Massive mais prévisible : la censure de la « loi immigration » par le Conseil constitutionnel
Auteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit public, chercheur associé au laboratoire Versailles Institutions Publiques
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Sans surprise dans la mesure où elle s’inscrit dans le prolongement de sa jurisprudence traditionnelle, la décision du Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution de nombreuses dispositions de la « loi immigration ».
La décision rendue n’étonnera pas les juristes habitués à analyser la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Saisie avant la promulgation de la loi par le Président de la République et des parlementaires de l’opposition, l’institution de la rue de Montpensier a censuré des articles de la loi qui étaient manifestement contraires à la Constitution. Le caractère massif de la censure s’explique moins par l’audace du Conseil constitutionnel que par la légèreté du législateur.
Beaucoup de « cavaliers législatifs »
D’une part, le Conseil constitutionnel a censuré totalement ou partiellement 32 articles de la loi pour des raisons de procédure. Aux termes de l’article 45 de la Constitution, « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». S’il n’existe pas de lien, les amendements adoptés constituent des « cavaliers législatifs ». Dans la loi soumise au Conseil, de nombreuses dispositions adoptées tardivement en commission mixte paritaire (une institution réunissant des représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat) étaient dépourvues de lien, même indirect, avec le texte qui avait été initialement présenté par le Gouvernement. Il en va ainsi, par exemple, du durcissement de l’accès aux prestations sociales ou des conditions de délivrance d’un titre de séjour à des étudiants étrangers.
De rares censures sur le fond
D’autre part, une poignée de dispositions de loi adoptées conformément aux règles de procédure ont été censurées pour des motifs de fond. Par exemple, les quotas migratoires ont été censurés car la Constitution n’autorise pas le Parlement à adresser des injonctions au Gouvernement. Le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie sans consentement ont, quant à eux, été censurés au motif qu’ils portaient une atteinte disproportionnée à la liberté personnelle garantie par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à laquelle le préambule de la Constitution renvoie.
Quelques réserves d’interprétation
Enfin, une dernière poignée de dispositions ont fait l’objet de réserves d’interprétation. En recourant à cette technique, le Conseil constitutionnel s’abstient de censurer un article mais indique la lecture que devra en faire l’administration chargée de l’appliquer. C’est ainsi, par exemple, que le Conseil constitutionnel s’est opposé à l’automaticité du renouvellement de l’assignation à résidence dont peuvent faire l’objet certains étrangers.
Le début d’un feuilleton constitutionnel ?
Au final, les dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution pour des raisons de procédure sont susceptibles d’être présentées dans le cadre d’un nouveau projet ou d’une nouvelle proposition de loi. Cela étant, il n’est pas exclu que le Conseil constitutionnel les censure de nouveau, mais en se fondant cette fois sur la méconnaissance d’un droit ou d’une liberté que la Constitution garantit. Quant aux articles censurés pour des raisons de fond, trois options s’offrent au législateur. Premièrement, il peut renoncer à adopter ces articles. Deuxièmement, il peut essayer de les rédiger de manière à les rendre conformes aux exigences exprimées par le Conseil constitutionnel. Troisièmement, si cette nouvelle rédaction n’est pas possible, il reste au législateur la possibilité de réviser la Constitution dans le respect de la procédure prescrite à l’article 89 pour y intégrer les dispositions législatives déclarées inconstitutionnelles.
Enfin, il convient de noter que les dispositions qui n’ont pas été censurées ne bénéficient pas d’une sorte de « totem d’immunité ». Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité posée à l’occasion d’un litige où elles sont applicables (article 61-1 de la Constitution), ces dispositions sont susceptibles d’être déclarées contraires à la Constitution si elles portent atteinte à un droit ou une liberté de valeur constitutionnelle. Preuve, s’il en était, qu’avec la censure massive de la « loi migration » nous ne sommes peut-être qu’au début d’un feuilleton constitutionnel.
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