La justice française émet un mandat d’arrêt contre Bachar al-Assad
Dernière modification : 25 février 2024
Auteur : Bastien Henry de Frahan, étudiant en droit à l’Université UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles
Relectrice : Christine Guillain, professeure à l’Université UCLouvain Saint-Louis – Bruxelles
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Le 15 novembre 2023, la Justice française a émis un mandat d’arrêt international contre le dirigeant syrien Bachar al-Assad pour complicité de crimes contre l’humanité et pour crimes de guerre, liés à des attaques chimiques en Syrie durant l’été 2013. Ce mandat fait suite à une plainte, déposée en 2021, accusant le président syrien, son frère Maher et deux généraux d’avoir utilisé des armes chimiques interdites à Douma et dans la Ghouta orientale (région en Syrie) en août 2013, provoquant la mort de plus de 1 000 civils.
Le conflit syrien, débuté en 2011, a déjà entraîné la perte de plus de cinq cent mille vies et a complètement fragmenté le pays. Mais qu’est-ce qu’un mandat d’arrêt international ? Bachar al-Assad peut-il réellement se faire arrêter ?
Le mandat d’arrêt international
Un mandat d’arrêt international constitue une mesure juridique, émanant d’un pays, sollicitant l’interpellation d’un individu à l’étranger en vue de son extradition vers ledit pays, afin qu’il puisse être jugé pour des infractions pénales graves ou purger une peine de prison. Un mandat d’arrêt international n’est autre qu’une expression qui renvoie dans les faits à une demande d’arrestation et d’extradition classique d’un individu recherché à l’étranger.
Ce dispositif est habituellement mobilisé dans le contexte de délits majeurs tels que les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le terrorisme ou encore la corruption internationale. Lorsqu’un mandat d’arrêt international est émis par un juge d’instruction, il est généralement diffusé par l’intermédiaire d’Interpol, l’organisation internationale de police criminelle, pour faciliter la coopération entre les pays. Les autorités du pays dans lequel la personne visée par le mandat se trouve, peuvent être appelées à arrêter cette personne en vue de son extradition vers le pays émetteur du mandat d’arrêt international.
Les mandats d’arrêt internationaux sont des instruments importants de la coopération internationale en matière de justice. Ils sont utilisés pour lutter contre l’impunité dans le cas de crimes graves qui transcendent les frontières nationales.
Cependant, il est important de noter que l’expression “mandat d’arrêt international” peut parfois être trompeuse. Un mandat d’arrêt international n’a pas d’existence propre en terme juridique. En réalité, un mandat d’arrêt international est un mandat d’arrêt national qui n’a de caractère international que parce qu’il fait l’objet d’une diffusion internationale par le biais d’Interpol. Cette diffusion informe les autres États de l’émission dudit mandat, mais elle n’oblige pas ces États à le reconnaître et à lui donner effet sur leur propre territoire. Les États conservent la faculté d’apprécier s’il est approprié de diffuser ce mandat d’arrêt sur leur territoire par le biais de leur système interne de diffusion des demandes d’arrestation. Ainsi, bien que les juges d’instruction d’un état (comme la France) aient la faculté de délivrer des mandats d’arrêt ciblant des individus résidant à l’étranger, il est important de souligner que ces mandats ne revêtent pas automatiquement un caractère international. Leur statut international dépend de la volonté de coopération des autres États impliqués.
À cette fin, des accords, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, rassemblent des États, favorisant ainsi une coopération accrue et une efficacité améliorée en ce qui concerne l’arrestation et l’extradition des individus recherchés à l’étranger. Voici quelques exemples de l’importance de ces accords :
- La convention bilatérale entre la France et l’Algérie, signée en janvier 2019 et remplaçant un texte datant de 1964, permet une coopération renforcée entre les deux États pour une arrestation et une extradition efficace et plus rapide des personnes recherchées. La précédente convention entre les deux pays avait permis que 38 demandes d’extradition soient finalisées entre 2014 et 2019.
- Les autorités libanaises ont reçu une demande d’arrestation de Carlos Ghosn de la part du Japon, mais celles-ci ont refusé de l’exécuter. L’État libanais a rappelé qu’il n’existait pas d’accord de coopération judiciaire ou d’accord d’extradition entre le Liban et le Japon.
Enfin, n’oublions pas que la Cour pénale internationale (CPI) peut également émettre de tels mandats d’arrêts afin d’arrêter et de juger des personnes qui auraient commis un crime de droit international humanitaire (tel que le crime de génocide,…).
ATTENTION : NE PAS CONFONDRE “MANDAT D’ARRÊT INTERNATIONAL ” ET “MANDAT D’ARRÊT DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE”
Comme mentionné précédemment, l’émission de mandats d’arrêt internationaux n’est pas exclusivement réservée aux États. La Cour pénale internationale (CPI) possède également cette compétence. Cependant, il convient de souligner que le mandat d’arrêt international et le mandat d’arrêt de la CPI sont deux instruments juridiques distincts, bien qu’ils soient tous deux liés à la poursuite pénale à l’échelle internationale.
