Régularisation des étrangers par les « métiers en tension » : ce que dit la loi
Dernière modification : 20 janvier 2023
Autrice : Emeline Sauvage, journaliste
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétaire de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah
Ce mercredi 2 novembre, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et Olivier Dussopt, ministre du Travail ont annoncé la nouvelle politique d’immigration voulue par le gouvernement. Un ensemble de mesures visant à réguler le flux des étrangers et qui promeut notamment la régularisation des sans-papiers pour « les métiers en tension ».
Voilà un projet qui risque de faire couler encore beaucoup d’encre. Depuis plusieurs semaines, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, multiplie les propositions de loi relatives à la gestion de l’immigration en France. Ce mercredi 2 novembre les ministres de l’Intérieur et du Travail ont annoncé conjointement leur projet de loi immigration qui devrait être débattu début 2023. Cette dernière devrait permettre de faciliter la régularisation des étrangers par le travail dans des « métiers en tension » – les Européens, eux, peuvent librement travailler en France. Une mesure faite pour répondre aux pénuries de main-d’œuvre et pour lutter contre le travail au noir. Mais aujourd’hui, un sans papier peut déjà bénéficier d’une « admission exceptionnelle au séjour » par le travail.
RÉGULARISER LES SANS-PAPIERS PAR LE TRAVAIL : UNE MESURE EXISTANTE MAIS IMPARFAITE
« On doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils » : voilà la nouvelle doctrine de Gérald Darmanin pour son projet de loi immigration. Les ministres de l’Intérieur et du Travail plaident pour la mise en place d’un nouveau titre de séjour distribué aux sans-papiers qui travailleront dans un secteur jugé “en tension”. Une décision qui devrait permettre, selon le ministre, de renforcer la main-d’œuvre des secteurs où l’on peine à recruter et d’ainsi faciliter le recrutement d’ouvriers étrangers se trouvant déjà sur le territoire français. Ce système de régularisation des sans-papiers existe déjà en France, mais son application se fait au cas par cas. Deux processus permettent aujourd’hui à un travailleur étranger de bénéficier d’une régularisation par le travail, appelée admission exceptionnelle de séjour.
La loi Hortefeux de 2007 a d’abord introduit en France le processus de régularisation par le travail. Elle prévoit un système de liste de métiers spécifiques, définis par arrêtés ministériels. Dans ce cadre, il est prévu en fonction d’un certain nombre de critères de pouvoir régulariser des sans-papiers. À cette loi s’est greffée en 2012 la circulaire Valls qui fixe les critères permettant de délivrer un titre de séjour, et notamment celui de « salarié » et de « travailleur temporaire ». « On ne sait pas combien il y a de régularisations par an, mais au moins, on sait que c’est un mécanisme qui fonctionne » confie Serge Slama, professeur de droit public à l’Université de Grenoble-Alpes, spécialiste de droit des étrangers.
Un étranger peut donc aujourd’hui bénéficier d’une « carte salarié », à condition de justifier d’un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), et d’avoir obtenu au préalable une autorisation de travail, sollicitée par son employeur en France. Celle-ci est délivrée pour l’exercice de l’activité salariée figurant sur le contrat de travail, pour un employeur déterminé ainsi que pour une zone géographique qui peut être restreinte, comme l’explique Maître Grégoire Hervet, Avocat en droit des étrangers.
S’il est aujourd’hui possible d’obtenir une régularisation en décrochant un emploi, mieux vaut cependant ne pas avoir besoin d’en changer, surtout la première année. Une nouvelle autorisation préalable de travail devrait alors être obtenue auprès de la Préfecture, dont les délais sont souvent longs. Un fonctionnement qui lie les mains des salariés étrangers, peu incités à quitter un emploi qui ne leur conviendrait pas, même en ayant une autre opportunité.
COMBLER LE MANQUE DE MAIN-D’OEUVRE
Là où cette mesure pourrait être efficace, c’est qu’elle pourrait rendre le système plus « dynamique » affirme Serge Slama, notamment en actualisant les listes de métiers ou de secteurs ayant besoin de main-d’œuvre. Une politique déjà promise par Nicolas Sarkozy en 2006, alors lui aussi ministre de l’Intérieur, mais qui n’avait pas vu le jour.
