Olivier Véran : « Nous faisons face à quelque chose qui n’existait pas dans notre pays : une grève multi-individuelle couverte par un préavis déposé par des centrales qui, elles-mêmes, n’appellent pas à la grève »
Dernière modification : 28 décembre 2022
Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS, Laboratoire Droit et Changement social, Nantes Université
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : Compte rendu du Conseil des ministres, 22 décembre 2022, 17’50”
À la SNCF, un préavis a bien été déposé puis maintenu par des organisations syndicales représentatives (la notion d’appel à la grève n’apparaissant pas dans les textes), chacun des salariés grévistes informant la direction de son intention par une “Déclaration Individuelle d’Intention” comme exigé par la loi et l’accord sur la prévention des conflits à la SNCF.
En sortant du Conseil des ministres du 22 décembre, le porte-parole du Gouvernement, Olivier Véran, s’est étonné de la manière dont s’annonce la grève du week-end de Noël à la SNCF. Il a déclaré : « Nous faisons face à quelque chose qui n’existait pas dans notre pays : une grève multi-individuelle couverte par un préavis déposé par des centrales qui, elles-mêmes, n’appellent pas à la grève«
Olivier Véran oublie que la grève est déjà un droit “individuel qui s’exerce collectivement”, chaque salarié décidant d’y participer ou non. Dans ce cas précis, un “préavis” a bien été déposé et maintenu par des organisations syndicales représentatives à la SNCF, chacun des agents grévistes informant la direction de son intention par une “Déclaration Individuelle d’Intention” comme exigé par la loi et la réglementation sur la prévention des conflits à la SNCF.
Le droit de grève est déjà un droit individuel exercé collectivement
Rappelons d’abord les principes juridiques français en matière de grève : garanti par la Constitution, le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ; la grève est définie comme la “cessation collective, concertée et totale du travail en vue de présenter à l’employeur des revendications professionnelles« ; et enfin la grève est un droit individuel ou personnel.
Dans le cas de la réglementation de ce droit, la loi peut interdire le droit de grève à certaines catégories professionnelles en raison de l’obligation d’assurer la continuité du service public (militaires, policiers, gendarmes, CRS, magistrats, surveillants pénitentiaires…).
Pour d’autres professions, le droit de grève peut être limité notamment pour assurer un service minimum : contrôleurs aériens, audiovisuel public, secteur nucléaire, personnel hospitalier … et transport comme dans ce cas précis.
Transports ferroviaires : une procédure spécifique mais aussi un droit
Dans le cadre d’une grève des transports ferroviaires, une loi de 2007 a défini les conditions d’exercice de ce droit qui n’apparaît pas par surprise, sur un coup de tête, mais nécessite plusieurs étapes successives que la SNCF a d’ailleurs précisé dans un accord sur la prévention des conflits et des normes internes.
Il faut d’abord des revendications collectives. Un ou plusieurs syndicats qui identifient une ou plusieurs revendications déposent une Demande de Concertation Immédiate (DCI), transmise à de la direction de l’entreprise. La direction doit recevoir dans les trois jours le ou les syndicats à l’origine de la DCI pour ouvrir des négociations. À leur issue, direction et syndicats rédigent un document conjoint : le relevé de conclusion concerté reprenant les revendications de la DCI et un résumé des négociations qui ont eu lieu.
Il faut ensuite un préavis de grève. Les organisations syndicales peuvent en effet, si elles l’estiment nécessaire, déposer un préavis de grève, cinq jours minimum avant le premier jour prévu de l’arrêt de travail.
Mais la décision finale reste une décision individuelle de faire grève. Après le dépôt du préavis, les personnes souhaitant faire grève, informent leur direction de leur intention au minimum 48 heures avant la cessation du travail, par le dépôt d’une Déclaration Individuelle d’Intention (DII).
L’objet de ce document est d’identifier les agents faisant grève, indispensables à la circulation des trains : agents de conduite, d’accompagnement des trains, des postes d’aiguillage… L’entreprise connaît ainsi 48 heures avant le début de la grève l’étendue de celle-ci, lui permettant d’adapter les horaires des trains, d’avoir le temps d’informer les voyageurs des modifications et suppression, voire de solliciter les agents non-grévistes sur tous les postes qu’ils sont capables de tenir, en modifiant leur planning de travail en fonction des besoins.
Dans sa déclaration, Olivier Véran semble également mettre l’accent sur la “spécificité” de ce mouvement : la présence d’un collectif de contrôleurs (Collectif national ASCT) et l’absence “d’appel à la grève” des organisations syndicales. Rappelons déjà que les collectifs ou coordinations ne sont pas chose nouvelle en matière de conflits collectifs : on se souvient de la coordination des infirmières à la fin des années 80 comme du collectif inter-urgences créé en 2019, mouvements qu’un médecin ne peut avoir oubliés.
D’autre part, la notion d’ “appel à la grève” n’apparaît pas dans le droit applicable à la grève dans les transports, mais seulement celle de préavis.
Or, un tel préavis a bien été déposé puis maintenu par des organisations syndicales (CGT et Sud Rail), le collectif des contrôleurs n’en n’ayant pas le droit.
Chaque agent gréviste a ensuite déposé une déclaration individuelle de faire grève, 48 heures avant l’arrêt de travail.
Bref, contrairement à ce que dit Olivier Véran, rien de neuf sous le sapin !
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