Militaires, mercenaires, contractors : Prigogine, le chef de Wagner, tente une rébellion armée. Le point sur les types de forces en présence
Dernière modification : 3 juillet 2023
Auteur : Jean-Philippe Siebert, master des métiers de l’administration, Université de Haute-Alsace
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
L’invasion de l’Ukraine par la Russie prend une nouvelle tournure depuis ce vendredi 23 juin. La milice Wagner, dirigée par Prigogine, appelle à la rébellion contre le commandement militaire russe. Mercenaires, contractors, volontaires internationaux… Souvent confondus dans les médias, ces acteurs non étatiques sont pourtant distincts et qualifiés séparément par le droit. Explication.
Dans son discours à la nation, Vladimir Poutine parle d’une “trahison” et d’un “coup de poignard dans le dos”. La veille, vendredi 23 juin, le chef de la milice armée Wagner, forte de 25 000 hommes et qui combat aux côtés de l’armée russe en Ukraine, a appelé à se retourner contre le commandement militaire russe, et affirme désormais avoir pris le contrôle de Rostov-sur-le-Don, le quartier général de l’armée de l’invasion de l’Ukraine.
Si les armées régulières sont légalement et logiquement les plus impliquées dans les conflits, elles y sont rarement seules. Depuis quelques décennies, on observe même la multiplication des acteurs sur les champs de bataille. Aujourd’hui, il est très rare qu’une guerre engage uniquement les armées régulières. Pour des raisons économiques et politiques, les États s’appuient de plus en plus sur des combattants non militaires qui offrent la possibilité d’opérer discrètement. Certains sont des guerriers indépendants offrant leurs services contre rémunération, d’autres sont des salariés d’entreprises privées de défense, d’autres enfin sont des bénévoles qui s’engagent dans un conflit par pure idéologie. Leurs motivations divergent, et leur statut juridique également.
Quelques définitions utiles
Les différentes Conventions de Genève et leurs deux Protocoles complémentaires ont progressivement défini puis précisé des statuts garantissant une protection aux différents protagonistes d’un conflit. Sont considérés comme “combattants” l’ensemble des personnes participant aux opérations militaires, qu’elles soient directement intégrés aux forces armées, qu’elles répondent à ordres des forces armées, ou qu’elles prennent part aux hostilités de manière ostensible. Cette définition vise à identifier a contrario la population civile, les traités interdisant de la cibler.
La participation aux opérations militaires se caractérise par le port ou le maniement d’équipements militaires et d’armes, ainsi que l’engagement réel au combat. Si des personnes remplissent uniquement des fonctions de support logistique, elles sont alors considérées comme des civils et ne peuvent pas être prises pour cible. Le critère central du combattant correspond autant à l’engagement manifeste dans les hostilités qu’à la perpétration de dommages matériels ou humains chez l’ennemi.
En cas de capture, il devient prisonnier de guerre. Aux termes de l’article 44 du Protocole II de 1977, il ne peut pas faire l’objet d’un jugement (du moins s’il a respecté les lois et coutumes de la guerre), et il doit être libéré une fois la guerre terminée. Ainsi, un prisonnier de guerre ne saurait être jugé et condamné pour avoir tiré sur l’ennemi ou détruit des infrastructures. Seuls des actes délictueux ou criminels pourraient autoriser son incrimination – et donc son jugement par l’État qui l’a capturé – , sans pour autant le priver des garanties judiciaires.
Les prisonniers de guerre doivent être protégés en tout temps, notamment contre tout acte de violence ou d’intimidation, contre les insultes et la curiosité publique. Les mesures de représailles à leur égard sont interdites. Ils doivent faire l’objet d’un traitement décent, excluant toutes brimades ou tortures. Depuis la troisième Convention de Genève, le statut de prisonnier de guerre n’est plus réservé aux seuls combattants membres des forces armées régulières. Il peut aussi être accordé aux civils qui prennent part directement aux hostilités, aux membres de mouvements de résistance ou aux personnes participant à des soulèvements populaires.
Le mercenaire défini par le droit
Selon l’article 47 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, le mercenaire se définit comme un individu spécialement recruté dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé qui répond aux six caractéristiques suivantes : il est spécialement recruté dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ; il prend une part directe aux hostilités ; il prend part aux hostilités essentiellement en vue d’obtenir un avantage personnel conséquent, très souvent une forte rémunération ; il n’est ni ressortissant d’une partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une partie au conflit ; il n’est pas membre des forces armées d’une partie au conflit, ni d’un État tiers qui l’aurait envoyé ; il n’a pas été envoyé par un État autre qu’une partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État. Cette définition est très restrictive car elle s’applique seulement aux conflits armés internationaux et exige que tous les critères soient remplis.
Bien connus dans la culture populaire, les mercenaires sont donc des combattants aguerris qui offrent leurs compétences à un État ou à une entreprise en échange d’avantages lucratifs. Souvent dépeints comme des personnages sans foi ni loi, ils sont mis au ban par le droit international. La figure française de Bob Denard, surnommé “le corsaire de l’Afrique” ou “le prince des Comores”, vient immédiatement à l’esprit. D’abord utile aux intérêts français dans le contexte des guerres de décolonisation, il fut ensuite combattu par l’armée française puis jugé et condamné.