Depuis des dizaines d’années, le droit du travail des étrangers ne cesse d’être actualisé en fonction des besoins de la France, notamment lorsqu’il faut faire face à une pénurie de main-d’œuvre, c’est-à-dire lorsqu’il y a un grand nombre d’offres d’emplois dans un secteur particulier. Les Algériens et les Tunisiens avaient par exemple pu bénéficier d’une facilité d’accès lors des Trente Glorieuses. Avant la loi de 2007, « les préfets avaient la possibilité de délivrer une carte vie privée et familiale d’une validité d’un an à des étrangers pour des raisons humanitaires. Désormais, la situation au regard de l’emploi entrera en ligne de compte. Ce qui n’était pas possible précédemment », précisait à l’époque un conseiller de Brice Hortefeux. La loi Hortefeux a permis aux travailleurs irréguliers de pouvoir, eux aussi, bénéficier de titres de séjours.
La mesure pourrait également pallier la situation de dépendance du salarié étranger vis-à-vis de son employeur la première année. Elle prévoit une possibilité de mobilité au sein des métiers en tension, sans l’obtention d’une nouvelle autorisation de travail préalable.
EN FINIR AVEC LE CAS PAR CAS
« On sait que d’une préfecture à l’autre, les pratiques sont très variables. Il faut surtout un lien très fort auprès de l’employeur pour obtenir la régularisation » révèle Serge Slama. Un problème de cas par cas soulevé par l’enseignant-chercheur et auquel Gérald Darmanin et Olivier Dussopt tenteraient de répondre avec cette nouvelle loi. Le ministre de l’Intérieur aimerait étendre les critères définis par la loi Hortefeux et la circulaire Valls. Obtenir une régularisation par le travail ne serait plus soumis à un emploi spécifique comme aujourd’hui, mais à un secteur dit “en tension”, qui peut comprendre des secteurs comme l’hôtellerie ou la restauration qui déplorent 250 000 emplois vacants selon l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih).
Aujourd’hui, un ou une sans-papiers qui désire faire une demande de régularisation par le travail doit fournir des documents plus ou moins en leur possession, comme un contrat de travail alors qu’un certain nombre d’étrangers travaillent au noir. Si la demande est rejetée, le demandeur se voit remettre une OQTF (obligation de quitter le territoire français), ce qui n’incite ni le travailleur ni l’employeur à tenter de régulariser la situation. D’après le ministère de l’Intérieur, ce sont plus de 120 000 OQTF, tous motifs confondus, qui sont remises chaque année. Impossible cependant de savoir combien de ces personnes ont officiellement quitté le territoire. Cette procédure ne risque pas d’être améliorée étant donné le durcissement annoncé par Gérald Darmanin concernant ces OQTF et le projet d’inscrire systématiquement au fichier des personnes recherchées les expulsés.
MIEUX CONTRÔLER L’IMMIGRATION ?
L’annonce de cette mesure n’a pas tardé à faire réagir dans l’hémicycle. Du côté du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen s’insurge de cette entrave à la « priorité nationale ». Si Gérald Darmanin espère avec cette loi de mieux contrôler l’immigration, plusieurs députés du RN et des Républicains (LR) y voient tout l’inverse. « Il s’agit d’une régularisation massive, j’y suis tout à fait défavorable, c’est une folie », s’est plaint le député LR du Lot Aurélien Pradié.
Là où cette nouvelle loi pourrait également poser problème serait d’enfermer dans des catégories socioprofessionnelles définies les étrangers. Elle pourrait précariser encore plus certaines personnes, comme les livreurs disposant d’un statut d’auto-entrepreneur. Le Gouvernement espère simplifier les procédures pour permettre aux étrangers vivants sur le territoire français, ou aux réfugiés de guerre de pouvoir bénéficier d’un titre de séjour. Il est encore trop tôt pour définir les contours de cette mesure et de savoir dans quelle mesure elle impactera le statut des travailleurs étrangers. Selon l’association de défense des migrants Cimade, plus de 400 000 femmes, hommes et enfants vivraient sans papiers en France.
Sur remarque d’un lecteur avisé, le paragraphe « RÉGULARISER LES SANS-PAPIERS PAR LE TRAVAIL : UNE MESURE EXISTANTE MAIS IMPARFAITE » à été modifié en y ajoutant certaines précisions concernant la carte salarié et la régularisation en décrochant un emploi.
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