Réouverture de Notre-Dame de Paris : Emmanuel Macron a-t-il enfreint le principe de laïcité ?

Emmanuel Macron, prononçant un discours, lors de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris, le 7 décembre 2024. (Photo : Thibault Camus / POOL / AFP)
Création : 17 décembre 2024

Auteur : Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public, université Savoie Mont Blanc

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

La présence du président de la République et d’élus, lors de la réouverture de Notre-Dame de Paris, a fait couler beaucoup d’encre autour de la question d’éventuelles atteintes à la laïcité. Or, si les règles sont claires, les applications le sont moins.

C’est une image inhabituelle, pour ne pas dire peu conventionnelle. À l’occasion de la réouverture de Notre-Dame de Paris, le 7 décembre dernier, le Président Emmanuel Macron a prononcé un discours dans l’enceinte-même de la cathédrale. Après cette séquence républicaine a suivi une célébration liturgique, à laquelle ont assisté le chef de l’État et plusieurs élus.

Dans ce méli-mélo de politique et religion, la question d’atteintes à la laïcité s’est posée. D’autant que l’événement a eu lieu deux jours avant la « journée de la laïcité », fixée au 9 décembre, date anniversaire de la loi de 1905.

Une présence qui ne porte pas atteinte au principe de laïcité

L’article 2 de la loi de 1905 dispose que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » et institue donc trois principes : la non-reconnaissance, le non-financement, et le non-salariat des cultes.

Quant à l’article 1er de la Constitution de 1958, s’il qualifie la République de « laïque », il précise également qu’elle « respecte toutes les croyances ».

Que signifient alors toutes ces dispositions combinées ?

La triple interdiction de la loi de 1905 constitue le cœur de la séparation, c’est-à-dire une non-immixtion du politique dans le religieux, et réciproquement. L’État n’a pas à organiser les cultes, les rites, ou à avoir un quelconque jugement de valeur à l’égard des doctrines et croyances religieuses : il ne peut y avoir ni faveur ni défaveur. À l’inverse, les organisations religieuses ne peuvent guider ou dicter la loi ou les comportements des institutions publiques.

La présence d’élus et du président de la République lors de la réouverture de Notre-Dame ne porte pas atteinte en elle-même à la laïcité. L’événement avait certes une dimension religieuse emblématique, mais le discours du Président est resté de l’ordre du politique (preuve en est le nombre important de chefs d’État étrangers présents) et du culturel, voire architectural.

Mais encore faut-il que les représentants de l’État et de la nation respectent la neutralité et l’égalité entre les cultes, qu’implique également la laïcité.

Une participation passive au rite

Ce sujet a déjà été traité plusieurs fois par Les Surligneurs : un État laïque, en tous ses services et démembrements, se doit d’être neutre à l’égard de tous. Il doit s’abstenir de tous privilèges à l’égard des uns et des autres, de toute forme de reconnaissance officielle, et chacun doit être traité de façon égale dans le respect de ses convictions.

Le président de la République, comme les élus, ne doit pas, dans l’exercice de son mandat, afficher ses convictions religieuses, ou participer activement à une cérémonie religieuse : ni se signer, ni communier, ni prier (la question s’est d’ailleurs posée lors de la célébration de la fête juive de Hanouka à l’Élysée l’an passé).

Ce n’est qu’en dehors de leur mandat que les élus et le chef de l’État sont libres de participer ou d’animer des manifestations religieuses.

Certes, ces élus sont des représentants de la nation ou d’une partie de la nation ; mais représenter la nation lors d’un office n’est pas reconnaître une religion. Si leur présence passive est tout à fait possible à l’occasion de cérémonies religieuses ou de rencontres avec des autorités religieuses (comme le Pape), leur participation active au rite et donc au culte serait nécessairement une atteinte à la laïcité, et plus précisément à l’égalité entre les cultes, à la neutralité et à la non-reconnaissance. Ils ne peuvent le faire qu’à titre privé, et pas en tant que représentants.

C’est pour cette raison qu’Emmanuel Macron n’a pas communié lors de la messe inaugurale, au lendemain de la cérémonie d’ouverture. Et ce, contrairement à la Première dame, Brigitte Macron, ou au ministre de l’Intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau.

Le président de la République ne s’est également pas signé en entrant dans la cathédrale. Un geste qu’il avait également retenu lors des obsèques de Johnny Hallyday.

Un principe de laïcité qui doit cohabiter avec la liberté de culte

En revanche, un dernier point doit être souligné : celui du discours du Président in cathedra.

Initialement, celui-ci devait d’ailleurs se tenir à l’extérieur, sur la place Jean-Paul II, donc sur le parvis de Notre-Dame. La météo en a décidé autrement. Mais cela constituait-il pour autant une atteinte à la laïcité ?

Ce point a déjà été abordé par Les Surligneurs : Notre-Dame de Paris est la propriété de l’État, mais ce dernier ne peut pas l’utiliser comme il le souhaite. En effet, seul le « ministre du culte » (curé, évêque) dispose de l’usage du lieu de culte et des clés : nul autre ne serait en mesure d’exiger un second trousseau (Conseil d’État, 24 février 1912, Abbé Sarralongue).

Par conséquent, aucune manifestation autre que cultuelle ne peut se tenir dans un lieu de culte catholique sans l’accord du ministre du culte ; la liberté de culte, fondamentale, en serait violée (Conseil d’État, 25 août 2005, Commune de Massat). En d’autres termes, si un maire, par exemple, entend organiser un concert dans l’église du village, il doit obtenir l’accord du desservant (c’est-à-dire le prêtre en charge de la gestion de l’édifice).

Il en va de même lorsque le président de la République entend prononcer un discours politique au sein de Notre-Dame : le desservant doit donner son accord, sans quoi il n’y a pas violation du principe de laïcité, mais de la liberté de culte.

Ainsi, même si ce sont les conditions météorologiques qui ont conduit le Président à prononcer son discours dans le monument religieux, cela s’est d’évidence fait avec l’accord de la hiérarchie catholique. La laïcité n’a pas cédé à cause de la pluie.

 

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