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Contre l’accord UE-Mercosur, Jordan Bardella veut une loi « Mangeons français » pour favoriser les produits nationaux

Création : 20 novembre 2024
Dernière modification : 2 décembre 2024

Auteur : Grégoire Delcamp, M2 Droit international et droit européen à Lille

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte X de Jordan Bardella, le 19 octobre 2024

Adopter une politique nationale protectionniste irait à l’encontre des règles de l’Union européenne de libre circulation des marchandises sur le marché européen. Une telle politique serait lourdement sanctionnée par la Cour de justice de l’Union.

Présent lors de la 426e édition de la foire agricole de Poussay, le 19 octobre dernier, le président du Rassemblement national Jordan Bardella s’est prononcé contre le traité de libre-échange UE-Mercosur et pour une politique nationale agricole protectionniste, avec une loi « Mangeons français ».

Mais cette proposition s’inscrit à rebours des accords de libre échange. Susceptible de violer des principes inhérents à l’Union européenne, elle ne peut être mise en place que de manière concertée avec tous les États membres.

Un partage de compétence entre l’UE et les États membres

L’article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que l’UE détient une compétence exclusive en matière de « politique commerciale commune ». Cette compétence exclusive signifie que seule l’Union européenne, à travers ses institutions (la Commission, le Conseil de l’UE et le Parlement européen), peut conclure des accords commerciaux avec des pays tiers au nom des États membres.

Cela inclut les accords de libre-échange qui visent à faciliter les échanges de biens et de services, les investissements directs étrangers, ainsi que certains aspects liés à la propriété intellectuelle. Par conséquent, dans la plupart des cas, les États membres ne peuvent pas négocier ou conclure de tels accords de manière autonome.

En matière de commerce extérieur, l’UE agit donc en tant qu’acteur unique sur la scène internationale. Et ce, quand bien même le Conseil de l’UE, qui réunit les ministres des États membres, donne mandat à la Commission pour négocier et adopte en dernier lieu le traité, donnant aux gouvernements nationaux une place non négligeable dans le processus d’adoption de ces accords.

Mais les États ont parfois aussi une place dans la ratification des traités.

Si l’UE possède la compétence exclusive pour négocier et conclure la plupart des aspects des accords de libre-échange, certains domaines relèvent toutefois de compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres en vertu de l’article 4 du TFUE.

En matière de traité de libre-échange, des questions comme les normes de travail, les investissements indirects et certains aspects de la protection de l’environnement peuvent relever de compétences partagées entre l’Union et les États membres, nécessitant un processus de ratification de l’accord par les parlements nationaux.

Par exemple, pour l’accord de libre échange UE-Singapour, le volet environnement, qui relève de la compétence partagée, nécessite une ratification par les États membres.

Un exemple emblématique de ce type de situation est l’accord économique et commercial global (CETA) entre l’UE et le Canada. Ce dernier a nécessité l’approbation non seulement des institutions de l’UE, mais aussi des parlements des États membres pour certaines parties spécifiques.

Dans ce contexte, si un parlement national refuse de ratifier l’accord, seules les dispositions relevant de la compétence exclusive de l’UE peuvent entrer en vigueur, souvent sous la forme d’une « application provisoire » en vertu de l’article 218 du TFUE. Les parties de l’accord qui touchent à des domaines de compétence partagée restent suspendues tant que tous les États membres n’ont pas achevé leur processus de ratification.

Pour les traités de libre-échange, la position du Rassemblement national est claire. Le parti est hostile à ce type d’accord et a voté en majorité contre au Parlement européen. En revanche, il n’a pas réussi à convaincre au sein de l’hémicycle qui a voté en majorité « pour » le traité de libre-échange avec le Canada.

Des atteintes à la libre circulation des marchandises

Les États membres de l’UE ne peuvent mener des politiques dans les domaines relevant de la compétence exclusive de cette dernière (comme le marché intérieur), en particulier si elles sont protectionnistes à l’avantage des produits nationaux.

Cela reviendrait à porter atteinte au principe de libre circulation des biens et des marchandises entre les États membres. L’article 34 du TFUE interdit ainsi expressément les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que les mesures équivalentes à ces restrictions entre les États membres.

La proposition de Jordan Bardella d’une loi nationale « Mangeons français », qui viserait à favoriser exclusivement les produits français ou à imposer une consommation préférentielle des produits nationaux, pourrait être considérée comme une entrave à la libre circulation des biens.

En effet, une telle loi désavantagerait les produits provenant des autres États membres de l’UE en imposant des conditions différentes ou des obstacles supplémentaires à leur accès au marché français.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a, à plusieurs reprises, jugé que des mesures nationales favorisant les produits locaux constituaient des discriminations ou des mesures d’effet équivalent interdites par l’article 34 du TFUE. Cette interdiction est une solution constante depuis l’arrêt Dassonville (CJUE, 1974).

La CJUE a déjà eu à connaître de cas similaires au projet du président du Rassemblement national avec l’affaire Buy Irish de 1982. Le gouvernement irlandais avait alors encouragé à consommer de manière générale des produits nationaux. Ces pratiques protectionnistes, qui favorisent les produits nationaux au détriment de ceux de l’UE, avaient été considérées comme entravant la libre circulation des produits au sein du marché intérieur.

Jordan Bardella ne pourra donc pas proposer une loi protectionniste pouvant porter atteinte au marché intérieur. Il ne peut que renforcer la position de son parti au sein du Parlement européen afin de dénoncer les domaines de compétence de l’UE concernant les traités de libre-échange.

 

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