Non, aucune étude ne prouve que le paracétamol « féminise » les petits garçons
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Hugo Guguen, juriste
Source : Compte Instagram, le 23 décembre 2024
La rumeur selon laquelle la prise de paracétamol pendant une grossesse peut « féminiser » les fœtus refait surface sur Instagram. Cette théorie n’a été prouvée par aucune étude scientifique, nous expliquent trois experts, et prospère sur une confusion sur le terme de « féminisation ».
C’est un réflexe pour beaucoup de Français en cas de mal de tête : ils prennent du paracétamol. En 2023, plus de 538 millions de boîtes de cet antalgique ont été vendues dans les pharmacies. Ce qui en fait le médicament le plus vendu en France en termes de volume, d’après David Syr, directeur général adjoint du Groupement pour l’élaboration et la réalisation de statistiques, interrogé par Le Monde.
Une popularité qui interroge parfois : le paracétamol n’est pas si anodin qu’il en a l’air. Pire, selon certains, il pourrait altérer l’action de certaines hormones, jusqu’à « féminiser les petits garçons ».
Cette hypothèse a été officiellement évoquée dans l’espace médiatique sur le plateau de TV5 Monde en 2021 par la journaliste Corinne Lalo. « Il a été prouvé que le paracétamol féminise les petits garçons lorsque la maman en prend quand elle est enceinte », affirme la grande reporter, spécialiste des questions de santé.
Cette hypothèse est finalement reprise sur les réseaux sociaux en 2023, avant d’être débunkée par l’AFP. Dernièrement, elle a été associée à un discours masculiniste à propos de la sexualité des femmes — et de la pilule contraceptive — par un influenceur qui se présente comme « naturopathe holistique » sur son compte Instagram.
« Le paracétamol féminise les petits garçons lorsque la maman en prend quand elle est enceinte. […] Les femmes qui portent un enfant ne doivent prendre aucun médicament, même ceux qui paraissent anodins, comme le paracétamol […]. La pilule est un médicament, mais aussi un perturbateur hormonal, puisqu’elle va jouer sur les hormones. […] Ce n’est pas parce que la société occidentale a fait en sorte de normaliser le fait de copuler avec tout le monde et n’importe qui pour une femme qu’il faut donc prendre des produits chimiques appelés pilules pour ne pas tomber enceinte du premier qui passe », assène l’auteur du post à ses 54 000 abonnés.
Au-delà de cette fumeuse association, qu’en est-il de cette hypothèse de l’impact du paracétamol sur le sexe du bébé à naître ?
Aucune étude n’établit le caractère « féminisant » du paracétamol
« À ce jour, aucune étude n’est parvenue à la conclusion que le petit garçon en gestation dans le ventre d’une femme enceinte peut subitement se transformer en petite fille après la consommation du paracétamol », tranche Sylvie Babajko, biologiste et directrice de recherche à l’Inserm.
Pour l’experte, le terme de « féminisation » relève ici d’un abus de langage, un raccourci qui porte à confusion. « Il est plus juste de parler de troubles de la fertilité ou du trouble de développement de l’appareil reproducteur », complète-t-elle.
Parce qu’effectivement, le paracétamol n’est pas une substance anodine, sans effet sur le fœtus. Sur ce point, la communauté scientifique est très claire.
« Depuis 2011, des études émettent des liens entre l’utilisation du paracétamol et des troubles des spermatozoïdes chez l’enfant à naître, détaille Sylvie Babajko. L’exposition au paracétamol peut avoir un impact sur les appareils reproducteurs, aussi bien chez les mâles que chez les femelles. Cela peut se traduire par des troubles du développement des organes génitaux pour les deux sexes », insiste la biologiste.
Le paracétamol est suspecté d’être un perturbateur endocrinien, ces substances qui affectent le système hormonal normal d’un individu, mais n’a pas encore été retenu comme tel par les agences réglementaires. Au niveau européen, la fiche technique de ce médicament n’indique pas qu’il soit un perturbateur endocrinien reconnu.
Une des études évoquées pour relayer cette hypothèse, publiée par une équipe danoise en 2017 et réalisée sur des souris, rappelle que le paracétamol « augmente le risque de cryptorchidie [défaut de migration des testicules, ndlr] et de réduction de la distance anogénitale par ses effets anti-androgènes » (page 5).
Or, comme le rappelle Sylvie Babajko, les femmes se distinguent des hommes par une distance plus courte entre l’appareil reproducteur et l’anus. Mais ce raisonnement est bancal et trop simpliste. « Dire qu’il y a une diminution de la distance ne veut pas dire qu’il y a un changement de sexe », indique Olivier Puel, endocrinologue et pédiatre, membre de l’Association française des pédiatres endocrinologues libéraux.
Trouble du développement des organes reproducteurs ne veut pas dire changement de sexe
Même son de cloche pour Sylvie Babajko. De la même façon qu’une hormone (même la testostérone ou l’œstradiol) n’est pas suffisante à elle seule pour modifier le sexe d’un individu à naître, ce n’est pas parce qu’une substance est un perturbateur endocrinien qu’il peut modifier le sexe du futur individu, explique la chercheuse.
Aussi, les études réalisées sur l’impact du paracétamol sur les organes reproducteurs ne sont pas déterminantes et précises. Isoler les effets du paracétamol sur la santé de l’enfant à naître est très compliqué. Il est difficile de déterminer que c’est effectivement ce médicament, et pas une autre substance, qui a pu avoir tel ou tel impact. « Le paracétamol peut avoir des conséquences sur le développement de multiples organes de l’enfant à naître. Mais tout l’environnement de la femme enceinte est à prendre en compte : alcool, pollution, tabac, nutrition, stress… », poursuit Sylvie Babajko.
Une autre limite est qu’une partie des études sont réalisées sur des animaux. « Le problème, c’est qu’on ne peut pousser plus loin ces études pour des questions d’éthique. On ne peut pas demander à une femme enceinte de prendre du paracétamol pendant un mois et analyser ses résultats », explique Laure-Anne Baudon, docteure en pharmacie et autrice d’une thèse sur « Les risques de l’exposition prénatale au paracétamol ».
Pour autant, il ne faut pas diaboliser la prise de paracétamol, défendent les experts. « C’est évident qu’il faut prendre le moins de médicaments possible quand on est enceinte, mais en cas de besoin, il ne faut pas éviter le paracétamol pour finalement consommer un médicament plus dangereux », précise Olivier Puel.
En résumé, le paracétamol peut influer sur le développement de l’appareil reproducteur — y compris chez un fœtus femelle — et provoquer de futurs troubles de la fertilité. Mais en l’état actuel des connaissances scientifiques, rien ne prouve que le paracétamol provoque un changement de sexe chez l’enfant à naître. L’essentiel reste de consommer ce médicament dans le respect des doses prescrites par un médecin.
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