Projet Hercule : qui impose à EDF de se réformer ?

Création : 11 mars 2021
Dernière modification : 21 juin 2022

Autrice : Justine Coopman, master 2 droit de l’Union européenne, Université de Lille

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP (Paris-Saclay)

Dans un entretien à L’Express, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, réitère son soutien au projet de réforme de l’énergéticien, sans masquer quelques points d’accroche avec la Commission européenne qui, Les Surligneurs l’avaient rappelé dès 2017, n’impose pas la privatisation du groupe. EDF évolue en effet dans un secteur historiquement très protégé, celui de l’énergie, et c’est cette protection qui crée aujourd’hui une difficulté tant économique que juridique. En plus d’être très endetté, le groupe ne respecte pas les exigences européennes en matière de concurrence, essentiellement à cause de la transformation en société anonyme intervenue en 2004 à l’initiative de la France. La solution ? Un projet colossal de réorganisation du groupe, dit “Hercule”, soutenu par le PDG d’EDF et l’exécutif français.

À l’image des 12 travaux du héros de la mythologie grecque, le Hercule d’EDF se heurte à de sérieuses difficultés. Son projet de réforme est sous le feu des critiques, qu’il s’agisse des syndicats comme des groupes politiques, de droite comme de gauche. Une tribune publiée dans le quotidien Le Monde illustre ce mécontentement. Des manifestations ont même eu lieu, dont l’une donnant lieu au déversement de dizaines de compteurs Linky devant le siège de La République en Marche (LREM) à Paris. Ce projet a aussi fait réagir des députés qui sont allés jusqu’à annoncer qu’ils envisageaient de déposer une proposition de loi visant à initier un référendum d’initiative partagée pour empêcher la sécabilité d’EDF, rappelant la contestation contre le projet de privatisation d’Aéroports de Paris.

L’Union européenne ne s’intéresse pas au statut d’EDF, mais redoute que la concurrence soit faussée

Dans la liste des reproches pointés sur ce dossier, une accusation revient souvent. C’est celle d’une Commission européenne, excessivement libérale (au sens économique du terme), imposant à l’État français de démanteler le groupe et en passant, détruisant les services publics français. Dans une interview accordée à L’Express, le PDG du groupe s’est offusqué de la position de la Commission qui souhaite selon lui “démanteler EDF”, expression reprise ensuite par Florian Philippot.

Mais la Commission européenne est-elle directement responsable de ce projet qualifié de “destructeur” par les organisations syndicales ? On pourrait en douter étant donné l’indifférence du droit européen au statut des entreprises : publique ou privée, société anonyme ou association, peu importe Pourquoi dans ces conditions s’intéresser au statut d’EDF ? En réalité, la Commission européenne s’intéresse à un objectif plus large qu’est la libre concurrence au sein du marché intérieur, qui tend vers une concurrence non faussée par des avantages qui seraient accordés par les Etats membres, comme des subventions ou des monopoles. C’est l’une des missions historiques, appartenant de manière exclusive à l’Union européenne. Il faut donc clarifier les rôles respectifs de la Commission et de l’État français dans ce projet.

Une réponse avec le projet Hercule ?

Le projet Hercule est né à l’initiative de la France en 2017. D’après les dernières informations, il vise à scinder le groupe EDF en 3 entités, détenues à plus de 80% par l’État. Il y aurait ainsi : 1/ EDF bleu pour le nucléaire (dont il est envisagé une prise de participation à 100% de l’État) ; 2/ EDF vert pour la distribution de l’énergie renouvelable (ce secteur serait coté en bourse à hauteur de 35%) ; 3/ EDF Azur pour les barrages hydroélectriques. Mais les contours d’un tel projet ne sont pas encore clairs.

Bien que le PDG Jean-Bernard Lévy avait prévu de clarifier ce projet fin 2019, en ce début d’année 2021, aucune feuille de route n’a encore été formellement posée sur la table. Il s’avère que les négociations avec Bruxelles n’aboutissent pas, ce qui bloque son avancée. D’ailleurs, la ministre de la transition écologique a fait savoir qu’il était peu probable que ce projet aboutisse en 2021.

L’Union européenne impose-t-elle réellement la scission d’EDF ? 

