Non, des études ne prouvent pas que ces antiparasitaires pour chiens peuvent traiter le cancer chez l’homme
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteur : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Ella Couet, étudiante en master de journalisme à Sciences Po Paris
Source : Compte Youtube, le 9 janvier 2025
Relayés grâce aux réseaux sociaux et à des personnalités publiques, de nombreux témoignages assurent que l’ivermectine et le fenbendazole, des médicaments utilisés comme antiparasitaires pour animaux, traitent le cancer de l’homme. C’est faux : pour le moment, aucun essai clinique n’a confirmé qu’ils pouvaient être utilisés comme un traitement pour l’homme.
« Trois de mes amis, avec un stade 4 de cancer, n’ont aujourd’hui plus de cancer », explique l’acteur Mel Gibson, invité de l’émission du podcasteur le plus écouté au monde, Joe Rogan, le 9 janvier. « Qu’ont-ils pris ? », demande le podcasteur. « Ils ont pris ce dont vous avez entendu parler », répond mystérieusement Mel Gibson, avant de confirmer qu’il parle de l’ivermectine et du fenbendazole, deux médicaments antiparasitaires, principalement réservés aux animaux.
L’ivermectine est connue pour soigner la gale ou l’onchocercose — une maladie des yeux et de la peau —, y compris chez l’homme et le fenbendazole, aussi appelé Panacur, est surtout utilisé chez les chiens et les chats pour traiter les vers et parasites intestinaux.
Guérir d’un cancer de stade 4 n’aurait donc jamais été aussi facile ? Cette interview de l’acteur de Mad Max a grandement fait réagir sur les réseaux sociaux et a réactivé une théorie déjà largement relayée autour de l’utilisation de ces médicaments pour soigner le cancer.
La plupart du temps, ces allégations sont accompagnées de références à des études scientifiques qui confirmeraient l’efficacité des deux médicaments pour éliminer les tumeurs cancéreuses. Qu’en est-il réellement ?
« Pas de publication scientifiquement solide »
Tout commence en avril 2019. À l’époque, un patient américain en convalescence, un certain Joe Tippens, affirme dans les médias qu’il s’est débarrassé de son cancer des poumons grâce à un antiparasitaire, normalement réservé aux chiens. Son histoire va être reprise sur YouTube par un vétérinaire controversé canadien, sur un blog de santé fondé par l’auteur antivax Xavier Bazin.
Le sujet a dépassé les frontières et, en France aussi, des personnes sont convaincues de l’efficacité d’un tel traitement. On retrouve, par exemple, dans l’espace commentaires et discussion du site officiel de la Ligue contre le cancer, des patients en mal de solutions qui cherchent des conseils sur l’utilisation des antiparasitaires dans la lutte contre leur cancer. Contactée, la Ligue contre le cancer reconnaît un probable problème de modération à ce sujet sur son site, mais nous confirme que pour le moment, l’ivermectine et le fenbendazol ne sont pas des traitements efficaces pour traiter le cancer.
Si ce n’est pas considéré comme un traitement efficace, en revanche, la recherche médicale s’intéresse au sujet. Et s’il existe bel et bien des publications scientifiques qui évoquent les propriétés anticancéreuses probables de ces médicaments, il faut être plus que mesuré : aucun essai clinique n’a tranché sur leur efficacité pour traiter le cancer.
Une publication scientifique ne vaut pas preuve d’efficacité
« [L’ivermectine et le fenbendazole] montrent des activités anticancéreuses in vitro, notamment sur l’animal », explique Jérôme Hinfray, responsable de l’information scientifique à La Ligue contre le cancer. « Ils ont un effet antiprolifératif des cellules cancéreuses et de stimulation du système immunitaire. Il y a un intérêt de la communauté médicale pour ce sujet. Mais aujourd’hui, nous n’avons aucune preuve de leur efficacité pour les envisager comme un véritable traitement contre le cancer chez l’humain ».
Cet intérêt de la communauté scientifique se traduit par différentes publications dans lesquelles les chercheurs s’interrogent sur les qualités de ces médicaments. Et ces études scientifiques sont largement utilisées par les convaincus tels que Mel Gibson pour « prouver » l’efficacité d’un potentiel traitement.
Parmi ces études utilisées, l’une, publiée en janvier 2021 dans la revue Pharmacological Research s’intitule « L’ivermectine, un médicament anticancéreux potentiel dérivé d’un médicament antiparasitaire ».
Cette publication a été rédigée par neuf scientifiques chinois qui y concluent que ce médicament est une piste intéressante pour lutter médicamenteusement contre les tumeurs. « L’ivermectine [IVM] présente de nombreux avantages qui suggèrent qu’il vaut la peine d’être développé en tant que nouveau médicament anticancéreux potentiel », résument les chercheurs.
Sauf qu’à y regarder de plus près, s’ils sont optimistes, ils ne concluent rien de probant. « Malheureusement, aucun rapport n’a fait état d’essais cliniques de l’IVM en tant que médicament anticancéreux. Certains problèmes doivent encore être étudiés et résolus avant que l’IVM ne soit utilisé en clinique », préviennent les auteurs.
« Les médicaments mentionnés dans le podcast font l’objet d’études, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer leur efficacité et leur innocuité avant qu’ils puissent être prescrits aux personnes atteintes d’un cancer », précise aux Surligneurs la Société Canadienne du Cancer qui s’était fendue d’un tweet pour débunker le discours de Mel Gibson en nuançant les avancées de la recherche sur le sujet.
La recherche avance petit à petit
Alors, où en est la recherche sur ce sujet ? Pour schématiser, le monde de la recherche scientifique se découpe en deux temps.
D’abord, il y a l’étape de la recherche fondamentale. À ce stade, on étudie le fonctionnement des molécules du médicament et celles de la maladie. Puis, dans un second temps, viennent les essais cliniques — aussi appelés études médicales — où est évaluée l’efficacité du candidat-médicament sur les maladies humaines.
« Pour l’ivermectine et le fenbendazole, on se situe un peu entre les deux », résume Jérôme Hinfray. « Ce qu’on a montré, c’est que ces médicaments [et leur molécule, ndlr] constituent une piste pour traiter le cancer. C’est donc un sujet de recherche, mais, en l’état actuel, rien ne permet de penser qu’il intégrera un jour l’arsenal des traitements des cancers ».
En 2021, un des premiers essais cliniques sur le sujet ne s’est pas révélé concluant. Il portait sur l’efficacité du mébendazole – la molécule du fenbendazole adaptée à l’humain – pour traiter de cancer gastro-intestinal avancé. Réalisé sur un très petit échantillon de dix personnes, l’essai conclut que « la prise de mébendazole, dosé individuellement, n’a pas eu d’effet anticancéreux dans les cancers gastro-intestinaux ». « Il se pourrait que [les] propriétés antitumorales potentielles [du mébendazole] ne se manifestent que chez les patients dont la maladie est moins avancée et/ou dans d’autres diagnostics de cancer connus pour être plus sensibles à l’immunothérapie », nuancent les scientifiques investis sur l’essai clinique.
Plus récemment, un article scientifique publié en octobre 2024 continue de parler du potentiel prometteur du fenbendazole et du mébendazole pour traiter le cancer. Pour l’instant donc, aucun essai clinique, suffisamment large et représentatif, n’a conclu que ces médicaments étaient un traitement officiellement reconnu et valablement efficace contre le cancer.
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