Les mercenaires, qui sont des civils, n’ont pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de guerre, ni à aucun autre statut de personnes protégées prévu par les conventions de Genève, à moins qu’ils ne soient blessés ou malades. Ils doivent toutefois toujours être traités avec humanité. S’ils sont tenus pour pénalement responsables des crimes de guerre ou graves infractions du droit humanitaire qu’ils commettraient, ils ont droit aux garanties fondamentales dont bénéficient tous les individus, y compris l’assurance d’un procès équitable.
De nombreux pays et organisations internationales sanctionnent aujourd’hui les pratiques mercenariales, comme la France depuis 2003.
Le contractor, un professionnel salarié toléré par le droit, recruté par les sociétés militaires privées
Parfois surnommés néo-mercenaires, les contractors sont des individus civils recrutés par des sociétés militaires privées, lesquelles concluent des contrats avec des États ou des entreprises pour leur mettre à disposition tout un éventail de services.
En droit international humanitaire, les personnels des sociétés militaires privées peuvent être qualifiés de combattants s’ils sont effectivement incorporés aux forces armées classiques telles que définies par l’article 43 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève. Si les contractors agissent clairement hors du cadre des forces armées classiques, un flou juridique subsiste pour qualifier ces employés. En tout état de cause, et comme le mercenaire, le contractor doit obligatoirement bénéficier d’un traitement garantissant sa dignité et sa sécurité.
La privatisation massive de certaines missions liées à la défense nationale partout dans le monde favorise l’essor de ces entreprises d’un nouveau genre : les sociétés militaires privées. L’apparition de ces nouveaux acteurs a obligé les autorités nationales et internationales à ériger un cadre juridique pour réguler leurs activités privées de défense. Cependant, ces normes récentes ne sont pas contraignantes et constituent simplement des codes de bonne conduite à l’attention des sociétés militaires privées et des acteurs qui les sollicitent.
Les sociétés militaires privées sont régulièrement critiquées pour leurs activités et certaines actions condamnables. Ainsi, la société américaine Blackwater (rebaptisée Academi depuis) avait vu certains de ses agents déployés en Irak ouvrir le feu sans raison sur des civils en 2007. Les sociétés militaires privées des États-Unis forment la colonne vertébrale de la politique étrangère américaine, permettant à Washington de maintenir son emprise à travers le monde. Les derniers conflits menés par les Américains (Afghanistan, Irak, Syrie…) témoignent du caractère central des sociétés militaires privées : le ratio correspond généralement à 5 0% d’agents privés.
Aujourd’hui, c’est surtout le groupe Wagner qui fait parler de lui. Engagée en Syrie fin 2015, en soutien du régime de Bachar-el Assad, cette entreprise russe, devenue aussi un empire économique, opère sur le continent africain et combat aussi en Ukraine dans le cadre de l’offensive décidée par le Kremlin, notamment à Bakhmout. Tout comme Academi sert les intérêts américains, Wagner sert les intérêts russes. Les sociétés militaires privées constituent un atout considérable pour les États, car elles attirent un grand nombre d’anciens commandos qui se reconvertissent ainsi. Dans le cas de Wagner, ces sociétés permettent même de libérer des places en prison en recrutant des détenus au mépris de l’indépendance du pouvoir judiciaire russe et de l’État de droit.
D’une façon générale, les États rechignent à encadrer strictement les sociétés militaires privées puisque celles-ci doivent accomplir des missions que précisément les armées régulières ne peuvent effectuer, pour des raisons pratiques ou juridiques. Les sociétés militaires privées évoluent dans une zone grise du droit, ce qui profite évidemment à leurs États d’origine : ce sont les chevilles ouvrières des nouvelles politiques de défense. Parmi les grandes puissances, seule la France boude les sociétés militaires privées, pour des raisons historiques et philosophiques concernant la souveraineté.
Le volontaire international, un bénévole ignoré du droit
Les combattants volontaires internationaux sont des individus quittant leur pays d’origine ou de résidence pour prendre part à un conflit armé à l’étranger de leur plein gré, sans y être envoyés par leur gouvernement et sans avoir pour motivation principale l’espoir d’un gain matériel. Contrairement aux mercenaires et aux contractors, l’aspect lucratif ne motive pas leur engagement. Le droit international ne comporte aucune définition claire du combattant volontaire international. S’ils ne sont pas intégrés dans une armée régulière, les volontaires en armes n’ont, pas plus que les mercenaires, droit au statut de combattants ou de prisonniers de guerre. Plusieurs pays incorporent toutefois ces volontaires dans leurs forces armées, comme la France avec sa Légion étrangère. Cette absorption des volontaires internationaux dans les forces régulières leur octroie les garanties offertes aux militaires en cas de conflit. En dehors de ce cas, le traitement des volontaires internationaux varie d’une législation à l’autre. Néanmoins, juridiquement parlant, la nuance est souvent très fine entre volontaires et mercenaires. Les premiers nommés frôlent les seconds dès lors qu’ils sont rétribués, peu importe la non-vénalité de leur engagement initial.
Ajoutons qu’au-delà du droit, la distinction entre ces catégories de combattants a aussi un rôle politique : un État peut avoir intérêt à présenter certains individus comme des mercenaires soit pour se démarquer de leur action, soit pour justifier de les combattre. Dans le cas des volontaires, c’est le même raisonnement : l’État opposé à ces combattants les qualifie de mercenaires, quand l’État favorable les présente comme volontaires. Les mots ont leur importance en temps de guerre.
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