Vote de confiance : que dit la Constitution ?
Dernière modification : 27 juillet 2022
Autrice : Juliette Bezat, rédactrice
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Charles Denis
Ce mercredi 6 juillet, Élisabeth Borne prononcera devant chacune des assemblées un discours de politique générale. L’exécutif, qui ne dispose que d’une majorité relative de 250 députés, a tranché : la Première ministre ne sollicitera pas le vote de confiance des parlementaires. Cette décision soulève un certain nombre d’interrogations : que dit la Constitution sur le “vote de confiance” ? Aussi, le chef du Gouvernement peut-il “conduire la politique de la Nation” s’il ne dispose pas de la confiance des députés ?
Trois jours après les résultats du second tour des élections législatives, Jean-Luc Mélenchon a appelé, depuis le Palais Bourbon, la Première ministre à se soumettre au vote de confiance auprès des parlementaires. Mais si ce mercredi 6 juillet, la déclaration de politique générale est bien inscrite à l’ordre du jour, celle-ci ne sera pas suivie d’un vote de confiance. Un choix expliqué par le porte-parole du Gouvernement, Olivier Véran, à l’issue du Conseil des ministres du 4 juillet : “Nous avons fait un décompte a priori du nombre de voix que la Première ministre aurait été sûre de recueillir en cas de vote de confiance. Nous ne sommes pas sûrs que les conditions de ce vote de confiance auraient été réunies”.
Le vote de confiance, un passage non obligé
Si le vote de confiance n’est pas un principe constitutionnel en soi, la Constitution de 1958 prévoit bien que le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement sur une déclaration de politique générale ou sur son programme. Pour autant, il n’est pas indiqué textuellement que le “vote de confiance” constitue une étape obligatoire pour le chef du Gouvernement.
Par ailleurs, la Constitution permet au Gouvernement de “faire, sur un sujet déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et peut, s’il le décide, faire l’objet d’un vote sans engager sa responsabilité”. C’est au titre de cet article qu’Élisabeth Borne devrait s’exprimer devant l’Assemblée nationale et le Sénat.
Vote de confiance et vote d’investiture : quelles différences ?
Dans un régime parlementaire, le vote d’investiture est l’acte par lequel les parlementaires élisent le chef du Gouvernement (et, parfois, le Gouvernement) et l’assurent par la même occasion de leur confiance. Le chef du Gouvernement tient alors directement sa légitimité du Parlement. En France, ce fut le cas sous la IVème République.
Sous le régime de la Vème République, l’investiture par le Parlement est supprimée et le chef du Gouvernement est responsable devant le Parlement mais tient d’abord sa légitimité du Président de la République puisque c’est à lui que revient la prérogative de sa nomination. Ici, le traditionnel vote de confiance ne peut être confondu avec le vote d’investiture : lorsque le Premier ministre se présente devant les parlementaires, celui-ci est déjà investi et son Gouvernement est déjà formé. En se soumettant au vote de confiance, le Premier ministre s’assure de la confiance de la majorité et assoit son autorité auprès de celle-ci.
Le vote de confiance, une simple tradition parlementaire
Le vote de confiance s’inscrit dans la continuité de la tradition parlementaire puisqu’il trouve son origine dans le vote d’investiture qui existait sous la IIIème et la IVème République. Sous la IIIème République, le Président du Conseil (l’équivalent du Premier ministre aujourd’hui) n’est pas mentionné dans les lois constitutionnelles de 1875 : il faut attendre la IVème République pour que la fonction soit reconnue dans la Constitution. La Constitution de 1946 prévoyait quant à elle que le Président de la République, lui-même élu par le Parlement, désigne le Président du Conseil. Conformément à l’article 45 de la Constitution de 1946, ce dernier devait se présenter devant l’Assemblée nationale et n’était investi que s’il réunissait la majorité absolue des votes. C’est seulement une fois investi que le Président du Conseil était officiellement nommé et pouvait former son Gouvernement. En 1947, Paul Ramadier, Président du Conseil du 22 janvier au 19 novembre 1947, avait décidé, après son investiture, de revenir devant l’Assemblée avec tout son Gouvernement et de réclamer, en plus de l’investiture, la confiance de celle-ci. Ainsi fut instaurée la coutume de la double investiture, qui perdurera jusqu’à la révision constitutionnelle de 1954. Cette coutume minera l’autorité du Président du Conseil, que lui conférait pourtant la Constitution de 1946.
