Campagne électorale : quel est le rôle du “gendarme de l’élection” ?
Autrice : Juliette Bezat, rédactrice
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Charles Denis et Emma Cacciamani
Le 8 juillet, la Commission nationale de contrôle de l’élection présidentielle (CNCCEP) a publié les conclusions de son dernier rapport sur le déroulement de l’élection présidentielle 2022. Le “gendarme de l’élection” considère ainsi que la campagne s’est “déroulée dans des conditions tout à fait satisfaisantes, au regard des intérêts dont elle a la charge”. Il en profite toutefois pour avancer plusieurs pistes d’amélioration pour les prochaines élections.
Si la campagne présidentielle de 2022 n’a pas connu de perturbations majeures, telles que la diffusion massive de fausses informations ou de cyber-attaques, c’est bien dans un contexte inédit, marqué à la fois par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, que la CNCCEP a travaillé tout au long de cette période. Sous la présidence de Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, l’autorité s’est réunie à 13 reprises entre le 31 janvier et le 21 avril 2022 pour veiller au bon déroulement de la campagne et du scrutin.
La crise Covid et la guerre en Ukraine ont-elles eu des répercussions sur le scrutin ?
Dans son rapport publié le 8 juillet, la Commission estime que la campagne s’est déroulée dans des conditions “satisfaisantes au regard des intérêts dont elle a la charge”. Alors que la France “subissait encore les effets d’une pandémie sans précédent”, elle considère que les contraintes liées à la situation sanitaire n’ont pas entravé le “bon déroulement de la campagne, que ce soit pour l’organisation des réunions électorales ou la réalisation des opérations de vote”. La CNCCEP s’est montrée particulièrement vigilante sur cette question, laquelle s’était en effet posée lors des élections municipales de 2020, suscitant alors de nombreuses polémiques.
Cette fois, c’est plutôt le contexte de guerre en Ukraine qui a eu des répercussions sur la campagne, “mobilisant une part importante du débat politique national” comme indique la Commission dans son rapport. Les concurrents d’Emmanuel Macron redoutaient en effet que la saturation du débat public par la question ukrainienne n’occulte les autres thèmes de campagne et que cela provoque une rupture d’égalité dans le traitement médiatique au profit du chef de l’État.
La CNCCEP souligne par ailleurs que le conflit a eu des conséquences concrètes sur les conditions de vote des ressortissants français présents en Ukraine, en Russie et en Biélorussie. C’est la raison pour laquelle l’autorité a veillé à faciliter leur inscription sur les listes électorales.
Quelles sont les missions de la CNCCEP ?
L’institution a été créée en 1964 dans la perspective de la première élection du président de la République au suffrage universel direct l’année suivante. Elle ne se réunit que de manière temporaire, puisque son activité se concentre seulement sur la période de la campagne et de l’élection présidentielle, soit tous les cinq ans dans la configuration actuelle. Elle n’est prévue par aucune disposition constitutionnelle ou législative.
Sa principale mission résulte de la loi référendaire du 6 novembre 1962, laquelle dispose que ”tous les candidats bénéficient, de la part de l’État, des mêmes facilités pour la campagne en vue de l’élection présidentielle”. Elle s’assure ainsi de leur égal accès aux moyens mis à disposition par l’État.
La CNCCEP s’assure également du bon déroulement de la campagne électorale dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans la presse écrite et lors des réunions publiques, ainsi qu’au bon déroulement du scrutin. Par là même, elle garantit la libre expression du suffrage et la sincérité du vote. Elle peut intervenir si elle estime que certains éléments compromettent l’expression libre et éclairée du suffrage.
Enfin, elle est chargée d’examiner le matériel électoral des candidats. Cette tâche consiste notamment à contrôler la conformité des affiches et des professions de foi (déclarations publiques envoyées aux électeurs avant chaque tour de scrutin), en versions papier et sonore. En mars 2022, l’autorité a d’ailleurs mis en cause les chiffres avancés par Marine Le Pen dans sa profession de foi. La candidate du Rassemblement national affirmait que, depuis 2017, les agressions volontaires contre les personnes avaient augmenté de 31 % ; elle ajoutait que 1,5 millions d’immigrés supplémentaires étaient entrés en France au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. La CNCCEP a demandé à la candidate de préciser la source de ces chiffres contestés par le ministère de l’Intérieur. Elle a finalement validé la profession de foi de la candidate du RN, dans sa version initiale. Marine Le Pen a d’ailleurs rappelé que les chiffres incriminés étaient déjà indiqués sur sa profession de foi du premier tour.
