Déréglementation des nouvelles techniques de sélection des plantes au niveau européen : l’édition génétique comme outil d’adaptation à la sécheresse
Rédactrices: Louise Le Gall et Marie-Lou Burvingt, master de droit international et européen, Université Paris-Saclay
Relecteur : Vadim Jeanne, docteur en droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani, Loïc Héreng et Yeni Daimallah
L’agriculture est l’un des secteurs les plus touchés par la sécheresse. L’une des solutions envisagées par l’Union européenne pour lutter contre le changement climatique est l’utilisation des nouvelles techniques de sélection des plantes (new breeding techniques, NBT). La Commission européenne devrait proposer une nouvelle législation sur ces nouvelles techniques de sélection végétale au cours du second trimestre 2023. Or ces techniques sont assimilables à celles des organismes génétiquement modifiés (OGM), et pourtant elles seraient exclues du régime restrictif qui leur est appliqué ce qui ne va pas sans contestations.
LE DÉVELOPPEMENT DES NBT CONTRE LES EFFETS DE LA SÉCHERESSE
Le 29 avril 2021, la Commission européenne a publié une étude relative aux NBT. Elle les définit comme des techniques “capables d’altérer le matériel génétique d’un organiques et qui sont apparues ou se sont développées depuis 2001, date à laquelle la législation actuelle sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) a été adoptée”. Cette expression renvoie donc à une multitude de techniques d’édition du génome, comme la nucléase à doigt de zinc (ZFN) ou les nucléases effectrices de type activateur de transcription (TALEN). Contrairement aux OGM, les NBT n’introduisent pas de gène extérieur dans une plante : elles modifient seulement un gène déjà existant dans l’ADN de cette plante. Le système dit CRISPR/Cas9 est un exemple de ces nouvelles techniques de ciseaux moléculaires, qui permet de découper l’ADN de façon précise.
Le développement de ces techniques pourrait permettre de lutter contre les effets du changement climatique (à défaut de lutter contre le changement lui-même). En effet, les plantes issues des NBT seraient plus résistantes à la sécheresse, nécessitant moins d’eau. L’Argentine a par exemple autorisé la commercialisation du blé HB4 qui résiste à la sécheresse, alors que l’Amérique du Sud subit de fortes pénuries d’eau. Au-delà de la sécheresse, les produits issus des NBT pourraient être plus résistants contre les maladies. La question du régime juridique de ces techniques d’édition du gène n’est toutefois pas résolue.
QUEL RÉGIME JURIDIQUE POUR LES NBT ?
Comme il n’existe pas encore de norme européenne régissant la question des NBT, ces techniques ont pu être assimilées à celle des OGM par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Ainsi, le sort du développement des NBT est lié au régime actuel des OGM, très restrictif. Ce régime est issu de deux directives de 1990 (directives 90/219 et 90/220) qui ont depuis été modifiées, mais qui gardent toujours la même définition des OGM : ces derniers sont définis en droit de l’Union comme des organismes, “à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ ou par recombinaison naturelle”.
La directive de 2001 avait déjà envisagé l’évolution future des techniques en prévoyant qu’elle ne s’appliquerait pas aux “organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps”. Cette définition reste assez floue et pourrait être soumise à une interprétation évolutive de la Cour de Justice, pour englober les NBT.
Selon le droit de l’Union européenne, les États membres ont l’interdiction de mettre sur le marché ou de disséminer dans l’environnement un OGM sans autorisation préalable délivrée suite à une évaluation concrète des risques pour la santé et l’environnement. Une fois cette autorisation obtenue, les OGM sont soumis à une surveillance, une traçabilité et un étiquetage. La question s’est donc posée de savoir si les NBT entraient ou non dans le cadre de la directive de 2001 et devaient être traités comme des OGM.
LES NBT SONT-ELLES DES OGM ?
