Manuel Bompard : « Le principe de la laïcité, c’est que l’État reste indifférent vis-à-vis des religions et […] que ce sont les religions […] qui déterminent quels sont les signes religieux »
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, Université de Poitiers
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Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : RTL, 3 septembre, 2023, 32’
D’abord le ministre de l’éducation n’affirme pas que l’abaya est une tenue religieuse. Ensuite, il est dans son rôle d’exécution de la loi lorsqu’il affirme que l’abaya est une tenue par laquelle l’élève manifeste ostensiblement son appartenance religieuse, sous le contrôle du juge administratif.
S’exprimant sur RTL, le député LFI, Manuel Bompard a récusé le caractère religieux de l’abaya, critiquant ainsi la décision du ministre de l’Éducation Gabriel Attal de l’interdire explicitement dans les établissements scolaires par une note de service publiée le 31 août 2023. Il estime qu’il n’appartient pas à l’État de qualifier un signe ou vêtement de religieux ou laïc. Il se trompe doublement.
La note de service de Gabriel Attal n’a pas qualifié l’abaya de tenue religieuse
La note de service annoncée par Gabriel Attal et publiée dans la foulée a surpris par son parti-pris très net, au contraire des circulaires qui ont précédé et qui noyaient le poisson dans des généralités, ne résolvant aucun problème, dans un sens ou dans un autre.
Mais cette note de service ne dit nulle part que l’abaya est un signe ou un vêtement religieux. Le ministre y affirme : “le port de telles tenues, qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut (…) être toléré” dans les établissements scolaires, “en vertu de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation”.
Or, que dit le Code de l’éducation (article L. 141-5-1 issu de la loi du 15 mars 2004) ? Est interdit “le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse”.
Ainsi, le code de l’éducation interdit deux types de signes ou tenues ostentatoires : premièrement ceux qui sont en soi religieux (voile, kippa, grande croix pour ne citer que les plus courants) ; deuxièmement, ceux qui, sans être en soi religieux, “manifestent ostensiblement une appartenance religieuse”.
Ce sont deux notions (on dit en droit “catégories juridiques”) différentes : le signe religieux ou la tenue religieuse d’une part, et le signe non religieux ou la tenue non religieuse mais par lesquels celui qui les porte entend manifester son appartenance religieuse, d’autre part. C’est ainsi qu’un bandana a pu être rangé dans cette seconde catégorie par le juge (Conseil d’État, 5 déc. 2007), et même un bonnet (Cour administrative d’appel Nantes, 8 juin 2006). Les juristes parlent ainsi de “tenues religieuses par destination” : une tenue n’est religieuse qu’en raison de l’attitude de celui qui la porte. Le raisonnement est le même que pour tout objet qui, n’étant techniquement pas une arme, peut devenir une arme par destination.
Notons que cela ne signifie pas que la note de service est légale. Le Conseil d’État, qui est saisi contre cette note, doit encore se prononcer sur le fait que l’abaya entre ou pas dans la seconde catégorie juridique.
Mais en tout état de cause, Manuel Bompard se trompe de débat. Mais il se trompe aussi sur le rôle de l’État.
C’est bien à l’État de dire ce qu’est un signe ou une tenue à caractère religieux
Le principe de laïcité est bien un principe d’indifférence, comme l’implique la loi du 9 décembre 1905 (article 2) : “La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte”. Ce principe ainsi interprété est repris par la Constitution, article 1er : “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale”.
En revanche, indifférence de l’État aux religions ne signifie pas liberté totale : depuis la déclaration des droits de l’homme (article 10), “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi”.
Le juge concilie ces deux textes d’une manière qu’on peut ainsi résumer : chacun ses opinions religieuses, chacun sa manière de les manifester, mais dans le respect de l’ordre public.
La loi énonce les grandes notions
Le rôle de la loi est de fournir des grandes orientations, que l’exécutif met en œuvre (article 34 de la Constitution). Le code de l’éducation ne précise pas ce qu’est un signe ou une tenue à caractère religieux, ne serait-ce parce que la liste serait forcément incomplète et très vite obsolète. C’est donc que le législateur a laissé à l’exécutif, chargé d’assurer le respect des lois et le maintien de l’ordre public, le soin d’interpréter ces notions et de les appliquer au cas par cas, concrètement, sous le contrôle du juge administratif (le Conseil d’État a été saisi d’ailleurs).
L’exécutif apporte les précisions nécessaires à l’application de la loi
Comme dans tous les domaines du droit (hors droit pénal), le législateur crée des grandes catégories juridiques, suffisamment souples pour ne pas être trop vite obsolètes, et l’exécutif définit au cas par cas ce qui entre dans ces catégories (on dit en droit que l’exécutif “qualifie juridiquement les faits”).
En l’occurrence, la loi de 2004 bannit des établissements scolaires les “signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse”. C’est ensuite au gouvernement de définir concrètement ce qu’est une tenue ou un signe religieux, et ce qu’est une tenue ou un signe qui, sans être religieux en soi, manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Le ministre peut toujours consulter les différents ordres religieux pour se faire une idée, mais ce n’est pas à ces derniers de décider, et encore moins à chaque citoyen : la loi doit être la même pour tous, qu’elle autorise ou qu’elle interdise.
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