Pour l’autonomie corse, rien n’est encore joué
Dernière modification : 28 février 2024
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé en droit européen au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a fait une “proposition d’écriture constitutionnelle” pour accroître l’autonomie de l’île. Sur ce sujet, une modification de la Constitution serait loin d’être chose aisée.
“Ce soir, il y a raisons d’être optimistes, même s’il convient de continuer à être prudents”, a déclaré lundi 26 février le président du conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni. Lors d’un dîner marathon organisé place Beauvau, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a proposé à la délégation corse une série d’avancées pour l’autonomie. Avant d’être adoptées, elles nécessiteraient toutes une révision de la Constitution.
“République indivisible”
Le ministre a d’abord proposé à la collectivité corse une “place singulière dans la constitution”, matérialisée par l’inscription de ses “spécificités linguistiques et insulaires”. Une distinction qui se heurterait pour le moment à l’article 1er du même texte. Celui-ci définit la France comme une “République indivisible”, qui ne peut être scindée. Pour limiter son champ d’application, il faudrait réformer la constitution.
“Un article devrait être ajouté pour préciser que, sans préjudice de l’article 1er, la France reconnaît cette spécificité à la Corse”, explique Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public et membre des Surligneurs. Pour la même raison, le Conseil constitutionnel avait censuré, dans une décision du 9 mai 1991, une loi faisant mention des Corses comme un “peuple, composante du peuple français”.
Gérald Darmanin souhaite également que la Corse dispose d’une “habilitation générale” pour adapter les textes votés par le Parlement français. Aujourd’hui, la loi du 22 janvier 2002 prévoit déjà la possibilité pour l’île de déroger à certaines législations nationales. Celle-ci reste néanmoins “ponctuelle et très conditionnée”, précise Bertrand-Léo Combrade. Pour que l’exception devienne la norme, il faudrait là aussi modifier la Constitution.
Mais le ministre est allé encore plus loin, en évoquant l’idée que la Corse soit dotée de la compétence législative et réglementaire dans certains domaines, tout en faisant l’objet d’un contrôle du Conseil constitutionnel, comme c’est le cas pour les lois nationales. Cette proposition n’a rien d’anecdotique. Aujourd’hui, la Nouvelle Calédonie est la seule à bénéficier de cette liberté. Depuis les accords de Nouméa, signés en 1998 et intégrés à la Constitution la même année, le congrès de l’archipel vote les “lois du pays”. Une autonomie de fonctionnement qui s’explique par le caractère sui generis – unique en son genre – de la collectivité.
Pas de changement sans consensus
Modifier la Constitution implique de respecter l’article 89 de celle-ci. Il s’agit d’une procédure complexe, qui demande en particulier un accord entre les deux chambres du Parlement, qui doivent voter le même texte à la virgule près. La révision doit ensuite être approuvée, soit par la population par référendum, soit par le Parlement convoqué en Congrès. Si c’est cette deuxième option qui est choisie, le Sénat et l’Assemblée doivent adopter le texte à la majorité des trois cinquièmes – soit plus que la majorité absolue (60% des votes).
Un seuil particulièrement élevé dans le contexte politique actuel. Le parti présidentiel n’a qu’une majorité relative à l’Assemblée, et devrait notamment convaincre Les Républicains (LR). Or, certains de ses leaders, comme le président du Sénat Gérard Larcher ou le sénateur Bruno Retailleau, ont déjà dit leur réticence à ce que la Corse soit dotée du pouvoir législatif. “Prudent”, l’autonomiste Gilles Simeoni a donc bien raison de l’être …
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