Philippe Martinez : « Remplacer des grévistes, c’est illégal »

Création : 20 mars 2023

Auteur : Vincent Reif, master de droit public – études législatives et parlementaires, Aix-Marseille Université

Relecteurs : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Nantes Université

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani

Source : BFMTV, 14 mars 2023, 21’

Il est clairement interdit d’embaucher un CDD ou un intérimaire pour remplacer un gréviste. L’employeur peut toutefois faire appel à un prestataire de services pour exécuter en sous-traitance les missions de son employé gréviste, à condition de trouver le même savoir-faire.

Dans un contexte de grève généralisée alimentée par la récente utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, de nombreuses entreprises fonctionnent péniblement avec un effectif réduit. Invité sur BFMTV le 14 mars dernier, le syndicaliste Philippe Martinez a d’ailleurs affirmé que “remplacer des grévistes, c’est illégal”. Si cette affirmation est vraie, il existe cependant plusieurs moyens de faire exécuter les tâches d’un salarié gréviste par quelqu’un d’autre. 

Ce qui est interdit : embaucher un remplaçant en CDD

 Par principe, le Code du travail interdit le remplacement d’un salarié gréviste par un employé embauché en contrat à durée déterminée (CDD). Ceci n’empêche pas d’exiger d’un employé en CDD déjà présent dans l’entreprise, qu’il accomplisse les tâches qui revenaient au salarié gréviste. La Cour de cassation veille à ce que cette interdiction ne soit pas contournée :  l’embauche en CDD doit être antérieure au début de la grève, et ne doit pas avoir pour objet d’anticiper une grève possible, c’est-à-dire une embauche en CDD en prévision d’un conflit du travail. De plus, ces missions confiées à l’agent en CDD ne doivent pas s’ajouter à ses missions habituelles. La Cour de cassation le précise : il ne faut pas que ces activités supplémentaires augmentent de façon significative l’amplitude horaire des salariés en CDD, c’est-à-dire le temps écoulé, dans une journée, entre leur première prise de poste et la fin de leur service. Cette amplitude inclut d’ailleurs le temps de pause, mais il reste possible d’accorder des heures supplémentaires au salarié en CDD pour compenser.

Le Code du travail interdit strictement le recours à l’intérim afin de remplacer les salariés grévistes, et cela même si l’intérimaire était déjà présent dans l’entreprise au début de la grève.

Ce qui est possible : la sous-traitance

La sous-traitance consiste pour l’employeur, à demander à un prestataire de services privé, indépendant, d’exécuter les missions d’un employé absent, moyennant rémunération. La sous-traitance n’est pas interdite, par exemple pour remplacer un salarié malade. Mais elle ne peut avoir pour but d’effectuer le travail des salariés grévistes.

Toutefois, l’entreprise peut recourir aux services d’une autre entreprise afin d’assurer la continuité de son activité, et cela dans des conditions bien précises. En effet, l’employeur conserve le droit d’user et disposer de son matériel, même en période de grève (on rappelle que la grève avec blocage et occupation des locaux est en principe interdite). Ainsi, l’employeur peut demander à une autre entreprise d’utiliser les moyens de production et le matériel laissé inutilisé par les grévistes de son entreprise, si cela permet la continuité de son activité. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation en 1979 affirmant alors qu’une entreprise peut avoir recours à la sous-traitance pour les besoins de son exploitation. Mais pour éviter les contournements, la sous-traitance n’est admise que si l’entreprise sous-traitante utilise son propre personnel permanent : si elle recrute pour répondre au contrat de sous-traitance, il s’agit alors d’une atteinte au droit de grève.

Et le bénévolat ?

Il ne faut pas trop compter sur cette hypothèse. Chaque fois qu’est évoquée cette solution, la même décision de Cour de cassation de 2000 est exhumée : la Cour avait jugé légal le fait, pour une fromagerie dont les chauffeurs chargés de collecter le lait auprès des différents éleveurs étaient en grève, de demander aux producteurs de lait de conduire eux-mêmes les camions des grévistes et de collecter le lait de façon non rémunérée. C’est donc un cas très particulier, où l’entreprise confrontée à une grève est face à des clients indépendants (les agriculteurs) qui choisissent de contourner l’obstacle. En dehors de ce cas très particulier et impossible à transposer aux raffineries par exemple, faire travailler une personne bénévolement porte un nom en droit : le travail dissimulé. 

Contacté, le syndicaliste n’a pas répondu à notre sollicitation.

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