Immigration : Eric Ciotti souhaite que l’asile soit examiné à l’extérieur du territoire français et entend modifier la Constitution dans ce sens
Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani
Source : France Info, 14 juin 2023
Examiner les demandes d’asile à l’extérieur du territoire français est contraire au principe de non-refoulement des demandeurs d’asile. Modifier la Constitution pour se soustraire à ce principe n’est d’aucun secours si parallèlement la France ne sort pas des traités internationaux ou ne négocie pas des dérogations
Le développement de l’externalisation de la demande d’asile
Le projet de loi Immigration n’est pas encore examiné au Parlement que les débats s’enflamment déjà. Eric Ciotti a présenté les dispositions qu’il souhaite voir intégrer dans ce projet. Parmi celles-ci figure l’examen de l’asile à l’extérieur du territoire français. En conséquence, le demandeur d’asile qui entrerait en France illégalement pour demander l’asile serait ainsi expulsé le temps que l’administration prenne sa décision, et réintégré si l’asile lui devait lui être accordé. Si l’étranger se présentait à nos frontières, il serait refoulé et invité à présenter sa demande d’asile dans un autre Etat (auprès de nos ambassades et services consulaires) à déterminer.
Le Danemark et le Royaume-Uni tentent déjà de mettre en place un tel dispositif en délégant l’examen de la demande d’asile à un Etat partenaire, par exemple le Rwanda. L’Union européenne et l’ONU ont alerté sur la mise en œuvre de tels procédés, qu’elles jugent contraires au principe de non-refoulement.
Le non-refoulement, principe majeur des droits international et européen
Le principe de non-refoulement, intégré dans la Convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugiés, interdit aux États parties de renvoyer une personne vers un pays dans lequel elle craint d’être persécutée. La France étant partie à cette Convention, elle est tenue de s’y conformer, selon l’article 55 de la Constitution. La France est également engagée à respecter ce principe au niveau européen, puisqu’il est prévu dans le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne.
Modifier la Constitution ne suffit pas à se soustraire au droit européen
Pour contourner cet obstacle, Eric Ciotti a déjà émis le souhait de modifier notre Constitution. Si le refoulement est inscrit dans la Constitution alors qu’il demeure interdit dans les textes internationaux et européens, les juridictions nationales devront se conformer à la Constitution, mais la France sera condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme
Si, sans inscrire le refoulement dans la Constitution, Eric Ciotti entend y introduire des réserves quant à l’application des droit international et européen, là encore, la France aura maille à partir avec la Cour de Justice, car cela remet en cause la supériorité des normes internationales sur les normes nationales, fondamentale en droit européen (Cour de Justice des Communautés européennes, Costa c. Enel, 1964). Ce renversement de la hiérarchie des normes remettrait en cause les accords internationaux que la France a signés et ratifiés, et exposerait aussi notre pays à des condamnations par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Erreur sur la voie juridique : c’est à Bruxelles qu’il faut négocier et même plus loin !
En somme, se borner à modifier la Constitution n’a rien de magique au sens où cela ne nous soustrait pas au droit international ou européen. Eric Ciotti se trompe de voie juridique : en réalité, son projet nécessite de se retirer officiellement des différents accords et traités internationaux, ou de négocier des dérogations, comme l’ont fait certains pays comme le Danemark à l’égard du droit européen, avec cependant beaucoup d’obstacles. Et dans ce cas d’ailleurs, il n’y aurait même plus besoin de modifier la Constitution !
Et encore, cela ne soustrait pas la France du respect des principes issus de l’ONU et du Conseil de l’Europe. Les Nations Unies sont les gardiennes de la Convention de Genève et protègent donc le principe non-refoulement, qui est aussi un principe du droit coutumier international, tout comme l’Union européenne (Cour de Justice de l’Union européenne, 14 mai 2019) et le Conseil de l’Europe (Cour européenne des Droits de l’Homme, 7 juillet 1989).
Quant au droit de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège aussi le principe de non-refoulement, le seul moyen serait de renégocier notre engagement ou d’en sortir. La Russie l’a fait en 2022…
Contacté, Eric Ciotti n’a pas répondu aux Surligneurs.
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