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Le déclin de la rougeole n’a-t-il vraiment « rien à voir » avec le vaccin ?

Création : 13 janvier 2025

Autrice : Ella Couet, étudiante en master de journalisme à Sciences Po Paris

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Compte Facebook, le 29 décembre 2024

Dans un podcast, l’avocat états-unien Aaron Siri remet en cause l’utilité du vaccin contre la rougeole. S’il s’appuie sur des chiffres corrects, ses conclusions sont erronées.

La rougeole aurait-elle disparu même sans l’apparition d’un vaccin dans les années 60 ? Il y aurait débat selon l’avocat Aaron Siri au micro du journaliste conservateur états-unien Tucker Carlson.

Pourtant, si la baisse des cas de rougeole avait déjà diminué avant son introduction, ce vaccin a permis l’élimination de cette maladie qui compte parmi les plus contagieuses.

« Au cours des années précédant le premier vaccin contre la rougeole aux États-Unis, en 1963, le taux de mortalité de la rougeole a baissé de plus de 98 % », observe Aaron Siri, avocat spécialiste des procès vaccinaux, au micro de Tucker Carlson. Graphique à l’appui, qui montre le nombre de morts de la rougeole pour 100 000 personnes.

Ce graphique, qui illustre la vidéo, provient du site Physicians for informed consent, un collectif de médecins et de familles qui militent pour faire de la vaccination un choix individuel. Les chiffres qu’il utilise, que nous avons vérifiés, sont des données produites par les Centres états-uniens pour le contrôle et la prévention des maladies, qui forment la principale autorité fédérale de protection de la santé et de la sécurité des personnes aux États-Unis, et accessibles en ligne dans plusieurs documents.

Des chiffres corrects

Elles montrent qu’en moyenne, 13,3 États-uniens sur 100 000 mourraient de la rougeole en 1900. En 1960, elles n’étaient plus que 0,2 pour 100 000 personnes, soit environ 500 décès par an, pour 500 000 cas déclarés.

Ces données sont donc authentiques. Pour autant, selon la géographe Lucie Guimier, elles sont à prendre avec prudence : « elles sous-estiment manifestement la réalité, compte tenu de la sous-déclaration classique des cas de rougeole », explique-t-elle par mail aux Surligneurs. Ainsi, selon les autorités états-uniennes, il y aurait, en réalité, eu 3 à 4 millions de malades par an.

Durant la décennie précédant l’arrivée du vaccin, la maladie entraînait chaque année encore quelque 48 000 hospitalisations et presque tous les enfants la contractaient avant leurs quinze ans, selon le gouvernement des États-Unis.

En une soixantaine d’années, il y a donc bien eu une baisse massive des cas de rougeole, bien que plusieurs centaines de personnes mouraient encore chaque année de la maladie, dans les premières années suivant l’introduction du vaccin. Un rapide calcul permet de vérifier que la baisse de 98 % de la mortalité entre 1900 et 1963, dont parle Aaron Siri dans la vidéo, est correcte. Mais à quoi cette baisse est-elle due ?

Capture d’écran X

 

Avant 1963, il n’existait pas aux États-Unis de vaccin contre la rougeole, et c’est ce qui perturbe l’avocat. « Ce déclin n’a rien à voir avec les vaccins. Vous savez comment je le sais ? Il n’y avait pas de vaccin contre la rougeole ! », raille-t-il. C’est en effet cette année-là qu’a été introduit aux États-Unis le premier vaccin contre la maladie. Autrement dit, selon l’avocat, le vaccin n’a certainement pas éradiqué la maladie et l’explication serait ailleurs.

La diminution de la mortalité serait liée à l’évolution des normes d’hygiène : « Les autorités de santé publique devraient s’attribuer le mérite de ça : un meilleur assainissement, de l’eau propre, l’élimination des eaux usées des rues […] la quarantaine ». Cet argument est confirmé par plusieurs épidémiologistes, pour qui les progrès dans l’hygiène et les soins médicaux ont joué un rôle important.

« Cette baisse du taux de mortalité était une trajectoire qui se poursuivait même lorsque le vaccin contre la rougeole a été introduit en 1963 », affirme Aaron Siri. « Quelle est la part attribuable au vaccin contre la rougeole ? Quelle est la part des efforts continus des organismes de santé publique ? », interroge-t-il.

Le vaccin contre la rougeole a bien permis son éradication

Si l’avocat semble remettre en question l’utilité d’un vaccin contre la rougeole, les scientifiques s’accordent cependant à ce sujet : certes, la mortalité de la maladie a bien commencé à baisser avant l’introduction du vaccin, mais celui-ci a permis son éradication. « La forte diminution de la mortalité due à la rougeole peut être attribuée à plusieurs facteurs, parmi lesquels l’introduction du vaccin a été un élément déterminant », résume Lucie Guimier.

D’ailleurs, les statistiques le prouvent. Les données recensant le nombre de cas de rougeole par an, disponibles sur le site des Centres états-uniens pour le contrôle et la prévention des maladies, montrent que le nombre de cas déclarés a brutalement chuté entre le début et la fin des années 60. Après quelques nouveaux pics, éliminés par l’introduction d’une seconde dose recommandée de vaccin en 1989, les chiffres se stabilisent aux alentours de… zéro !

Source : site des Centres états-uniens pour le contrôle et la prévention des maladies

 

La rougeole a finalement été déclarée officiellement éliminée des États-Unis en 2000. Cela signifie qu’il n’y a plus de propagation de la maladie à l’intérieur du pays, car un nombre suffisant de personnes est vacciné.

Selon les spécialistes, la maladie pourrait revenir si la couverture vaccinale devenait trop faible. « Depuis les années 2010, plusieurs foyers épidémiques ont été observés sur le territoire états-unien, tous ayant pour point commun de se diffuser parmi des populations non ou pas assez vaccinées (une seule dose) », explique Lucie Guimier.

S’ils gagnent du terrain, les discours antivax repris depuis plusieurs années par la sphère conservatrice à laquelle appartient Tucker Carlson pourraient faire resurgir des maladies vaincues depuis longtemps.

 

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