Naufrage du bateau de migrants au large de la Grèce : qui aurait dû les secourir ?
Auteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Cet article est une adaptation d’un article déjà publié et rédigé par Emilie Lenain, doctorante en droit des migrations à l’Université d’Angers (chercheure Alliance Europa) et Denys-Sacha Robin, maître de conférences en droit public à l’Université Paris-Nanterre
Dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, un navire de pêche en provenance de Libye a coulé dans les eaux internationales à 87 km de la Grèce, transportant, d’après plusieurs témoins, jusqu’à 750 personnes. La Grèce, Frontex, les ONG, la Libye… qui aurait dû leur porter secours ?
Dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, un navire de pêche en provenance de Libye a coulé dans les eaux internationales à 87 km de la Grèce. À bord, près de 750 personnes tentaient de rejoindre l’Italie par la Méditerranée, 80 morts sont pour l’heure dénombrés et plusieurs centaines sont encore portées disparues.
L’Agence européenne des gardes-côtes et gardes-frontières, Frontex, a déclaré que “l’avion de surveillance Frontex avait détecté le navire mardi 13 juin à 9h47 et en avait immédiatement informé les autorités compétentes”. Cet événement permet aux Surligneurs de faire le point sur les obligations qui incombent aux États membres, à l’Agence européenne et aux capitaines de navires en mer lorsqu’un navire est en détresse.
N’importe quel capitaine doit porter secours à des personnes en détresse en mer
Tout d’abord, il incombe au capitaine de tout navire de “prêter assistance à quiconque est trouvé en péril en mer” (article 98, Convention des Nations Unies sur le droit de la mer). L’assistance doit être portée le plus vite possible (Chapitre 5, § 33-1 de la Convention SOLAS), à toute personne, sans discrimination et sans aucune considération pour les circonstances dans lesquelles elles sont trouvées (Chapitre 2, § 2.1.10 de la Convention SAR). En pratique, cette assistance doit donc être portée par des gardes-côtes comme par des capitaines de yacht ou de navires d’ONGs, lorsqu’ils sont en mer et qu’ils identifient l’état de détresse d’un navire.
L’état de détresse d’une personne en mer, qui oblige les capitaines à intervenir, ne correspond pas seulement au naufrage effectif du navire à bord duquel elle se trouve. Il y a détresse dès lors qu’un navire ou les personnes à son bord se trouvent menacés par un danger grave et imminent (Chapitre 1, § 1.3.11 de la Convention SAR). Le règlement sur la surveillance maritime précise différents critères d’évaluation de la détresse, notamment : l’absence de personnel qualifié à bord, le nombre de passagers rapporté au type de navire, l’existence d’équipements de sécurité, la présence de femmes enceintes, d’enfants, de personnes décédées ou de personnes ayant besoin d’assistance médicale urgente (article 9, § 2, f).
Les États membres doivent agir, Frontex ne peut leur apporter qu’un soutien
D’après le règlement Frontex, concernant les opérations de sauvetage en mer, l’Agence doit “assister les États membres dans les situations qui exigent une assistance technique et opérationnelle” (article 10 §1, g et f). Ainsi, c’est parce qu’un État membre – dit État hôte – sollicite l’aide de Frontex que cette dernière peut lui apporter son soutien, par exemple, en renforçant les effectifs de l’État hôte avec des gardes frontières européens (appelé le corps permanent).
En pratique, ce soutien se caractérise par plusieurs moyens comme l’échange d’informations via le système EUROSUR ou des opérations de surveillance aérienne dans certaines zones qui donnent lieu à des alertes – notamment informant de la détresse des navires – à l’attention des autorités des États membres, comme ce qui a été allégué par Frontex en réaction au naufrage en juin 2023.
Les personnes doivent être débarquées en lieu sûr dans les meilleurs délais
Enfin, le droit de la mer n’impose aucunement de débarquer les personnes secourues dans le port le plus proche. Les États intéressés doivent se coordonner afin d’assurer un débarquement “dans les meilleurs délais raisonnablement possibles” et “en lieu sûr” (Chapitre 3, § 3.1.9 de la Convention SAR). Le droit de la mer n’impose aucunement de débarquer les personnes secourues dans le port le plus proche.
Or, le droit international définit le lieu sûr de débarquement comme un port dans lequel la vie et la sécurité des personnes n’est plus menacée et leurs besoins et droits fondamentaux sont respectés (résolution MSC.167 du Comité maritime pour la sécurité adoptée en 2004). Dans ces conditions, le retour des migrants à leur port de départ en Libye peut être considéré comme illicite (c’est-à-dire contraire au droit international) compte tenu des risques qu’ils encourent. Quant aux États de la région, comme la Grèce, ils ont l’obligation de coopérer afin d’identifier un lieu sûr de débarquement accessible dans un délai raisonnable.
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