Le rôle de la Commission est donc essentiel, dès lors qu’elle veille à ce que la sincérité du scrutin ne soit pas compromise, en s’assurant de la conformité des affiches et des professions de foi des candidats. L’enjeu est d’autant plus important que cette notion de sincérité du scrutin apparaît comme le “révélateur de la volonté réelle de l’électeur” qu’il convient dès lors de connaître avec certitude, comme le rappelle le constitutionnaliste Richard Ghevontian. C’est le respect, ajoute-t-il, de plusieurs principes fondamentaux du droit électoral qui garantit cette sincérité du scrutin : l’égalité, la liberté, et le caractère secret du vote. Ainsi la Constitution de la Ve République proclame explicitement que le suffrage est “toujours universel, égal et secret”. Concrètement, l’atteinte à la sincérité du scrutin est surtout liée à deux paramètres : l’écart de voix et “l’influence déterminante de l’irrégularité génératrice du défaut de sincérité”. En cas de fraude, comme par exemple une campagne de désinformation suffisamment importante pour que l’électeur n’ait pas pu voter de manière éclairée, le juge électoral peut estimer que le scrutin est insincère et décider d’annuler l’élection.
Comment fonctionne la commission de contrôle ?
Cinq membres, parmi lesquels trois sont membres de droit, composent la commission. Son président est le vice-président du Conseil d’État ; les deux autres membres de droit sont le premier président de la Cour de cassation et celui de la Cour des comptes. Ils désignent deux membres en activité ou honoraires du Conseil d’État, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes. Outre le rapporteur général, des rapporteurs issus de ces trois institutions peuvent également être sollicités. Enfin, trois fonctionnaires assistent la commission, qui représentent les ministres de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Affaires étrangères.
Depuis 2001, la CNCCEP relève du statut général des autorités administratives indépendantes (AAI), à l’instar du Défenseur des droits. À ce titre, c’est une institution collégiale et indépendante : c’est le président qui détermine l’ordre du jour et les débats. Son budget reste toutefois rattaché à celui du ministère de l’Intérieur et ses dépenses font l’objet d’un contrôle a posteriori de la Cour des comptes. Jean-Marc Sauvé, président de la commission en 2007 puis en 2012, soulignait à ce sujet, devant les sénateurs, que le fonctionnement de la CNCCEP n’était pas très coûteux : d’une part, elle n’est “activée” que tous les cinq ans, et d’autre part, “l’ensemble de ses membres, son rapporteur général et ses rapporteurs exercent leurs fonctions à titre gratuit”.
La CNCCEP peut-elle prendre des mesures de sanction ?
La commission ne dispose d’aucun pouvoir de décision ou de sanction, mais elle est investie, selon ses propres termes, d’une “magistrature morale” que lui garantit la présence du vice-président du Conseil d’État, du premier président de la Cour de cassation et de son homologue de la Cour des comptes. Dans son dernier rapport, elle rappelle ainsi que sa composition “est la garante de son impartialité à l’égard des candidats et de tous ceux qui interviennent dans le débat public”.
Si la commission observe des irrégularités, elle peut saisir les autorités compétentes telles que le Conseil constitutionnel ou la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ; elle peut même saisir le procureur de la République en cas d’infraction pénale.
La CNCCEP n’est pas seule à assurer le contrôle du déroulement de l’élection présidentielle. Le Conseil constitutionnel joue un rôle central, en vertu des attributions que lui confère la Constitution. Il veille ainsi à “la régularité de l’élection du président de la République”, “examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin”. L’autorité travaille également avec l’ARCOM, la CNIL, la Commission des sondages et, enfin, le ministère de l’Intérieur.
Quelles pistes d’amélioration pour les prochaines élections ?
En dépit de la guerre en Ukraine, de la crise Covid et de la menace terroriste toujours présente, l’autorité de contrôle a conclu qu’aucun élément majeur n’est venu nuire à la sincérité du scrutin. La Commission propose toutefois des pistes d’amélioration pour les prochaines élections, parmi lesquelles :
- Pour les ressortissants étrangers, la commission propose d’ajouter la notion de “force majeure” aux dispositions prévues à l’article L. 30 du Code électoral, afin de faciliter l’inscription sur les listes des ressortissants français dès lors qu’ils se trouvent dans une situation similaire à celle qui s’est présentée en Ukraine et dans les pays limitrophes.
- La Commission propose également d’améliorer le processus d’envoi des professions de foi. Elle suggère d’avancer la date à laquelle les candidats doivent lui remettre leur matériel électoral pour validation. Lors de la dernière élection présidentielle, certains électeurs n’avaient pas reçu les professions de foi en temps et en heure, avant le scrutin, voire pas du tout reçu. Cette disposition conduirait les candidats à transmettre leur matériel électoral avant que le Conseil constitutionnel ne publie la liste des candidats autorisés à se présenter au premier tour. Selon la Commission, les documents pourraient être reçus plus d’une semaine avant le premier tour, garantissant ainsi aux électeurs “un délai suffisant pour en prendre connaissance en vue de déterminer leur vote”.
Le rôle de la Commission ne manquera pas de gagner encore en importance dans les années à venir, en raison notamment des tentatives de déstabilisation menées dans l’espace numérique par certains États étrangers visant à remettre en cause le processus électoral au sein des démocraties. À n’en pas douter, le contexte géopolitique risque de devenir un facteur important de perturbation de la sincérité des scrutins futurs.
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