La cause des droits de la professeure Diane Roman : la protection de l’environnement au coeur du progrès social
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng
Les Surligneurs ont lu le dernier ouvrage de Diane Roman (La cause des droits. Écologie, progrès social et droits humains, Dalloz, 2022, 22 €), professeure de droit à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et qui avait consacré sa thèse à la pauvreté. Un essai stimulant pour donner un sens au droit : la protection des droits humains, au premier rang desquels les droits environnementaux. Une lecture recommandée par Les Surligneurs. La cause des droits a obtenu le prix du livre juridique 2022, remis au Conseil constitutionnel le 8 octobre dernier.
Les juristes se régaleront. Les non-juristes devront s’accrocher et garder un juriste à disposition pour mieux comprendre, ou lire la suite. Cet essai de la professeure de droit Diane Roman est un ouvrage militant, qui dresse le constat éclairé, argumenté, d’une évolution du droit qu’il est nécessaire de poursuivre. Si le droit sert habituellement une cause (au sens d’un idéal à atteindre), l’auteure joue sur les mots et entend faire des droits humains – car c’est de ceux-là qu’il s’agit – la cause majeure du droit.
Par son érudition et sa richesse en exemples concrets, sa trame limpide, l’ouvrage se situe dans le sillage à la fois de John Rawls (Théorie de la justice, 1971), et de Hans Jonas (Le principe de responsabilité : Une éthique pour la civilisation technologique, 1979). Le constat est d’abord celui d’une insuffisante protection juridique de l’environnement, avec nombre d’exemples de désastres à l’appui, rarement sanctionnés. Mais l’auteure décrit aussi un changement – lent – de paradigme. En particulier, le droit de l’environnement est encore un droit de police, fondamentalement unilatéral, une affaire d’État en somme. Mais cette discipline tend à devenir un droit à un environnement favorable à la santé humaine, que tout un chacun peut invoquer contre la puissance publique mais aussi contre les puissances privées.
Des textes déjà anciens, notamment les conventions internationales d’après-guerre relatives aux droits humains, qui ne mentionnent jamais l’environnement, sont désormais réinterprétés à la lumière des impératifs écologiques. Des textes nouveaux viennent consacrer un droit à un environnement sain, pour les individus mais aussi pour des groupes d’individus, des civilisations menacées par les atteintes à leur milieu, ou encore pour les générations futures. C’est bien une troisième génération de droits humains qui est en marche : après une première génération constituée par les droits civils et politiques (notamment en France la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), une deuxième génération faite de droits économiques et sociaux (en France encore, le Préambule de la Constitution de 1946, toujours en vigueur), arrivent les droits humains liés à l’environnement et à la santé, les deux étant indissociables et constituant la troisième génération, la plus moderne.
Diane Roman ne fait pas pour autant preuve de naïveté : une jurisprudence trop timorée de la part des grandes cours nationales et internationales qui hésitent à trancher dans des domaines souvent techniques et relevant de l’appréciation des gouvernants ; des textes contournés, comme ceux relatifs à la responsabilité environnementale et sociétale (l’auteure évoque un “blanchiment éthique”) ; des organisations internationales loin de jouer le jeu et qui se livrent elles aussi à ce “fair washing” (version anglaise du blanchiment éthique). Nous vivons encore dans une société de créanciers juridiques, faite de lobbies revendicatifs, soucieux de leurs droits (notamment économiques) et bien moins de leurs devoirs. Les droits environnementaux sont qualifiés par l’auteure de “droits humains” non pas parce qu’ils protègent de petites situations acquises à la manière des droits de l’homme classiques, mais parce qu’ils protègent l’humanité. Ces droits, plus que d’autres, s’accompagnent de devoirs aussi bien pour les États que les individus et les entreprises.
Tout n’est pas noir pour autant, et Diane Roman égrène les avancées textuelles ou jurisprudentielles comme autant de pavés devant tracer la voie vers un droit moins anthropocentré. On pourra regretter de ne pas toujours comprendre le lien entre la protection de la nature et des milieux de vie, et les questions du surendettement, des conditions de travail, de la jungle de Calais ou encore du droit à l’éducation, même si le sous-titre de l’essai est “Écologie, progrès social et droits humains”. Au moins, la portée de l’ouvrage n’en est que plus universelle.
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