“Effet Bruxelles” : comment l’Union européenne influence les normes dans le monde
Dernière modification : 4 mars 2023
Auteurs : Rania Sabaouni, étudiante en droit à l’Université Saint-Louis Bruxelles, et Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Selon Federica Mogherini, ancienne haute représentante des affaires étrangères de l’Union européenne, l’Union européenne “établit des normes au niveau mondial”. Faux juridiquement, mais dans les faits, il y a un véritable “effet Bruxelles”.
Federica Mogherini, ancienne haute représentante des affaires étrangères de l’Union européenne a récemment confié au quotidien belge “La Libre” que l’Union européenne avait la capacité d’établir des normes au niveau mondial. Federica Mogherini répondait notamment à des questions des journalistes sur ce qui manquait à l’Union européenne pour avoir un plus grand impact sur la scène internationale. Sa réponse : “L’Union ne manque de rien. Nous sommes puissants en termes normatifs, puisque nous établissons des normes au niveau mondial“.
Or, en droit, l’Union européenne est seulement compétente pour établir des normes au sein de l’espace de l’Union européenne, quand bien même la législation européenne peut avoir une influence mondiale. Selon le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la portée des normes de l’Union européenne s’applique aux États membres, aux institutions et aux citoyens de l’Union européenne. En droit, le principe est que tout ordre juridique est limité par l’espace géographique qu’il gouverne. En d’autres mots, les normes édictées par un État ou une organisation s’appliquent aux institutions et aux particuliers se trouvant sur son territoire. La France, par exemple, ne fait pas la loi en Espagne ou à Singapour. Mais derrière le propos de l’ancienne cheffe de la diplomatie européenne se cache en réalité une vérité souvent méconnue : l’influence que le droit européen peut avoir sur le reste du monde.
Les normes de l’Union européenne exercent en effet une influence significative à l’échelle mondiale dans de nombreux domaines, notamment le commerce, l’environnement, la protection des consommateurs et la politique étrangère. Cette capacité d’influence est appelée « effet Bruxelles » (“Brussels effect” dans sa langue originale), un phénomène théorisé par Anu Bradford, professeure de droit à l’université Columbia aux États-Unis.
L’effet Bruxelles fait référence à la tendance des entreprises et des États dans le monde à se conformer aux normes et réglementations de l’UE afin de pouvoir opérer sur le marché européen. L’Union européenne, étant l’un des plus grands marchés au monde et pesant 20 % du PIB mondial, les entreprises et les États effectuent face à cela un calcul d’opportunité et en concluent qu’il est plus pratique et bénéfique de s’aligner sur les normes de l’Union, qui sont souvent les plus élevées et contraignantes. Certaines entreprises ou États dans le monde prennent en considération les normes et les réglementations de l’UE dans leurs activités commerciales pour éviter d’être exclues d’un marché de presque 500 millions de consommateurs au pouvoir d’achat parmi les plus élevés au monde.
On voit très bien ce phénomène lorsque Coca-Cola doit mettre en place des politiques en matière d’étiquetage afin de se conformer aux exigences de l’UE qui comprennent des informations sur les allergènes, la quantité de sucre et la valeur notionnelle. C’est encore plus parlant en matière de politique de concurrence : lorsque le géant Boeing avait voulu avaler son concurrent McDonell Douglas, donc une opération entre deux entreprises strictement américaines, la Commission européenne avait forcé les deux entreprises aéronautiques à faire de larges concessions – notamment abandonner les contrats d’exclusivité que Boeing avait avec les compagnies aériennes américaines pour la fourniture d’avions, pour le plus grand bénéfice d’Airbus. Pourquoi ont-elles accepté ? Car sans cela, elles se seraient vu fermer le gigantesque marché européen.
L’effet Bruxelles agit aussi sur la régulation d’internet. C’est particulièrement vrai s’agisse de la protection des données personnelles : le RGPD (Règlement général du la protection des données) a inspiré la législation au Brésil, en Inde, au Japon, en Californie, etc., mais aussi des entreprises multinationales comme Sodexo, qui applique désormais le RGPD à toutes ses filiales dans le monde.
Une influence qui n’est possible que parce que l’Union européenne a l’ambition d’adopter les normes les plus élevées en matière d’environnement, de protection des consommateurs ou encore d’internet. Sans cette ambition, l’effet d’entraînement mondial des politiques européennes n’aurait aucune chance d’exister.
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