Procès des viols de Mazan : l’appel de 17 accusés revient-il à nier l’infraction, comme le soutient Aurore Bergé ?
Autrice : Laurine Ferrari, Master 2 Droit pénal approfondi à Nancy
Relecteur : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal, université de Lorraine
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Aurore Bergé dans une interview sur France Inter, le 3 janvier 2025
Après avoir rappelé que faire appel d’une condamnation était un droit, Aurore Bergé a sous-entendu que les hommes condamnés dans le procès des viols de Mazan qui en ont fait usage auraient dû s’abstenir, notamment en raison des preuves. Or, il s’agit d’une contradiction juridiquement incorrecte : interjeter appel est un droit absolu pour la personne condamnée, qu’il existe ou non des preuves incontestables.
Invitée sur France Inter le 3 janvier dernier, Aurore Bergé, la nouvelle ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, s’est prononcée sur l’appel qui a été interjeté par 17 des condamnés dans le procès dit « des viols de Mazan ».
D’après elle, si interjeter appel constitue bel et bien un droit, le fait d’en faire usage lorsqu’une condamnation pour des faits de viols a été prononcée en présence de preuves reviendrait à nier l’infraction.
L’appel : un droit absolu pour les condamnés
Qu’il soit question d’un crime, d’un délit ou d’une contravention, la faculté pour un condamné de faire réexaminer son affaire par une autre juridiction est un droit. Sur ce point, l’ancienne députée a dit juste. Et une telle possibilité en matière criminelle n’est pas si nouvelle, puisqu’elle est née de la loi du 15 juin 2000, entrée en vigueur le 1er janvier 2001.
En vertu des articles 380-1 et 380-2 du Code de procédure pénale, l’accusé, tout comme le ministère public, dispose de la faculté de faire appel d’un arrêt de condamnation rendu par la cour d’assises en premier ressort. Cet appel est porté devant une autre cour d’assises chargée de juger une seconde fois l’affaire.
La cour criminelle départementale, nouvelle juridiction criminelle compétente pour juger l’infraction de viol, notamment dans le cadre du procès des viols de Mazan, ne fait pas exception à cette règle, rappelée à l’article 380-21 du même code.
Et pourtant, « même confronté à des images, à des preuves, il y a encore ce déni… » s’est étonnée la nouvelle Ministre. À en croire les paroles de cette dernière, l’existence de preuves devrait dissuader une personne condamnée pour viol de faire appel. Or, rien de tel n’est prévu dans la loi. Qu’il s’agisse de viol, comme c’est le cas dans ce procès, ou de n’importe quelle autre infraction, le droit d’appel pour la personne condamnée existe, indépendamment des preuves.
Par ailleurs, l’existence de preuves de la commission d’une infraction ne va pas automatiquement de pair avec une condamnation pénale. Par exemple, l’auteur des faits peut être déclaré irresponsable pénalement, en cas par exemple de trouble mental ayant aboli son discernement. Autre exemple, les faits matériels peuvent bien constituer l’infraction — en l’occurrence, les actes de pénétration sexuelle — mais il faut que l’élément moral du viol soit prouvé : c’est une ligne de défense développée par certains accusés dans le procès.
La contestation de la culpabilité mais pas que
Selon Aurore Bergé, l’appel interjeté par 17 des condamnés du procès des viols de Mazan « en dit long ». Elle a ainsi énoncé que « l’on ne reconnaît jamais avoir violé », comme si le fait pour ces personnes d’interjeter appel ne pouvait que signifier qu’ils nient leur culpabilité.
Or, l’appel formulé par une personne condamnée ne porte pas systématiquement sur la décision l’ayant déclaré coupable. Il peut en effet s’agir de l’une des raisons entraînant l’accusé à demander le réexamen de son affaire. Mais un second procès peut aussi être demandé en raison de la durée de la peine, que le condamné peut juger trop élevée. Plus rare, mais juridiquement possible, l’appel peut porter sur le montant des dommages et intérêts que la personne a été condamnée à verser à la partie civile.
En définitive, le droit d’appel a été exercé conformément aux dispositions prévues par la loi. Un nouveau procès se tiendra donc fin 2025, avec la particularité que le jury populaire retrouvera sa place au sein de la cour, l’appel des décisions de la cour criminelle départementale étant porté devant la cour d’assises.
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