Bataille autour des drapeaux français et européen : et les couleurs deviennent politiques

Elliott Brown (C.C 2.0)
Création : 17 mai 2023
Dernière modification : 16 mai 2023

Auteur : Thierry Meneau, historien du droit, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani

 

D’où vient le drapeau tricolore ? Comment le bleu, couleur modérée et consensuelle, se retrouvera sur le drapeau européen ?

Le 9 mai 2023, l’Assemblée nationale discute de la proposition de loi visant à rendre obligatoire le pavoisement des drapeaux français et européen sur le fronton des mairies.

Le député, Rassemblement national, Jean-Philippe Tanguy déclare dans le débat : “Il n’y a que trois couleurs, trois couleurs, face auxquelles les Français s’inclinent devant leurs morts, dans leurs écoles, dans nos cérémonies : le blanc, le bleu, le blanc et le rouge (sic)”. Accordons au jeune tribun de ne pas avoir volontairement confondu les couleurs françaises avec les couleurs russes. La vexillologie (branche de l’histoire des drapeaux, bannières, étendards, etc.) n’étant pas une science aisée, l’on doit admettre que, emporté par sa verve, tout à son désir de magnifier l’emblème national, il ait pu commettre un lapsus…

Ces couleurs nous marquent si profondément que le professeur Antonetti livre une histoire contemporaine, où il distingue la France des blancs et des bleus, puis la France des bleus et des rouges.

L’avènement du drapeau tricolore à la Révolution de 1789

A la fin du XVIIIème siècle, la combinaison des couleurs blanc, bleu et rouge est à la mode. Ces couleurs sont celles de la révolution américaine, et elles se retrouvent sur le drapeau de la jeune république des États-Unis d’Amérique. La France, qui a participé à ce combat, s’affiche en tricolore. Ce faisant, il convient de le souligner, les États-Unis reprenaient surtout les couleurs du drapeau britannique, le célèbre Union Jack… Au lendemain du 14 juillet 1789, les trois couleurs s’imposent notamment sur les cocardes, puis très lentement et avec bien des hésitations, parmi les drapeaux officiels. Le 27 pluviôse an II (15 février 1794), la Convention nationale, par décret, décide que pour “tous les vaisseaux de la République” il n’y aura plus qu’un pavillon unique avec trois bandes verticales de même largeur aux couleurs nationales, le bleu près de la hampe. Ce pavillon deviendra progressivement le drapeau français. 

Le drapeau tricolore subira une éclipse de 1814 à 1830, ou le drapeau blanc – qui symbolise la royauté – s’imposera avec Louis XVIII et Charles X. C’est sur les barricades des 27, 28, et 29 juillet 1830, qu’il fera sa réapparition : le duc d’Orléans fait son entrée en scène le 31 juillet 1830, au balcon de l’Hôtel de ville de Paris avec La Fayette, tenant dans ses mains le drapeau tricolore, l’acclamation de la foule tenant lieu de ratification populaire. Cette scène avait été précédée par une déclaration de Thiers et de Mignet, affichée dans les rues de Paris, le 30 juillet 1830. Les auteurs y récusaient la République et imposaient le duc d’Orléans : “Le duc d’Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution. Le duc d’Orléans est un roi-citoyen. Le duc d’Orléans a porté au feu les couleurs tricolores ; le duc d’Orléans peut les porter encore”. La France avait retrouvé ses “couleurs nationales”, lesquelles connurent encore deux menaces.

L’épisode du drapeau rouge

Au matin du 24 février 1848, en effet, Paris s’éveille couvert de barricades ; Louis-Philippe abdique en faveur de son petit-fils, mais la tentative d’instaurer une régence échoue et la République est proclamée. Brandi par les insurgés, le drapeau rouge les accompagne le 25 février à l’Hôtel de ville. Ils demandent son adoption officielle en tant que “symbole de la misère du peuple et signe de rupture avec le passé”. En réponse, le poète Lamartine, membre du gouvernement provisoire, prononce le fameux discours : “Le drapeau rouge que vous m’apportez est un pavillon de terreur (…) qui n’a jamais fait que le tour du Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple, tandis que le drapeau tricolore a fait le tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie”. Les trois couleurs sont sauvées. Le drapeau rouge tentera de s’imposer une dernière fois avec la Commune de Paris en 1870, mais ce Paris rouge et insurgé sera vaincu par les troupes tricolores de Versailles et de Thiers.

La tentative manquée de réinstauration du drapeau blanc

Ultime menace, le drapeau blanc est revendiqué par le comte de Chambord. Des élections législatives de 1871 ont résulté une majorité monarchiste, mais divisée entre les Bourbons et les Orléanistes. Dès 1871, le comte de Chambord avait fait savoir, depuis son château (de Chambord) : “je ne laisserai pas arracher de mes mains l’étendard d’Henri IV, de François 1er et de Jeanne d’Arc. [] Je l’ai reçu comme un dépôt sacré du vieux Roi mon aïeul, mourant en exil. Il a toujours été pour moi inséparable du souvenir de la patrie absente, il a flotté sur mon berceau et je veux qu’il ombrage ma tombe. Dans les plis glorieux de cet étendard sans tache, je vous apporterai l’Ordre et la Liberté. Henri V ne peut abandonner le drapeau blanc d’Henri IV”.

Cette exigence de l’héritier des Bourbons, ajoutée au manque d’entrain des Orléanistes, et aux manœuvres de Mac-Mahon, firent échouer la restauration de la monarchie… et de son drapeau blanc. La Troisième République, ainsi que l’indique Guy Antonetti, est née « du mariage de raison conclu entre des républicains modérés et des royalistes résignés » (Histoire contemporaine, politique et sociale, PUF, 1999.)

C’est alors que les couleurs deviendront politiques. Le blanc restera associé à la monarchie de l’Ancien Régime et à la nostalgie des monarchistes légitimistes. Le rouge demeurera la couleur de la rupture, de l’ordre nouveau : il deviendra la couleur des partis socialistes et révolutionnaires, puis des partis communistes.

Le bleu enfin symbolisera le compromis. Le bleu était la couleur des armoiries royales, avant de devenir au XIIIème siècle, celle de l’État. La Révolution achèvera cette évolution en faisant du bleu la couleur de la Nation. Le bleu deviendra alors une couleur républicaine, puis avec le temps, il sera débordé sur sa gauche par le rouge : il se neutralisera.

Léon Coignet, 1830, Paris, BnF, estampes et photographie

 

Du bleu de France au bleu européen

Le 25 octobre 1955, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (créé en 1949) proposa à l’unanimité un emblème d’azur portant une couronne de douze étoiles d’or. Le 9 décembre 1955, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe adopta cette bannière étoilée, inaugurée solennellement à Paris le 13 décembre de la même année. 

En 1983, le Parlement européen adopta le drapeau créé par le Conseil de l’Europe en préconisant qu’il devienne également l’emblème de la Communauté européenne (née en 1957, devenue depuis Union européenne). Le Conseil européen approuva cette proposition en juin 1985, et c’est depuis 1986 que les institutions de l’Union européenne utilisent ce drapeau.

C’est parce que le bleu est reconnu par tous comme une couleur politique modérée et consensuelle qu’il est devenu une couleur internationale adoptée par les grands organismes comme l’ONU, l’Unesco, l’Union européenne. Symbole universel de la paix, les casques bleus de l’ONU œuvrent de par le monde à la promotion de cette même paix, le bleu s’impose.

Le bleu est un sensible trait d’union entre la France des rois et l’Europe des peuples.

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