Selbymay, CC 4.0

Le ministre de l’Education nationale Gabriel Attal souhaite interdire l’abaya à l’école : qu’en dira le juge ?

Création : 30 août 2023
Dernière modification : 31 août 2023

Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Co-auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah

 

Source : TF1 Info, 27 août 2023

L’interdiction de l’abaya dans les écoles n’est conforme à la loi que s’il s’agit réellement d’un vêtement religieux. Si tel n’est pas le cas, le fait de le porter en signe d’appartenance religieux peut aussi justifier l’interdiction. Mais attention à ne pas créer de principe trop rigide et trop général.

Intervenu lors du journal télévisé de 20h de TF1, Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale, a énoncé certaines mesures pour la rentrée scolaire. Parmi celles-ci figure l’interdiction de l’abaya, un vêtement ressemblant à une longue robe, dans les écoles, collèges et lycées. Cette interdiction semble légale, mais attention au risque d’imprécision ou de généralité qui ferait immédiatement réagir le juge administratif.

LES TEXTES ET PRINCIPES EN CAUSE

Le grand principe qui régit les services publics est l’égalité entre les usagers, quelles que soient leurs croyances et leurs opinions. Pour assurer cette égalité entre les usagers, les agents publics doivent respecter une règle de neutralité. Cela signifie qu’ils ne doivent pas montrer d’appartenance religieuse ou politique et ne pas traiter différemment les usagers selon leurs convictions religieuses ou politiques. Le Conseil d’État a dégagé cette obligation de neutralité des agents du service public dans une affaire célèbre Demoiselle Jamet” de 1950. À côté du principe de neutralité du service public s’est ajouté celui de la laïcité, posé par la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, et désormais intégré au premier article de la Constitution de 1958.

L’école, le collège et le lycée constituent un service public soumis à ces principes, comme l’indique d’ailleurs la Constitution (préambule de 1946), et s’agissant de l’organisation comme des agents (enseignants et autres personnels). Mais habituellement, la laïcité ne s’applique pas aux usagers des services publics, sauf pour  les élèves, alors même qu’ils sont usagers du service public de l’enseignement. Il sont en effet astreints au principe de laïcité depuis la loi du 15 mars 2004 qui interdit d’arborer des signes religieux comme un voile, une croix, une kippa, etc., ou de se livrer à des pratiques religieuses comme des prières ou des prêches, qui peuvent être considérées comme des formes de prosélytisme. 

C’est par application de cette loi que le ministre a décidé que l’abaya devait être interdite.

VÊTEMENT CULTUEL OU CULTUREL ?

Le Code de l’éducation prévoit depuis la loi de 2004 que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Reste que la loi de 2004 ne dresse pas un inventaire des signes et tenues à proscrire, car cette liste serait très vite obsolète. Les signes et tenues concernés sont énumérés selon les besoins par des circulaires que le ministre de l’Education adresse aux chefs d’établissement, à charge pour eux d’appliquer la loi ainsi précisée. 

Gabriel Attal a d’ailleurs promis cette circulaire. Si l’on considère que l’abaya est un vêtement à caractère religieux au même titre qu’un voile, alors cette circulaire sera légale. Mais la difficulté sera double. 

D’abord, il faudra déterminer ce qu’est une abaya, et vérifier si un vêtement est bien une abaya, et non une simple robe à motifs orientaux. De ce point de vue, le Conseil d’Etat a déjà identifié un simple bandana à un voile, et a ainsi donné raison aux autorités scolaires, face à une jeune fille et sa famille qui malgré les demandes du corps enseignant “persistait avec intransigeance dans leur refus d’y renoncer”. (Conseil d’État, 5 déc. 2007). 

Ensuite, selon le juge, les “élèves des écoles, collèges et lycées publics peuvent porter des signes religieux discrets”. Sont en revanche interdits “les signes ou tenues, dont le port, par lui-même, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse”, à savoir les kippas ou les voiles. Sont aussi interdits les signes ou tenues différents dont le seul port manifeste ostensiblement une appartenance religieuse “en raison du comportement de l’élève” selon le juge. Autrement dit, peu importe que l’abaya serait un vêtement traditionnel et non religieux, car le fait même de le porter tiendrait du militantisme religieux. C’est ce raisonnement qui a prévalu pour le bandana.

L’ABAYA, UN VÊTEMENT RELIGIEUX EN RAISON DE L’ATTITUDE DE CELLE QUI LE PORTE ?

C’est là que le raisonnement peut s’avérer fragile, et que le juge peut hésiter, d’autant qu’il sera saisi par LFI comme cela a été annoncé par le député Manuel Bompard. L’abaya est considérée par certains comme un vêtement purement culturel, porté traditionnellement par les femmes en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique, sans connotation religieuse. Il ressemble fort à une djellaba, qui n’a aucun caractère religieux. Si tel est le cas, interdire l’abaya impliquerait d’interdire un vêtement breton ou alsacien à l’école, et de manière générale tout vêtement considéré comme folklorique. Ce serait illégal. 

Cela signifie que dans chaque cas, il faudra déterminer si l’élève porte ce vêtement traditionnel en hommage à sa culture, ou en raison de son culte d’appartenance. A en croire la décision du juge de 2007 sur le bandana à l’école, c’est l’attitude de l’élève qui sera déterminante, par exemple si elle porte ce vêtement en permanence et refuse de s’en défaire, même pour les activités sportives. Ainsi, à supposer que l’abaya ne soit pas un vêtement religieux en soi, il peut le devenir par intention… Osons une comparaison : le gilet jaune n’est pas en soi un vêtement manifestant un mécontentement… il l’est pourtant devenu pendant près d’une année, au point que certains maires sympathisants en ont ostensiblement revêtu leur hôtel de ville.

C’est tout cela que devra rappeler la circulaire Attal : si elle est trop générale et décrit de manière trop globale la notion d’abaya, le juge risque d’annuler.

Contacté, le ministère de l’Éducation nationale n’a pas exercé son droit de réponse.

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