Actuellement, sous l’impulsion de l’Union européenne – deux directives adoptées en 2009 –, la France a développé un dispositif nommé accès régulé à l’énergie nucléaire historique” dit “Arenh” pour ouvrir à la concurrence une partie de l’énergie produite par ses centrales nucléaires, c’est-à-dire permettre à des opérateurs privés d’acheter des kilowatts nucléaires pour les revendre. Cette ouverture à la concurrence reste toutefois strictement encadrée : le dispositif Arenh expire en 2025 et EDF ne peut revendre son électricité à des fournisseurs alternatifs que jusqu’à 25% de sa production, à un tarif fixé par les pouvoirs publics

Cependant, le dispositif Arenh atteint ses limites. Depuis 2017, la demande en kilowatts excède le plafond de 25 %, ce qui oblige les entreprises concurrentes à s’approvisionner sur le marché de gros à un prix pouvant être beaucoup plus élevé que le prix régulé de l’Arenh. Du coup, elles ne sont pas compétitives par rapport à EDF face au consommateur. La Commission de régulation de l’énergie appelle dès lors à réformer ce dispositif. Sur ce point, que le projet Hercule aboutisse ou non, une renégociation du dispositif Arenh est incontournable. 

Mais ce n’est pas cela qui oblige à scinder EDF en trois entités. Alors qu’est-ce qui rend cette scission si pressante ? La France souhaiterait subventionner EDF pour l’aider économiquement à surmonter le coût du nucléaire. Toutefois, une telle subvention risquerait d’être qualifiée d’aide d’État, interdite, sauf exceptions, par le droit de l’Union européenne. En effet, un coup de pouce financier de l’État à une entreprise peut l’avantager face à ses concurrents et provoquer une distorsion de concurrence, interdite au sein de l’Union. 

La Commission européenne ne semble pas opposée à une subvention à la partie nucléaire d’EDF, mais demande des garanties afin d’éviter un contournement de ses règles : le but est d’éviter que la subvention accordée à une activité protégée (le nucléaire) conduise indirectement à avantager d’autres activités du groupe, qui sont elles, ouvertes à la concurrence (notamment la production et la vente d’énergies renouvelables). En somme, comment être sûr que les subventions publiques allant au nucléaire ne bénéficient pas aux autres activités d’EDF, si toutes les activités sont gérées ensemble ? 

Pour autant, et à en croire l’exemple de la SNCF, il existe des solutions n’impliquant pas de scission de l’entreprise, mais en quelque sorte des “séparations comptables” à l’intérieur de l’entreprise.

Enfin, le projet Hercule vise à répondre au problème concernant les concessions hydroélectriques, c’est-à-dire les contrats conclus par l’État, confiant l’exploitation des barrages  à une ou plusieurs entreprises. La France traîne des pieds depuis de nombreuses années pour libéraliser ce secteur, c’est-à-dire ouvrir la gestion de ses barrages à des entreprises privées aux côtés d’EDF. Le problème se pose car les contrats de concession détenus par EDF sont pour beaucoup arrivés à échéance. Cette question est d’autant plus importante que la France a fait l’objet d’une mise en demeure de la Commission européenne en 2015 puis en 2019 qui peut déboucher en cas de réponse non suivie d’effet, à un procès contre la France devant la Cour de justice de l’Union européenne. 

Le projet Hercule pourrait régler la question des concessions hydroélectriques avec EDF azur puisque la gestion de son hydroélectricité serait retirée à EDF et confiée à une entreprise contrôlée par l’État. Ce transfert permettrait d’éluder l’obligation européenne de mise en concurrence. Cela n’est possible qu’avec la scission d’EDF, mais cela ne concernerait que l’activité d’hydroélectricité.

EDF n’est d’ailleurs pas seule dans cette situation : d’autres opérateurs que l’opérateur historique, comme la Compagnie nationale du Rhône, ont des concessions sur des barrages et le même problème de remise en jeu de leur contrat se pose.

Le véritable problème du projet Hercule : le manque de transparence

Peu importe ce que l’on pense d’un tel projet. Le véritable reproche est probablement l’opacité dans laquelle est négociée cette réforme, s’agissant d’une entreprise publique symbole du service public et fleuron industriel. L’engagement tardif d’une campagne de communication et la promesse d’un débat parlementaire restent insuffisants pour satisfaire les exigences de transparence nécessaires dans une société démocratique.

L’appel récent à la création d’une commission spéciale pour réfléchir à l’avenir d’EDF, porté auprès du Gouvernement par les syndicats, reflète sans doute cette volonté de transparence et de participation démocratique oubliée jusqu’alors au profit d’une négociation à huit clos qui s’enlise.

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