Pourquoi le féminicide ne figure pas dans le code pénal
Clotilde Jégousse, journaliste
Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris-Nanterre
Si le terme a su se faire une place dans le débat public depuis près de cinq ans, nombreux sont les juristes qui s’opposent à son inscription dans le droit français.
Il a fait son entrée dans les dictionnaires du Petit Robert en 2015 et du Larousse en 2021, mais n’a pas d’existence juridique. Depuis mardi 2 janvier, et l’annonce d’une baisse des féminicides en 2023 par le ministre de la justice, les voix des associations s’élèvent à nouveau pour demander l’inscription du terme dans le code pénal. Tandis que le gouvernement l’utilise pour désigner les meurtres ou assassinats commis sur conjointe, concubine ou partenaire de pacs, une circonstance aggravante au sens de l’article 132-80 du code pénal, le collectif féministe Nous Toutes appelle à donner une existence juridique autonome à tous les crimes perpétrés “contre des femmes, parce qu’elles sont des femmes”. Cela permettrait de comptabiliser les meurtres sexistes d’une femme par un voisin, un collègue de travail, un client ou un inconnu. Au-delà de la portée symbolique, une telle inscription contreviendrait aux principes d’universalité et de neutralité de la justice, et ne créerait pas de nouvelle peine pour les auteurs.
Universalité de la loi pénale
Après un discours d’Emmanuel Macron devant les Nations unies en 2019, au cours duquel il disait vouloir “donner un statut juridique” au féminicide, une mission d’information a été lancée sur la reconnaissance du terme, déjà largement utilisé dans les sphères politiques et médiatiques. Mi-février 2020, la députée LREM Fiona Lazaar a présenté un rapport à la délégation aux droits des femmes. Tout en plaidant pour une plus vaste utilisation dans le langage courant, elle y a préconisé d’écarter son inscription dans le code pénal, notamment pour respecter le principe constitutionnel d’égalité devant la loi. Le préambule de la constitution prévoit en effet que la France “assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens”. En l’état actuel du droit, il n’est donc pas possible que, pour les mêmes faits, l’infraction et la peine soient différentes pour les hommes et pour les femmes.
Le caractère universel de la loi a notamment conduit à la suppression du “parricide” – le meurtre du père – en 1994. L’article 221-4 du code pénal prévoit aujourd’hui la réclusion criminelle à perpétuité pour un meurtre commis “sur un ascendant légitime ou naturel ou sur les père ou mère adoptifs”.
Un crime déjà puni
De plus, bien que l’infraction autonome de féminicide n’existe pas, le fait de tuer quelqu’un en raison de son sexe est déjà sévèrement puni par la loi. Depuis 2017, l’article 132-77 du code pénal prévoit une circonstance aggravante lorsqu’un crime est commis en raison du sexe de la victime. Le meurtrier d’une femme parce qu’elle est femme encourt donc aujourd’hui la réclusion criminelle à perpétuité, tandis qu’un meurtre simple serait puni de trente ans d’emprisonnement. Ces crimes aggravés sont néanmoins plus difficiles à comptabiliser que le meurtre par conjoint, puisque l’article vise aussi “l’identité de genre vraie ou supposée” et “l’orientation sexuelle” de la victime. Pour savoir s’il s’agit d’un meurtre sexiste ou homophobe par exemple, il faudrait étudier chaque dossier.
La difficulté de la preuve
Enfin, contrairement à la circonstance aggravante du meurtre sur conjoint, qui s’applique de manière assez simple car la preuve est purement objective (un mariage, une vie commune…), pour caractériser le féminicide, le parquet devrait démontrer le caractère sexiste du crime. Dans certains cas, comme celui de la tuerie de 1989 à l’école polytechnique de Montréal, où l’auteur avait séparé les hommes des femmes, avant d’abattre quatorze d’entre elles parce qu’il “haïssait les féministes”, le caractère sexiste fait peu de doutes. Mais il n’est pas toujours aussi évident.
Pour de nombreux spécialistes, la nécessité de démontrer ce caractère sexiste complexifierait la procédure et reviendrait in fine à moins bien protéger les femmes. “Plus une infraction est simple à démontrer de manière objective, plus il est aisé d’en apporter la preuve et donc d’en sanctionner l’auteur”, expliquait Céline Parisot, présidente de l’Union syndicale des magistrats dans une tribune publiée dans Le Monde en 2019.
Et les autres leviers ?
Sur le terrain du droit, beaucoup reste néanmoins à faire pour empêcher ces drames. Si des progrès ont été faits depuis le Grenelle des violences conjugales de 2019, des féminicides continuent d’être perpétrés alors que la victime avait déposé une ou plusieurs plaintes, sans que celles-ci n’aient été suivies d’effet. En 2021, parmi les 122 femmes décédées des suites de violences conjugales, 25 avaient déjà porté plainte contre leur conjoint.
Dans le cas de violences intrafamiliales, jusqu’à ce 1er janvier 2024, les magistrats partageaient peu l’information. Le juge aux affaires familiales qui devait gérer la séparation et la garde des enfants ne communiquait pas avec le juge pénal qui statuait sur les violences. Les pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales, prévus par le décret du 23 novembre 2023 et mis en place dans tous les tribunaux et cours d’appel de France depuis lundi, réuniront tous les acteurs compétents au même endroit et devraient permettre d’améliorer la prise en charge des victimes, et de rendre des décisions plus cohérentes.
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