Non, Emmanuel Macron n’a pas perdu une occasion de bloquer l’accord avec le Mercosur en se rendant à Mayotte
Auteur : Hugo Guguen, juriste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Ella Couet, étudiante en journalisme
Source : Compte Instagram, le 18 décembre 2024
Un influenceur accuse Emmanuel Macron de « grande trahison » pour avoir confié la représentation de la France au chancelier allemand Olaf Scholz lors du Conseil européen. En raison de son déplacement à Mayotte, le président français aurait manqué une occasion en or de bloquer le traité du Mercosur. C’est faux.
Entre Mamoudzou et Bruxelles, Emmanuel Macron aurait fait son choix. Après le terrible passage du cyclone Chido sur Mayotte, le 14 décembre, le président français s’est rendu sur place cinq jours plus tard.
Une décision qui a fait bondir l’influenceur « Charb » : « Son calendrier coïncide parfaitement avec le fameux sommet du Conseil européen où il y a la possibilité de bloquer le Mercosur », s’exclame ce dernier dans une vidéo sur YouTube.
Le youtubeur critique le timing du Président pour sa visite à Mayotte et le choix de ce dernier de « donner les clés de la France à Olaf Scholz, le chancelier allemand », qui, à la demande d’Emmanuel Macron, a représenté la France le 19 décembre 2024 lors de la réunion du Conseil européen.
« Étant donné que Mr. Macron était normalement contre l’accord de libre-échange, il lui aurait tenu à cœur d’être là pour défendre la position de la France qui était normalement opposée, mais ce qui s’avère complètement faux, car il charge le type qui a soutenu Ursula von der Leyen, quand elle a voulu défendre et signer le Mercosur », fulmine Charb.
« Il demande à un type qui est pour le Mercosur d’aller défendre les positions de la France qui est contre, comment appelle-t-on ça à part une grande trahison ? », conclut le youtubeur.
Si les positions des deux chefs d’État sont bien celles-ci, les implications de cette représentation ne sont pas exactes. Même si Emmanuel Macron avait assisté au sommet du Conseil européen, il n’aurait pas pu « bloquer le Mercosur » comme l’affirme l’influenceur. En effet, le sujet n’était pas à l’ordre du jour et le Conseil européen n’a pas la compétence pour légiférer à ce sujet.
Un sujet qui n’est pas abordé
L’ordre du jour de la réunion nous apprend le contenu du sommet, qui a eu lieu le 19 décembre 2024. Il y est indiqué que les dirigeants de l’Union européenne avaient entre autres prévu de débattre du soutien militaire à l’Ukraine et du Moyen-Orient, plus particulièrement de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban et des derniers développements intervenus en Syrie. La réunion visait également à discuter du rôle de l’Union sur la scène internationale et de sa politique migratoire.
La question de l’adoption de l’accord de libre-échange avec le Mercosur n’était donc pas prévue par le Conseil européen. La lecture des principaux résultats ainsi que des conclusions d’António Costa, président du Conseil européen, lors de la conférence de presse suivant la réunion, confirme que le sujet n’a pas été abordé.
Les dirigeants de l’Union européenne se sont en effet majoritairement concentrés sur la question du soutien militaire à l’Ukraine. António Costa a confirmé à Volodymyr Zelensky, qui était invité à la réunion, que « l’Union européenne est prête à faire tout ce qu’il faut, aussi longtemps que nécessaire, pour mettre l’Ukraine en position de force pour la suite des événements« .
Emmanuel Macron, même s’il avait été présent au Conseil européen,n’aurait officiellement donc pas eu l’occasion d’aborder le sujet de l’adoption du traité de libre-échange avec le Mercosur et de « défendre les intérêts de la France » comme l’avance le youtubeur. Ce dernier se trompe par ailleurs en présumant que le Conseil européen joue un quelconque rôle dans l’adoption du traité.
Conseil européen et Conseil de l’Union européenne
Bien qu’elles partagent le même bâtiment à Bruxelles, il existe deux institutions de l’Union européenne différentes portant le nom de Conseil : le Conseil européen et le Conseil de l’Union européenne. Malgré leurs noms presque similaires, ces deux institutions ont des rôles distincts.
Le Conseil européen est l’organe au sein duquel se réunissent les dirigeants des 27 États membres pour débattre de questions communes essentielles et des moyens de faire avancer les politiques européennes. Il définit les orientations et priorités politiques générales de l’UE, mais n’adopte pas la législation européenne.
Ainsi, contrairement à ce qu’affirme l’influenceur Charb, Emmanuel Macron n’aurait pas été en mesure de bloquer l’adoption du traité de libre-échange avec le Mercosur, puisque le Conseil européen n’est pas l’instance européenne adéquate.
L’institution chargée de négocier et d’adopter la législation de l’Union européenne n’est en effet pas le Conseil européen, mais… le Conseil de l’Union européenne. Ce dernier est composé des représentants de chaque État membre de l’UE au niveau ministériel.
Hormis l’adoption des traités, il est chargé d’adopter le budget de l’Union, de coordonner les politiques économique et budgétaire des États membres, d’élaborer la politique étrangère et de sécurité de l’UE et enfin, de conclure des accords internationaux au nom de l’Union.
Le traité de libre-échange avec les pays du Mercosur, dont les négociations ont été conclues par la Commission européenne le 6 décembre dernier, doit désormais être traduit dans les 24 langues officielles de l’UE et finalisé sur le plan juridique.
Il sera ensuite proposé au Conseil de l’Union européenne, qui doit l’adopter à la majorité qualifiée des États membres. En cas d’adoption, ce sera au Parlement européen de le valider. Si c’est le cas, l’accord commercial pourra être officiellement signé par l’Union européenne.
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