Cadran solaire Solart2 à l’entrée de Perpignan incendié par les gilets jaunes : l’agglomération renonce à sa remise en état et accorde 60 000 euros à l’artiste
Dernière modification : 8 février 2024
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences HDR en droit privé, Université Aix-Marseille
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : France Bleu, 29 janvier 2024
S’il est vrai que l’artiste a droit au respect de son œuvre par celui qui la lui achète, ce droit n’est pas absolu, notamment pour les œuvres installées sur le domaine public. En l’occurrence, l’indemnisation ne semblait pas justifiée au regard de la jurisprudence.
Toutes les roussillonnaises et tous les roussillonnais la connaissent, la flèche du gigantesque cadran solaire créé par l’artiste Marc-André 2Figuères (MA2F), installé sur le rond-point du péage nord de l’autoroute A9. Inaugurée en 2015, sujette à bien des polémiques sur son esthétique, cette œuvre de 35 tonnes et 70 mètres de diamètre, fut incendiée par les gilets jaunes. Sa remise en état fut estimée à un total de 680 000 euros à la charge de l’Agglomération de Perpignan faute d’avoir retrouvé les incendiaires et d’engager leur responsabilité. Le tout avec la crainte d’une récidive, ce rond-point étant devenu une sorte de symbole de la contestation. C’est pourquoi le conseil communautaire de l’Agglomération décida de renoncer à la remise en état malgré les protestations et les actions judiciaires engagées par l’artiste, de raser l’œuvre et de dédommager le même artiste à hauteur de 60 000 euros, qui correspondent au montant de l’indemnisation accordée par l’assureur à l’Agglomération. Un montant très généreux au regard de la jurisprudence, qui est plutôt favorable à l’Agglomération.
L’artiste a droit à l’immutabilité de son œuvre, même s’il l’a vendue
Le cadran solaire monumental en question, même incendié n’en reste pas moins une œuvre au sens du code de la propriété intellectuelle (CPI), et bénéficie donc de certaines protections. Lorsqu’un artiste (ou « auteur » selon le CPI) vend son œuvre, il n’en est plus propriétaire, mais il garde une propriété dite « incorporelle » (article L. 111-1 du CPI), que doit respecter le propriétaire matériel (celui qui a acquis l’oeuvre). Ainsi, l’Agglomération de Perpignan, propriétaire du cadran solaire, devait respecter les droit de l’artiste, qui jouit d’une propriété incorporelle sur ce même cadran (article L. 111-3 du CPI).
Cette propriété incorporelle permet à l’artiste de revendiquer le respect de son nom et de son œuvre, ce droit étant « perpétuel, inaliénable et imprescriptible » (article L. 121-1 du CPI), et même transmissible aux héritiers. En théorie donc, le cadran aurait dû être restauré à l’identique par l’agglomération. C’est le principe d’immutabilité ou d’intangibilité de l’œuvre.
Mais ce principe n’est lui-même pas intangible.
Le juge tempère ce droit dans certaines circonstances
Dans le cas des œuvres acquises par les collectivités territoriales, destinées à orner le domaine public, le juge interprète le CPI de manière plus tempérée. Il tient compte de la vulnérabilité de l’œuvre, de l’usure, du vandalisme ambiant et de la difficulté voire de l’impossibilité de l’empêcher pour la collectivité propriétaire. C’est ainsi que le juge admet qu’une collectivité publique puisse remanier ou supprimer une œuvre du domaine public, lorsqu’elle est constamment dégradée même après réparations, et lorsque la surveillance, même accrue, ne peut être constante ni efficace à cent pour cent. Les protestations de l’artiste n’y font rien, et il n’a pas le droit à une indemnisation.
La cour d’appel de Paris a tranché en 2020 une affaire similaire. C’était à propos d’un ensemble artistique monumental destiné à célébrer la naissance du barrage-réservoir Aube, réalisé en 1993 au bord du lac de la forêt d’Orient à Mathaux dans l’Aube. Les dégradations constantes, malgré les plaintes et les mesures de surveillance prises, ainsi que le coût de la restauration éventuelle, justifiait aux yeux de la cour des modifications de l’œuvre par son propriétaire : « le droit des auteurs au respect de leur œuvre ne peut justifier qu’ils imposent au propriétaire du support matériel de l’œuvre d’assurer l’immutabilité de ladite œuvre et sa préservation à des conditions déraisonnables« . On ne peut faire plus clair, et les artistes n’eurent droit aucune indemnisation (décision du 10 mars 2020, accessible avec commentaire sur le site public gratuit HAL). La cour d’appel de Paris n’avait fait que suivre la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat en la matière.
Dans ces conditions, on peut estimer que l’Agglomération de Perpignan n’avait pas à indemniser l’artiste dans l’affaire du cadran solaire. Elle se défend en affirmant que « au final, le dédommagement versé à l’artiste ne coûtera pas un centime d’argent public, puisque la somme correspond à ce que va verser la compagnie d’assurance suite à l’incendie« . Mais c’est tout de même 60 000 euros qui ne rentreront pas dans les caisses de l’agglomération pour financer par exemple… le démontage et le recyclage de l’œuvre.
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