Le maire de Seine-Port (77) souhaite interdire les téléphones portables dans l’espace public pour des raisons de santé publique
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : BFMTV, 9 octobre 2023
Un maire ne peut pas réglementer une activité si la loi a donné la compétence sur cela à une autre autorité spécialisée. Il ne pourra agir que si cette autorité ne fait rien face à un danger imminent, ce qu’il devra démontrer.
Le maire de Seine-Port, petite commune de Seine-et-Marne (77), a annoncé qu’il allait interdire les téléphones portables dans l’espace public. Cette proposition a pour but de réduire l’exposition des enfants aux écrans. Indépendamment de l’objectif d’une telle mesure, certes louable, un maire n’a pas ce pouvoir.
Il existe déjà une police spéciale des ondes liées aux réseaux téléphoniques…
Les articles L.2212-1 et L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales prévoient que le maire est compétent en matière de police générale. Il doit à ce titre veiller à la sécurité, la sûreté, la salubrité (ce qui inclut la santé) et la tranquillité publiques.
Reste qu’il existe d’autres autorités de police dite “spéciale”, c’est-à-dire dédiées à un domaine précis, souvent technique. En matière de communications téléphoniques, et en raison du caractère potentiellement dangereux pour certaines personnes, il existe deux autorités de police : l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) et l’Agence nationale des fréquences (ANFR), cette dernière s’étant manifestée il y a peu, en enjoignant à Apple de mettre à jour ses Iphone 12 afin de réduire leur puissance émettrice. C’est la loi qui a créé ces autorités de police et qui leur a confié la mission de veiller à concilier l’exploitation et l’extension des réseaux, avec les impératifs notamment de santé publique.
En droit, le Conseil d’État en a tiré les conséquences dans un arrêt du 26 octobre 2011 : le législateur a créé, à l’article L. 32-1 du Code des postes et des communications électroniques, une réglementation des communications électroniques, qui relève d’une police spéciale, et a confié cette police à des autorités administratives nationales. Or, le principe est que la police spéciale l’emporte sur la police générale, en l’occurrence celle du maire, qui n’est donc pas compétent en la matière, notamment parce qu’il n’a pas l’expertise dont disposent les autorités nationales spécialisées.
Le Conseil d’État a rappelé ce principe dans un arrêt du 31 décembre 2020, s’agissant de l’interdiction des produits phytosanitaires, cette police des cultures relevant en principe à une autorité administrative de l’État.
… qui écarte la police générale du maire
En somme, si une autorité de l’État est déjà spécialement compétente pour faire la police dans un secteur donné, le maire ne peut en principe intervenir. Toutefois, le Conseil d’État a précisé le 1er juillet 2021 que le maire gardait une possibilité d’intervention au titre de sa police générale, à deux conditions : d’une part en cas de “carence” de l’autorité administrative de l’État, c’est-à-dire une inaction, une absence totale de réglementation nationale ; d’autre part, s’il existe un danger grave et imminent auquel il faut parer très vite. Sans ces deux conditions, le maire ne peut intervenir.
Ainsi, le maire peut imposer une réglementation à titre subsidiaire et dans l’urgence, si l’autorité compétente ne le fait pas. En l’occurrence, et à moins que le maire de Seine-Port ne prouve l’inverse, ni la carence de l’autorité compétente, ni le danger grave et imminent ne sont avérés.
Le passage en force par un référendum local ?
Le maire de Seine-Port, qui connaît peut-être cette jurisprudence, semble vouloir la contourner en prévoyant de soumettre un projet de charte communale à ses administrés à travers un référendum local en février 2024. Si d’aventure les seine-portais approuvaient le projet, le maire a annoncé qu’il prendrait alors un arrêté pour interdire les téléphones portables dans l’espace public. Si le préfet, dans l’exercice de sa mission de contrôle de légalité des actes municipaux, conteste l’arrêté devant le juge administratif, il y a fort à parier que ce dernier annulera ce référendum, qui intervient dans un domaine qui ne relève pas de l’action communale.
Et tout cela, sans même avoir à discuter du caractère disproportionné ou non d’une telle mesure. Affaire à suivre…
Contacté par Les Surligneurs, le maire de Seine-Port nous assure que c’est bien sur “la carence de l’autorité compétente et le danger grave et imminent avéré” qu’il entend fonder le projet d’arrêté municipal, et pas sur le référendum à venir. Il ajoute que “les faits sont maintenant connus et nombreux”, ce dont il devra convaincre le juge administratif.
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