Fonte de la banquise : les climatologues crient-ils au loup pour « pas grand chose » ?
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relectrice : Lili Pillot, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Hugo Guguen, juriste
Source : Post X, le 7 décembre 2024
Un compte climatosceptique remet en cause la fonte de la banquise Antarctique en prenant pour exemple deux cartes montrant la surface de glace un jour de décembre 1982 et de 2024. Une comparaison qui ne dit rien des tendances de fond qui, elles, prouvent qu’il y a bien une fonte des glaces.
Les images sont souvent plus parlantes que les mots. Mais mal contextualisées, elles peuvent aussi être trompeuses. C’est le cas de ces deux images partagées massivement par des comptes climatosceptiques, montrant l’étendue de la banquise antarctique à une quarantaine d’années d’intervalle. Si les deux images sont issues de données véridiques, leur interprétation est incorrecte.
Une des publications, vu plus de 50 000 fois sur X, présente les deux représentations de l’étendue de la mer de glace en Antarctique côte à côte. Sur l’une, la glace présente au pôle Sud le 6 décembre 1982, sur l’autre celle présente le 5 décembre 2024, quarante-deux ans plus tard. A priori, il y aurait très peu de différences entre les deux : la partie blanche — qui représente la glace — recouvre à peu près la même surface.
Cette similarité fait dire au compte que les « climatologues de plateau-télé » se tromperaient quand ils assurent que « la banquise va totalement fondre ». « Les climatologues qui crient sans arrêt au loup, c’est comme les médecins du co-vide [lire Covid, ndlr] : beaucoup de bruit pour pas grand-chose », écrivent-ils.
Malgré la simplicité apparente du raisonnement, celui-ci rate un point essentiel : la différence entre tendance de fond et variabilité interannuelle, comme le rappelle Serge Zaka, agrométéorologue sur BlueSky.
La banquise, elle fond ou pas ?
Car les données utilisées sur les deux cartes sont réelles et proviennent du centre américain National Snow and Ice Data Center. « Comparer deux dates à un point donné n’a pas vraiment de sens, explique aux Surligneurs Lydie Lescarmontier, glaciologue aujourd’hui chargée de plaidoyer pour la protection des pôles. Dans notre métier, nous regardons quasi exclusivement les moyennes. C’est un travail sur le long terme où l’on doit regarder les tendances. »
Pour Lydie Lescarmontier, ce genre de post désinforme consciemment. « C’est très malhonnête, car il a choisi deux dates en particulier. À ce niveau-là, ce n’est pas de la méconnaissance, mais bien de la manipulation. »
Or, si sur deux dates précises (6 décembre 1982 et 5 décembre 2024), les données sont à peu près similaires, la tendance de fond concernant l’étendue de la glace en Antarctique est claire : il y a une diminution de la banquise, comme le prouvent les données du même centre National Snow and Ice Data Center utilisé par le compte X.
« En Antarctique, il y a eu deux tendances successives, analyse Lydie Lescarmontier. Jusqu’en 2016, la surface de la glace sur le pôle Sud était plutôt stable, puis il y a eu une rupture dans les courbes avec une diminution drastique. »
Des changements abrupts liés à des effets de seuil et l’inertie de ces modèles
D’après la glaciologue, ce « décrochage » est dû à un seuil qui a été dépassé. « Avec le réchauffement de la température des océans, la banquise a eu de plus en plus de mal à se régénérer jusqu’à arriver à un seuil de rupture qui, lui, a été visible par nos outils. »
En clair, nous avons dépassé un niveau de réchauffement qui a entraîné une réponse drastique de la part de l’océan. « Les comportements sont plus au moins linéaires jusqu’à ce qu’ils dépassent un certain niveau ou la réponse est bien plus forte », précise la chercheuse.
Si au pôle Sud, l’évolution a vu naître une rupture à partir de 2016, la surface de glace au pôle Nord, dans l’Arctique, suit, elle, une tendance bien plus linéaire et descendante. Une étude, publiée dans Nature, le 3 décembre 2024, prévoit que l’océan Arctique pourrait connaître des jours « libres de glace », c’est-à-dire sans banquise, avant 2030.
Comme Serge Zaka dans son thread, Lydie Lescarmontier note que la surface de la glace n’est pas le seul indicateur à prendre en compte : l’évolution de l’épaisseur de la banquise est essentielle, lui aussi. « On assiste à un changement dans la nature de la glace. Il y a moins de glace pluriannuelle qui se forme, c’est-à-dire une glace qui survit d’une année sur l’autre et qui a le temps de s’épaissir au fil des ans. »
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.