La Pologne et les pays baltes ferment leur territoire aux touristes russes : l’Union européenne pourrait-elle élargir l’interdiction à toute l’Europe ?
Dernière modification : 21 septembre 2022
Mise à jour le 21 septembre 2022 : Emma Cacciamani
Autrice : Emma Cacciamani, master de droit et contentieux de l’Union européenne, Université Paris-Panthéon-Assas
Relectrice : Tania Racho, docteure en droit européen, chercheuse associée à l’IEDP, Université Paris-Saclay
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Loïc Héreng
En réaction à la guerre en Ukraine, l’Union européenne complique l’obtention des visas des touristes russes à défaut de les interdire complètement, et la Pologne et les pays baltes les interdisent désormais purement et simplement.
En réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la République tchèque avait arrêté de délivrer des visas à ses ressortissants en février 2022. La Pologne et les pays baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) viennent d’adopter la même position, en interdisant désormais l’accès aux touristes russes..
Ces mesures isolées pourraient motiver l’Union européenne à interdire la délivrance de visas aux touristes russes. L’Union européenne peut-elle interdire elle-même les visas des touristes russes, comme le réclament certains États ?
Après l’adoption d’une série de sanctions contre la Russie (gel d’avoirs, embargo sur le charbon, pétrole et or…), il est désormais question pour certains d’interdire les visas des touristes russes au sein de l’espace Schengen composé de 26 pays. Celui-ci est constitué des États membres de l’Union européenne sauf cinq pays (Bulgarie, Croatie, Chypre, Irlande et Roumanie). En sont également membres les quatre pays de l’AELE (Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse).
Le franchissement des frontières extérieures à l’espace Schengen est rendu possible par une gestion commune des États. Ainsi les visas accordés de courte durée – moins de 3 mois sur une période de 180 jours – relèvent de l’Union européenne.
Le visa : porte d’entrée pour les touristes russes dans l’espace Schengen
Au sein de l’Union européenne, une liste de pays pour les ressortissants desquels un visa est nécessaire afin d’entrer dans l’espace Schengen est régulièrement mise à jour. La dernière version, datant de 2018, conditionne l’entrée des touristes russes, mais aussi chinois, algériens et bien d’autres à l’obtention d’un visa. D’autres, comme les Ukrainiens ou les Américains en sont exemptés pour les courts séjours.
Le “visa uniforme” – communément appelé “visa Schengen” – est valable pour le territoire de l’État qui l’accorde ”et pour le territoire de tous les autres États Schengen”. Ainsi, lorsqu’un touriste russe obtient un visa dans un des pays Schengen, par exemple en Allemagne, il peut circuler dans tous les pays Schengen pendant la durée de son visa sans avoir à faire d’autres demandes de visa.
De manière exceptionnelle, les États peuvent octroyer un visa de court séjour à “validité territorialement limitée”, c’est-à-dire qu’ils n’autorisent le demandeur qu’à entrer sur leur territoire si les conditions d’obtention d’un “visa uniforme” ne sont pas remplies et qu’il existe des “motifs humanitaires ou d’intérêt national ou en raison d’obligations internationales”.
L’Union européenne pourrait-elle adopter une mesure d’interdiction de délivrance des visas des touristes russes ?
Les institutions européennes discutaient d’une interdiction généralisée d’octroi des visas des touristes russes. Les différents ministres des affaires étrangères se sont réunis les 30 et 31 août derniers pour trancher la question.
Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour la politique étrangère, a déclaré ne pas croire “que couper les liens avec la population civile russe sera utile” et ne pense pas “que cette idée obtiendra l’unanimité requise”. Prendre des sanctions en matière de politique étrangère requiert en effet un vote à l’unanimité.
En revanche, si l’objectif de la mesure concerne l’immigration, alors le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) confère à l’Union la compétence pour adopter une politique commune des visas et d’autres titres de séjours de courte durée non pas à l’unanimité, mais à la majorité. C’est-à-dire que, sur proposition de la Commission, le Parlement voterait à la majorité simple, et le Conseil à la majorité qualifiée (un vote doit réunir 15 États membres sur les 27 représentant 65 % de la population) qui interdirait l’octroi de visas aux ressortissants russes pour des séjours de moins de trois mois.
Mais la Commission européenne s’est récemment prononcée en défaveur d’une telle “sanction” visant les touristes russes. Or si la Commission européenne n’est pas à l’initiative d’un texte visant à interdire l’octroi des visas aux touristes russes, il est très peu probable que celui-ci voit le jour…
Certains États, comme l’Allemagne et la France, se sont également déclarés défavorables à une telle mesure, qui selon eux, risquerait de pénaliser les étudiants, les artistes, les chercheurs et l’activité économique.
Chaque État membre pourrait individuellement refuser d’octroyer des visas aux touristes russes
La politique des visas est une compétence partagée entre les États membres et l’Union européenne. Ainsi, lorsque l’Union n’a pas agit dans le domaine concerné, les États membres peuvent prendre toutes les mesures qu’ils jugent nécessaires. Tant que l’Union européenne n’a pas interdit aux russes l’entrée sur le territoire européen, les États sont donc libres de refuser de délivrer des visas selon leurs propres règles.
Cependant, le refus systématique des visas marocains par l’Italie a amené une association de défense des droits humains à faire un recours devant la Cour de justice de l’Union européenne. La Cour n’a pas encore statué, mais les États devraient avancer avec prudence, car il n’est pas certain qu’un arrêt total du tourisme russe soit juridiquement acceptable. En effet, l’examen par un État d’une demande de visa doit être individualisé au demandeur. En l’état du Code des visas actuel, “il est interdit d’automatiquement refuser tous les citoyens d’un même pays”.
Si tous les États membres refusent individuellement d’accorder des visas aux touristes russes – comme l’ont fait l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne en date du 19 septembre – il y aura de facto une interdiction européenne. Cette hypothèse reste néanmoins peu probable notamment car certains États ont affirmé leur soutien à la Russie, comme la Hongrie.
La solution choisie par l’Union : rendre l’obtention des visas plus difficile en pratique
En réaction à la réunion des ministres des affaires étrangères à Prague le 31 août, la Commission européenne n’a pas interdit les visas des touristes russes (comme Les Surligneurs l’avaient pressenti) mais propose de suspendre un accord de facilitation des visas datant de 2006.
Cette suspension aurait pour conséquence de rendre l’obtention des visas beaucoup plus difficile qu’auparavant, notamment par des démarches administratives plus longues : une augmentation du coût du visa (de 35€ à 80€), un temps d’évaluation allongé, des documents supplémentaires à fournir aux autorités…
Mais l’annonce par Vladimir Poutine ce mercredi d’une mobilisation partielle de sa population et la menace de l’usage de l’arme nucléaire pourraient faire évoluer la position européenne.
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