La CPI émet des mandats d’arrêt dans le cadre de ses propres enquêtes et poursuites en tant qu’organisation internationale indépendante définie par le Statut de Rome. La compétence de la CPI s’étend aux individus accusés de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et éventuellement d’agression, tel que dispose le Chapitre 2 du Statut de Rome en son article 5.
Les juges de la CPI sont habilités à émettre des mandats d’arrêt à l’encontre des personnes soupçonnées d’avoir commis ces crimes internationaux. Cependant, la CPI ne dispose pas de son propre mécanisme d’exécution, ce qui signifie que seuls les États parties au Statut de Rome peuvent les mettre en œuvre. En cas de recherche de personnes présumées responsables de crimes et non encore appréhendées, la CPI peut émettre des mandats d’arrêt sur la base d’une enquête, sous réserve de l’approbation de la chambre préliminaire compétente.
Les États membres de la CPI ont alors l’obligation de coopérer dans l’arrestation et la remise des individus visés par ces mandats. Il est important de noter que les mandats d’arrêt de la CPI sont spécifiques aux affaires traitées par cette Cour et ils sont émis conformément au Statut de Rome.
En résumé, la distinction principale réside dans le fait que le mandat d’arrêt international est émis par un État souverain en vue de solliciter l’extradition du suspect, tandis que le mandat d’arrêt de la CPI est émis par la Cour elle-même dans le cadre de ses propres poursuites pour des crimes relevant de sa compétence.
BACHAR AL-ASSAD POURRAIT-IL RÉELLEMENT SE FAIRE ARRÊTER ?
Suite à notre analyse, il semble extrêmement improbable, voire impossible, que le président syrien Bachar al-Assad soit arrêté par les autorités syriennes ou françaises.
En réalité, l’absence de toute convention entre la France et la Syrie concernant une éventuelle procédure d’arrestation ou d’extradition rend cette perspective encore moins envisageable. De surcroît, en tant que président de la Syrie et chef d’État, Bachar al-Assad bénéficie d’une immunité au sein de l’ordre juridique interne de son pays. Par conséquent, il semble peu probable que la police ou l’armée syrienne agissent pour arrêter leur chef.
En ce qui concerne la Cour pénale internationale, il est à souligner que jusqu’à présent, aucun mandat d’arrêt n’a été émis par celle-ci à l’encontre du président syrien Bachar al-Assad. Toutefois, un tel mandat constituerait un atout significatif : contrairement aux États, la CPI a le pouvoir de poursuivre un chef d’État en fonction. Conformément à l’article 27 du Statut de Rome, la qualité de chef d’État ne confère aucune immunité pénale pour les crimes relevant de la compétence de la Cour, comme l’illustre la poursuite précédente d’un chef d’État en exercice, M. Omar el-Béchir, alors président du Soudan.
Mais la tâche semble complexe. La Cour peut se saisir d’une affaire de deux manières : Premièrement, les crimes ont été commis par un ressortissant d’un État partie, ou sur le territoire d’un État partie ou d’un État qui a accepté autrement la compétence de la Cour. Ce n’est pas le cas ici, la Syrie ne figurant pas parmi les 123 États qui ont ratifié le Statut de Rome. Elle n’accorde donc aucune validité aux injonctions de la CPI.
La deuxième manière, certainement la plus intéressante, est celle où la Cour pourrait se saisir de l’affaire malgré le fait que la Syrie n’ait pas adhéré au Statut de Rome. La Cour pénale internationale, chargée de juger les crimes les plus graves, pourrait être saisie pour les crimes commis en Syrie par le biais d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU (chapitre VII de la Charte des Nations Unies). Cependant, cette voie est bloquée car la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, dispose d’un droit de veto et l’utilise souvent, notamment concernant la Syrie. En raison du refus de la Syrie de reconnaître la CPI, une saisine par le Conseil de sécurité serait la seule option pour mandater la CPI. En 2014, la France a proposé une résolution en ce sens, mais la Russie, alliée de la Syrie, a opposé son veto, suivie par la Chine. Ainsi, l’espoir d’un procès international pour les responsables des crimes en Syrie s’est dissipé.
Enfin, quand bien même le président syrien serait sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale, celui–ci évitera simplement de se déplacer dans d’autres pays ayant ratifié le Statut de Rome sachant qu’il risque alors une arrestation dès lors qu’il pénètre sur le territoire d’un État partie. L’émission d’un mandat d’arrêt par la CPI opère alors comme une “épée de Damoclès” pour celui ou celle qu’elle vise.
Finalement, l’espoir de voir un jour Bachar al-Assad comparaître devant la Justice demeure ténu. Une lueur d’espoir pourrait néanmoins émerger à la fin de son mandat présidentiel, mais étant donné que la famille des dictateurs “al Assad” dirige la Syrie depuis 1971, les perspectives de changement dans le régime et le système judiciaire demeurent minces. Il semble donc, que dans ce cas-ci en Syrie, justice ne soit jamais et ne sera jamais rendue.
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