Les États généraux de la justice : des propositions pour faire face à une justice en crise
Dernière modification : 27 juillet 2022
Autrice : Marie Jacquemard, rédactrice
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Charles Denis et Emma Cacciamani
Aujourd’hui, vendredi 8 juillet, les États généraux de la justice ont remis leur rapport intitulé “Rendre la justice aux citoyens” au président de la République Emmanuel Macron. Ouverts le 18 octobre 2021, les États généraux de la justice ont eu plus de six mois pour se concerter et réfléchir à la justice de demain. Entre débats publics, ateliers délibératifs citoyens et propositions citoyennes, ces États généraux ont dressé des lignes directrices afin d’améliorer l’institution judiciaire. Mais concrètement, que contient ce rapport ?
Annoncés en juin 2021 par le président de la République Emmanuel Macron, les États généraux de la justice s’inscrivent dans la continuité de l’ambitieuse réforme de la justice. Ces États généraux, présidés par Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d’État, doivent permettre de restaurer la confiance en la justice, souvent remise en question dans le débat public. À peine un mois après l’ouverture de ces États généraux, “la tribune des 3 000” magistrats publiée dans Le Monde signalait une institution en perdition. Ces États généraux arrivent alors à point nommé, peu de temps après la réélection d’Emmanuel Macron. Ainsi, les propositions concrètes vont donner une ligne directrice pour le second quinquennat. Plus de 50 000 personnes ont pris part à ces travaux, sept groupes de travail ont été constitués et un comité de 12 personnes avec des magistrats, avocats, professeurs et hauts fonctionnaires a guidé les débats.
L’état des lieux d’une justice en détresse
Ce rapport dresse dans un premier temps un constat alarmant sur l’état de la justice et de l’organisation judiciaire. Le rapport parle de “délabrement avancé de l’institution judiciaire”. La crise sanitaire a aggravé une situation déjà très préoccupante. Entre banalisation de la loi, crise du service public, manque de moyens et de confiance en la justice, il était temps qu’un groupe de travail puisse travailler sérieusement à trouver des solutions.
Tout d’abord, le rapport note que les conditions matérielles, outils informatiques et infrastructures, sont insuffisantes et désuètes. Ces lacunes techniques affectent gravement le fonctionnement de la justice : des décisions de justice sont exécutées avec retard.
Le rapport constate que la justice civile est submergée et par conséquent trop lente, ne parvenant plus à régler les contentieux dans des conditions acceptables. Les jugements frappés d’appel sont passés de 16 % en 2008 à 25 % en 2019, les délais de jugements augmentent chaque année et sont de 13,9 mois en première instance, 15,8 mois en appel et 16 mois pour les conseils des prud’hommes. Le justiciable doit alors attendre au minimum un an pour espérer voir son litige tranché, ce qui entraîne incompréhension et dépit envers la justice.
La matière pénale n’est pas non plus épargnée, au contraire, le Code de procédure pénale est jugé excessivement complexe et illisible. La situation carcérale est désastreuse et doit faire face à une surpopulation qui lui a déjà valu plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l’Homme. Le rapport constate que l’enchaînement de programmes de construction d’établissements pénitentiaires ne suffit pas à constituer une réponse adéquate à ce problème de surpopulation.
Une organisation judiciaire à repenser
Pour combler le manque significatif de moyens humains, le rapport propose un recrutement massif d’au moins 1 500 magistrats, 2 000 juristes assistants contractuels, 2 500 greffiers et 2 000 agents administratifs et techniques. La Première ministre a d’ailleurs annoncé, mercredi 6 juillet, lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, que le Gouvernement proposera une loi de programmation pour la justice et le recrutement de 8 500 magistrats et personnels de justice supplémentaires. Le rapport insiste aussi sur la nécessité de revaloriser les rémunérations notamment celles des greffiers et des magistrats.
Le rapport préconise de revoir la gestion des carrières des magistrats en leur offrant plus de liberté dans leur parcours professionnel, grâce à la création de contentieux plus techniques mettant à l’honneur l’expérience. Il propose aussi de séparer un peu plus l’ancienneté de la fonction pour placer des magistrats chevronnés en première instance civile et assurer ainsi la qualité des jugements et éviter que la hausse des appels ne s’accroisse encore.
Le comité, présidé par Jean-Marc Sauvé, suggère de maintenir le juge d’instruction. Il estime que ce juge aux pouvoirs importants est un élément essentiel et décisif dans les affaires complexes.
Le rapport préconise de garder les 36 cours d’appel. Mais pour simplifier et rendre plus lisible l’organisation, il suggère de désigner une cour d’appel par région qui serait responsable de la gestion des juridictions de la région et aurait un budget opérationnel.
