Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France : “Pour vous, abonnés au Navigo, j’ai réussi à contenir (la) hausse à 84,10 euros au lieu de 100 euros”
Dernière modification : 19 décembre 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS, Laboratoire Droit et Changement social, Nantes Université
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Modification le 16 décembre à 15 heures suite aux précisions d’Ile-de-France Mobilités.
Source : Lettre Île-de-France Mobilités, 12 décembre 2022
Valérie Pécresse oublie de mentionner d’abord que c’est elle qui, en tant que présidente d’IDF Mobilités, fixe le prix des transports franciliens, et ensuite que sans une subvention de l’État, elle n’aurait pas pu contenir la hausse du passe navigo ou aurait dû, peut-être augmenter les impôts locaux. C’est donc le contribuable national qui va payer pour le voyageur francilien.
Valérie Pécresse est présidente de l’établissement Île-de-France Mobilités en tant que présidente de la région Île-de-France. Elle a adressé un message sur les boîtes mail de l’ensemble des abonnés au passe Navigo qui permet d’emprunter pratiquement tous les transports publics de la région. Le tarif actuel de ce passe mensuel est de 75.20 euros. Selon les informations rapportées par la presse, il aurait dû passer à 100 euros en 2023, ce qui a fait trembler les franciliens. Mais l’augmentation sera finalement limitée : 84.10 euros, ce qu’a ainsi officialisé Valérie Pécresse dans son message, en s’attribuant le mérite de cette modération : “Pour vous, abonnés au Navigo, j’ai réussi à contenir cette hausse à 84.10 euros au lieu de 100 euros. J’aurais aimé limiter cette hausse encore davantage, en mettant à contribution les entreprises, au même titre que les collectivités locales et les voyageurs. Malheureusement, le gouvernement s’y est opposé”. Et c’est là qu’il y a mauvaise foi, ou tout au moins omission.
Comment se financent les transports franciliens ?
Loin de nous l’idée de sous-estimer les contraintes liées à l’inflation, aux nouvelles infrastructures en construction, et donc au financement des transports publics. Mais sur le strict plan juridique, il est très réducteur voire trompeur de s’attribuer une modération tarifaire qui en réalité tient aussi à un financement de l’État.
Le financement des transports franciliens (environ 10.6 milliards d’euros pour 2023) diffère de celui des autres régions en raison de leur densité. Il existe plusieurs sources selon le Code général des collectivités territoriales (CGCT). En se limitant aux principales sources, il y a d’abord le prix du ticket, autrement dit ce que versent les usagers, soit presque 4 milliards.
Il y a ensuite ce que versent les employeurs publics et privés (avec au moins onze salariés) : le “versement destiné au financement des services de mobilité”, dont le taux varie actuellement de 1.6 % à 2.95 % selon les communes concernées (le taux le plus élevé se trouve à Paris et Hauts-de-Seine), et qui se calcule de la même manière que les cotisations d’assurance maladie, sur le salaire brut. Cela fait environ 4.5 milliards. Ce sont les URSSAF qui prélèvent ces sommes. À cela s’ajoute l’obligation pesant sur les employeurs de rembourser à tous leurs salariés la moitié du coût de leur titre de transport.
Et puis il y a les “concours publics”, autrement dit les subventions versées par la région Île-de-France et les départements et communes qui la composent, soit environ 1,690 milliard. À cela s’ajoute un financement de l’État sous deux formes : une subvention, et une part de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, qui est payée notamment quand on fait le plein de son véhicule).
Le petit oubli de Valérie Pécresse : la subvention de l’État
Tous ces versements bénéficient à l’établissement Île-de-France Mobilités, qui ensuite finance les différents opérateurs (principalement la SNCF et la RATP). Avec la baisse de fréquentation liée à la covid et l’inflation des coûts, notamment de construction de nouvelles lignes, il fallait augmenter les recettes. Mais lesquelles ?
Augmenter le prix du ticket est douloureux pour l’usager et les employeurs à l’heure où l’on tente de favoriser les transports en commun. Augmenter le versement mobilité revient à augmenter les prélèvements obligatoires, ce que seule la loi peut faire ; or c’est contraire aux promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Augmenter la part de la région, des départements et communes, revient à faire payer le contribuable local et donc à augmenter les impôts locaux. Politiquement, les élus rechignent à assumer.
Il restait donc l’État, dont Valérie Pécresse attendait qu’il augmente aussi sa contribution : soit en baissant la TVA sur les transports en commun, de 10 % à 5,5 % ; l’établissement Île-de-France Mobilités gardait la différence, c’était neutre pour l’usager, mais pas pour le contribuable national. Soit en augmentant ses subventions. Après un marchandage, l’État a donc consenti une aide exceptionnelle de 200 millions d’euros. Comme cela ne suffit pas à satisfaire tous les besoins annoncés pour 2023, un effort a été demandé à la SNCF et à la RATP (qui seront un peu moins subventionnées) ; aux collectivités territoriales, qui ont finalement consenti à augmenter leur part de 7,5 % ; et à l’usager, avec l’augmentation du prix du ticket.
Les employés qui débourseront 8.90 euros de plus par mois pour leur passe auront droit à remboursement de la moitié par leur employeur (soit 4.45 euros). Donc l’employeur contribuera aussi. Pour les autres usagers… tant pis pour eux.
C’est Valérie Pécresse qui a la maîtrise du tarif du passe Navigo
Voilà ce que Valérie Pécresse a omis dans son message aux usagers. Le gouvernement s’est en effet opposé à l’augmentation du versement mobilité, mais il n’a juridiquement aucun pouvoir sur le prix du passe Navigo, fixé par l’établissement Île-de-France Mobilités… dont Valérie Pécresse est présidente. C’est donc aussi grâce à tous les contribuables de France que le prix des transports franciliens n’augmentera que de 8.90 euros en 2023 et pas de 24.80 euros comme redouté.
Contacté, l’établissement Île-de-France Mobilités entend souligner le rôle de sa présidente, qui a réuni tous les acteurs autour d’une table pour résoudre l’équation et assurer l’équilibre budgétaire pour 2023. Il juge également que l’effort budgétaire de l’État (200 millions) est minime au regard des besoins, des efforts consentis par les autres acteurs, et par rapport à ce que d’autres États européens ont apporté à leurs opérateurs de transports en commun.
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