Par une décision du 25 juillet 2018, la Cour de Justice de l’Union Européenne a considéré que les organismes génétiquement édités tel que les NBT tombaient sous le régime des OGM tel que défini par la directive de 2001. Cette décision a mis en lumière le besoin de renouveler la réglementation des OGM pour prendre en considération les nouvelles techniques scientifiques. En avril 2019, par une lettre ouverte, plus de vingt associations professionnelles européennes demandaient à la Commission de renouveler cette législation. Ces associations considèrent que le régime actuel des OGM et la décision de la CJUE mettent un frein à la compétitivité et à la recherche européenne pour les NBT. Début novembre 2019, le Conseil de l’Union européenne a invité la Commission à soumettre une étude concernant le “statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l’Union” (Décision (UE) 2019/1904).
L’assimilation des NBT aux OGM est en effet contestée scientifiquement. L’EASAC (European Academies Science Advisory Council) considère que les produits de l’édition génétique ne devraient pas être régis par la directive de 2001 lorsqu’ils ne contiennent pas d’ADN étranger. Pour l’EASAC, l’Union européenne devrait s’interroger sur les potentiels risques du produit plutôt que sur les techniques utilisées, d’autant que les mutations génétiques mises en œuvre dans le cadre des NBT peuvent survenir naturellement, contrairement aux OGM. Cela justifierait une différence de régime juridique entre NBT et OGM. Cette opinion est partagée par l’industrie de la sélection végétale. De plus, il est en l’état des techniques particulièrement difficile de vérifier si une plante a ou non été soumise à une telle technique, ce qui rend les contrôles inopérants. L’Office fédéral allemand de protection du consommateur et de sécurité alimentaire considère que l’on ne peut pas déterminer si une mutation ponctuelle dans le génome d’une plante a été induite par l’édition du génome ou par un phénomène naturel.
À l’inverse, d’autres instances comme l’Office fédéral allemand de protection de la nature et des associations environnementales considèrent que les organismes produits par des NBT entrent dans la définition des OGM selon la directive de 2001, s’appuyant sur le fait que les modifications génétiques sont produites volontairement et entraînent l’incorporation de matériels dans l’organisme hôte. De plus, ces modifications génétiques peuvent être multipliées, ce qui entraînerait des modifications majeures et des effets imprévus. L’Agence fédérale pour l’environnement autrichienne souligne que ces techniques sont souvent combinées et, qu’en application du principe de précaution, elles nécessitent une appréciation au cas par cas. Le 7 février 2023, une pétition a été présentée devant les représentants de la Commission et du Parlement européen, soutenue par les eurodéputés écologistes et socialistes, et signée par 420 000 citoyens européens. Ces députés souhaitent que les NBT, comme tous les OGM, continuent d’être soumis aux obligations de réglementation et d’étiquetage selon la directive de 2001.
UNE SORTIE PROCHAINE DES NBT DU RÉGIME DES OGM ?
Dernièrement, une décision du 7 février 2023, la Cour de Justice a semblé faire évoluer sa jurisprudence favorablement aux NBT : elle a considéré que les organismes obtenus par la mutagénèse aléatoire in vitro (une des techniques NBT) sont exclus du champ de la directive de 2001 et donc de la définition des OGM. La proposition de la Commission européenne pourrait définitivement sortir les NBT du régime des OGM, afin de pouvoir développer des techniques de lutte contre les effets du changement climatique, et notamment de la sécheresse. Cette proposition s’inscrirait donc dans les objectifs du Green Deal et notamment de la stratégie “de la ferme à la table” de la Commission.
Le sujet reste toutefois controversé, et l’avenir des NBT apparaît toujours incertain. En effet, bien que la Commission semble favorable à une déréglementation, le projet devra d’abord être soumis aux trilogues, ces réunions tripartites informelles portant sur des propositions législatives entre les membres du Parlement, du Conseil et de la Commission. L’accord devra ensuite être voté au Parlement, alors qu’en 2024 auront lieu de nouvelles élections des députés européens. Le parcours législatif européen des NBT risque d’être encore long et semé d’embûches.
Dans le cadre d’un partenariat avec le Master 2 de droit international et européen (parcours général) de l’Université Paris-Saclay, Les Surligneurs vous proposent une sélection d’articles entre mai et juin 2023. Plus d’articles peuvent être consultés sur le site internet de l’Observatoire du Green Deal.
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