Reste l’épineuse question du statut du parquet, souvent accusé de ne pas être suffisamment indépendant du Garde des sceaux, avec des affaires qui alimentent la suspicion comme la tentative de perquisition chez Médiapart en 2019 en plein cœur de l’affaire Benalla, perquisition pour laquelle l’État a par ailleurs été condamné ce jeudi par la justice. Tout en rappelant l’unicité du corps des magistrats, il insiste sur la séparation des fonctions de poursuite et de jugement. Il propose que le Conseil supérieur de la magistrature dispose d’un pouvoir d’avis conforme et non un pouvoir d’initiative sur les nominations des procureurs de la République et des procureurs généraux. Il déconseille par ailleurs la création d’un procureur général de la nation.
Le comité Sauvé conseille, à l’unanimité, une réforme constitutionnelle pour supprimer la Cour de justice de la République, compétente pour statuer sur la responsabilité pénale des ministres pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Il propose de la remplacer par un double degré de juridiction classique avec un filtrage des procédures. Le but est de redéfinir la limite entre les responsabilités politique et pénale des ministres.
Une justice civile à réajuster
Sur la justice civile, qui a rendu 1 384 721 décisions en 2020 sur des sujets du quotidien et qui est souvent oubliée des politiques publiques, le rapport propose de renforcer la collégialité des juges civilistes en première instance afin qu’ils puissent trancher un litige en se concertant. Pour le comité, cette collégialité est perçue à tort comme une perte de temps et d’efficacité. Il insiste pour renforcer la prise en charge des frais d’avocat par la partie perdante.
Le rapport rappelle la légitimité des juridictions composées de juges non-professionnels, dans les tribunaux de commerce, et propose de créer à titre expérimental un tribunal des affaires économiques non écheviné (l’échevinage consistant à créer des juridictions composées de magistrats et de juges non-professionnels, en l’occurrence des dirigeants économiques). Ce tribunal serait compétent en matière de procédures amiables et collectives, élargissant donc les compétences actuelles des tribunaux de commerce à tous les opérateurs économiques. Les litiges en matière de baux commerciaux et de propriété intellectuelle seraient toujours, eux, tranchés par les tribunaux judiciaires. Afin de rendre ce tribunal des affaires économiques opérationnel, le comité propose entre autres, la mise en place d’un droit de timbre barémisé acquitté par la partie requérante – il faudrait donc payer pour accéder à la justice – et une aide juridictionnelle pour les entreprises et associations fragiles.
Concernant les conseils des prud’hommes, engorgés et mettant en moyenne 16 mois pour trancher un litige entre un salarié et l’employeur, le comité propose de les transformer en tribunaux du travail rattachés sur les plans administratif, organisationnel et budgétaire au tribunal judiciaire, sans modification de son fonctionnement paritaire, c’est-à-dire comprenant des représentants des salariés et des employeurs. Ils fonctionneraient sur une organisation par chambres. Les juges seraient entourés d’une équipe dont un greffier avec un rôle plus important, puisqu’il serait chargé de la mise en œuvre quotidienne des principes généraux de la conduite de la mise en état. Le rapport préconise que les litiges passent d’abord en conciliation, audience paritaire ou audience de départage, le but étant de favoriser la médiation. Ainsi le rapport propose la mise en œuvre de la césure du procès, c’est-à-dire qu’après que le juge ait tranché la question de droit principale, les parties pourraient se mettre d’accord sur les conséquences de cette décision. Enfin le rapport propose la création de deux référés : “sauvegarde de l’entreprise” et “garantie du salarié”.
Le comité préconise une intervention non-systématique du juge en matière de justice des mineurs et des majeurs vulnérables. Il propose une simplification du formalisme du mandat de protection des majeurs vulnérables.
Une justice pénale à réformer
Pour le comité qui a coordonné ces États généraux, il faut réécrire le Code de procédure pénale pour le simplifier.
Le rapport préconise d’améliorer l’indemnisation des victimes en transférant au juge civil le contentieux des préjudices complexes.
Après l’échec de la réforme de la justice du 23 mars 2019, le rapport soutient qu’il faut limiter le prononcé des courtes peines, au risque d’accentuer la surpopulation carcérale. Le rapport estime qu’il n’est pas pertinent de fixer un nombre limité de détenus par établissement pénitentiaire mais propose la création d’un mécanisme de régulation de ces détenus par un seuil d’alerte et de criticité. En cas de dépassement de ce seuil, il y aurait des régulations comme un placement sous assignation à résidence avec surveillance électronique, sous contrôle judiciaire ou un examen anticipé des réductions de peines par exemple. Il insiste aussi sur la nécessité de trouver des alternatives à la prison. Le rapport suggère de renforcer la présence des services pénitentiaires d’insertion et de probation dans les juridictions et de créer une agence nationale de prévention de la récidive et de la probation.
Ce rapport est à la fois le constat d’une justice en sursis et de propositions qui n’ont pour but que de susciter une prise de conscience politique. Il dresse une feuille de route que le président de la République devra prendre en compte lors de son second quinquennat qui commence tout juste. Le chantier s’annonce abyssal mais les travaux ont déjà commencé et les enjeux sont importants : maintenir une véritable démocratie où la justice est un pilier de l’État de droit.
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