En 1958, les rédacteurs de la nouvelle constitution mirent fin au vote d’investiture. Toutefois, l’article 20 dispose que le Gouvernement “détermine et conduit la politique de la Nation”. Pour ce faire, le Premier ministre doit donc pouvoir compter sur une majorité parlementaire. Le vote de confiance permet ainsi au Premier ministre, après avoir présenté les grandes orientations de la politique qu’il souhaite mener, de s’assurer de la confiance et du soutien de la majorité. En d’autres termes, la pratique des institutions de la Vème République conduit le chef de l’État à nommer à Matignon une personnalité qui bénéficiera du soutien de la majorité. Par conséquent, si dans les textes rien ne semble contraindre le Premier ministre à se soumettre au vote de confiance, la pratique des institutions l’y oblige.
Le 18 avril 1967, lors de la déclaration de politique générale de Georges Pompidou, le député centriste Jacques Duhamel avait interpellé le Premier ministre : “Vous ne devez pas nous demander l’investiture, mais vous avez le devoir de demander notre confiance.” Pour le député issu de la majorité, ne pas solliciter la confiance est une pratique résultant d’une interprétation de la Constitution (ici, de l’article 49) qu’il qualifie de “violation pure et simple”.
Sous la Vème République, tous les Premiers ministres n’ont pas sollicité la confiance des parlementaires
Sous la Vème République, la grande majorité des prédécesseurs d’Élisabeth Borne s’est prêtée à l’exercice. Néanmoins, plusieurs d’entre eux n’ont pas fait suivre leur déclaration de politique générale d’un vote de confiance : d’abord, Georges Pompidou (1966-1967), puis Maurice Couve de Murville (1968-1969), Pierre Messmer (1972), Raymond Barre (1976), Michel Rocard (1988-1991), Édith Cresson (1991-1992) et enfin Pierre Bérégovoy (1992-1993).
Mais le précédent historique qui compte est surtout celui de Michel Rocard en 1988, puisqu’il est le premier sous la Vème République à ne disposer, comme Élisabeth Borne aujourd’hui, que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale (il détient d’ailleurs à ce jour le record d’utilisation de l’article 49.3). Lors de son discours de politique générale le 28 juin 1988, il n’a pas sollicité la confiance des députés. Une attitude que la gauche n’avait cessé de reprocher aux Gouvernements qui s’en dispensaient lorsque celle-ci était minoritaire. Durant le débat, le Président du groupe UDF, Jean-Claude Gaudin, dénonce un “aveu de faiblesse” de la part du Premier ministre et du Président Mitterrand. Le député RPR Bernard Pons considère quant à lui que le refus du vote de confiance révèle l’absence de majorité parlementaire fiable pour le Gouvernement et une ouverture vers le centre droit beaucoup plus tactique que sincère : “L’inconfort de votre position ne vous permet pas de solliciter ce vote de confiance, dont tout le Gouvernement a besoin pour asseoir sa légitimité dans un régime parlementaire”.
Quel risque encourt le Premier ministre lorsqu’il refuse de se soumettre au vote des parlementaires ?
Si le Premier ministre ne se soumet pas au vote de confiance des parlementaires, les députés peuvent déposer une motion de censure. Cette semaine, la présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, Mathilde Panot, a accusé Élisabeth Borne de “maltraiter la démocratie” et annoncé que les députés de La France Insoumise déposeraient une motion de censure dès mercredi.
Principal outil de pression et de contrôle des membres de l’Assemblée nationale sur l’action du Gouvernement, la motion de censure n’est recevable que si un dixième des députés accepte de la signer – 58 députés dans la configuration actuelle. En déposant, puis en votant une motion de censure, les députés signifient le refus de la confiance au Gouvernement. Néanmoins, l’utilisation de ce dispositif est limité par la Constitution : le souvenir du régime de la IVème République, marqué par une forte instabilité, a conduit le législateur à limiter le recours à la motion de censure : ainsi, un député “ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire, et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire”. Lorsque la motion est déposée au Bureau de l’Assemblée, elle doit être votée dans les 48 heures qui suivent. Dans l’hypothèse où celle-ci serait votée par une majorité absolue de députés, le Premier ministre remet la démission du Gouvernement au Président de la République. Jusqu’à la nomination d’un nouveau Gouvernement, l’hôte de Matignon n’est alors qu’en charge des affaires courantes.
Sous la Vème République, un certain nombre de motions de censure ont été déposées – 58 motions “spontanées” entre 1958 et 2020 -, mais une seule a été votée à la majorité absolue : celle du 5 octobre 1962, après que Charles de Gaulle a soumis au référendum l’élection du président de la République au suffrage universel direct en contournant le Parlement. Il avait alors refusé la démission de Georges Pompidou et dissout l’Assemblée nationale.
Compte tenu de la configuration actuelle de l’hémicycle, l’adoption d’une telle motion paraît à ce jour hors de portée pour l’opposition. Même si les écologistes y semblent plutôt favorables, les socialistes et les communistes sont divisés et les députés LR et RN ont d’ores et déjà fait savoir qu’ils ne la voteront pas.
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