Olivier Dussopt : “les fermetures de mairies posent un problème de neutralité”
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS, Laboratoire Droit et Changement social, Nantes Université
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : Le Parisien, 27 janvier 2023
S’il est difficile de voir dans une action symbolique une atteinte au principe de neutralité (les tribunaux, s’ils sont saisis par les préfets, décideront), ce jour de fermeture pourrait bien constituer une subvention déguisée aux grévistes. Or, cela est bel et bien une atteinte au principe de neutralité des services publics.
Selon le ministre du Travail Olivier Dussopt, la fermeture symbolique de certaines mairies le 31 janvier par solidarité avec la mobilisation contre la réforme des retraites posait un problème de neutralité du service public.
À vrai dire, il est difficile de trancher, car tout dépend des modalités : un maire a la particularité d’être à la fois une autorité administrative et une autorité politique (en jargon, c’est un “dualisme fonctionnel”). En tant qu’élu politique, le principe de neutralité des services publics ne lui est pas applicable, et il est donc en droit d’exprimer ses opinions, contrairement par exemple à un préfet ou à un enseignant. En tant qu’autorité administrative, il a donc le pouvoir de fermer sa mairie, comme il le fait régulièrement avec la “journée du maire”.
Le risque de mélange des genres
Maniant ces deux fonctions administrative et politique, certains maires décident de placer la “journée du maire” le 31 janvier, jour de grève programmée, en soutien aux grévistes. L’action est symbolique disent-ils, mais le service public sert ici de support au symbole, ce qui porte atteinte au principe de neutralité en effet. En soi, cela pose donc problème, mais on ne connaît pas de jurisprudence dans ce sens. Les préfets concernés pourront saisir le tribunal administratif en urgence pour lui demander de suspendre la décision de fermeture (on appelle ce recours du préfet un “déféré-suspension”). Si le juge estime qu’il y a atteinte au principe de neutralité, il suspendra la décision de fermeture, ce qui obligera les maires à maintenir leur mairie ouverte.
En revanche, il y a plus grave.
Une subvention déguisée aux grévistes ?
La fermeture de certaines mairies est programmée un jour de grève, ce qui aura pour effet de ne pas pénaliser les grévistes, car ils seront considérés comme en congé et non en grève. Ils ne seront donc pas comptabilisés comme grévistes, et leur salaire ne sera pas amputé de l’équivalent d’un jour de grève. Or, le juge administratif, en vertu du principe de neutralité des services publics, a déjà censuré certaines subventions municipales aux grévistes. Ce fut le cas à propos de subventions directes, sous forme de “fonds de solidarité en faveur du personnel communal en grève”, en faveur des cheminots, ou des infirmiers et infirmières. Dans le cas présent, on est bien en présence d’une subvention aux grévistes, qui n’auront pas à subir les conséquences financières de leur grève. C’est une subvention indirecte, mais subvention tout de même.
Ce sera encore plus vrai si des maires décident, comme le souhaite Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, “de fermer symboliquement leur mairie”, au moins “deux à trois heures pour que leurs agents puissent partir manifester”. Dans la fonction publique territoriale, une grève de deux à trois heures entraîne la diminution du salaire de l’équivalent de deux ou trois heures. Si la mairie ferme durant ce temps, il n’y a pas grève, donc pas de sanction financière.
Comment cela se passera-t-il pour ceux qui ne font pas grève ?
Soit la mairie ferme toute la journée et les non-grévistes seront aussi considérés comme en congé. Soit la mairie ne ferme que quelques heures, mais comment traiter ceux qui décident de ne pas faire grève (ce qui est aussi un droit) ? Faudra-t-il les mettre dehors ? Sinon, il ne s’agit pas d’une fermeture. Et s’ils ne sont pas mis dehors, la fermeture n’est donc pas seulement symbolique, elle est fictive : elle devient un pur artifice pour subventionner les grévistes. À cela s’ajoute que payer des agents publics qui ne sont pas à leur poste constitue une atteinte à un autre principe, celui du “service fait”, qui veut qu’un agent public ne soit payé qu’une fois son service entièrement effectué, et seulement si ce service est effectué.
Et la continuité des services publics ?
La plupart des maires ont assuré que la fermeture serait symbolique, se limitant à l’hôtel de ville. À vrai dire, on ne voit aucun service public dans un hôtel de ville qui serait essentiel au point de ne pouvoir fermer une journée. La continuité des services publics n’est donc pas menacée, car il ne faut pas confondre continuité et permanence : la permanence est nécessaire pour la police, les secours, la navigation aérienne, par exemple, mais pas pour l’état-civil (on peut tout à fait décaler les mariages).
En revanche, certains services municipaux nécessitent bien une permanence, et il n’est pas question de les interrompre, fut-ce une journée : la distribution de l’eau potable ou l’assainissement (surveillance et maintenance), la surveillance des lieux publics, la police municipale, l’entretien des routes en cas d’urgence, etc. Ces services ne seront pas fermés, assurent les maires. Cela signifie que si un agent municipal travaillant dans ces services fait grève toute la journée du 31 janvier, il se verra décompter un jour de salaire. Mais celui qui travaille au sein de l’hôtel de ville sera, lui, considéré comme en congé. Curieuse manière de semer l’inégalité entre les salariés d’une même commune.
Enfin, on notera non sans malice que selon la jurisprudence en droit du travail, une entreprise qui ferme un jour de grève se met dans l’illégalité : elle est considérée comme entravant le droit de grève en empêchant précisément ceux qui le souhaitent de se mettre en grève. Mais les communes ne sont pas soumises au droit du travail.
Contacté, le ministère n’a pas répondu à nos sollicitations.
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