissant de l’autorisation par le règlement municipal du port du “burkini” dans les piscines municipales de Grenoble, que “le gestionnaire d’un service public est tenu, lorsqu’il définit ou redéfinit les règles d’organisation et de fonctionnement de ce service, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l’égalité de traitement des usagers”. Dans cette affaire, le juge avait annulé une modification très ciblée du règlement des piscines municipales car elle n’avait d’autre finalité que de satisfaire une revendication religieuse, en soustrayant certains usagers aux règles de droit commun de port de tenues de bain. Or ces règles sont édictées pour des motifs d’hygiène et de sécurité. Non seulement la modification en question posait un problème d’hygiène et de sécurité, mais elle violait l’égalité de traitement des usagers dans des conditions portant atteinte au principe de neutralité des services publics.
Il est possible qu’un référé-liberté soit introduit par les intéressés sur le fondement d’une atteinte à la liberté de conscience. Ce sera au juge de trancher.
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