Crédit : cottonbro studio

Le gouvernement va-t-il vraiment « surveiller » Google et les réseaux sociaux ?

Création : 17 décembre 2024

Auteur : Hugo Guguen, juriste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Compte Facebook, le 30 octobre 2024

Le Service d’information du gouvernement a lancé un appel d’offres pour poursuivre du « social et search listening » consistant à analyser les sujets émergents sur les réseaux sociaux. Contrairement à certaines affirmations, cette pratique, non nouvelle, se limite aux contenus publics et ne constitue pas une « surveillance » des internautes français.

Matignon s’inspire-t-il de la figure orwellienne de « Big Brother » de 1984 avec sa nouvelle politique de surveillance sur les réseaux sociaux ? Le lancement d’un nouvel appel d’offres d’écoutes en ligne par le Service d’information du gouvernement (SIG) a, en effet, généré beaucoup d’inquiétudes en ligne sur une potentielle surveillance des recherches privées faites par les internautes sur les réseaux sociaux.

Pour beaucoup d’entre eux, il s’agit d’une preuve formelle que le gouvernement envisage de surveiller les moindres faits et gestes des internautes français sur les réseaux sociaux : « En Marche vers le fascisme », écrit ainsi un utilisateur Facebook.

Certains articles de presse vont même jusqu’à assurer qu’il s’agit « d’espionnage » à grande échelle. Quoi que l’on pense de cet appel d’offres, il s’agit d’une pratique loin d’être nouvelle et qui s’appuie sur du contenu public. En d’autres termes, vos données personnelles ne doivent pas être captées dans le cadre de ce marché.

Matignon et veille numérique

Le SIG, ayant pour principale mission d’ « analyser l’évolution de l’opinion publique et le traitement médiatique de l’action gouvernementale », souhaite, en effet, détecter, analyser et mesurer les préoccupations et attentes des internautes vis-à-vis de l’action du gouvernement et de l’actualité en général.

« Les fonctions du Service d’information du gouvernement ne sont pas nouvelles, puisqu’il a pris la suite d’un service qui existait depuis déjà plusieurs décennies. À l’origine limitées aux relations avec la presse, elles incluent depuis vingt ans l’analyse de l’opinion publique, qui peut passer par toutes sortes d’enquêtes », nous explique Philippe Mouron, professeur de droit privé à Aix Marseille Université et membre des Surligneurs. 

Afin de réaliser cette analyse de l’opinion publique, le service fait appel à des prestataires spécialisés qui analysent des tendances de recherche et des contenus publiés sur diverses plateformes en ligne, telles que Google, TikTok ou encore Instagram. Le SIG avait ainsi passé un accord de 2,8 millions d’euros en 2021 avec plusieurs entreprises, dont la société Visibrain, pour réaliser de la veille pour le compte du gouvernement.

C’est ce que confirme aux Surligneurs le Service d’information du gouvernement dans un mail. « Cet appel d’offres correspond au renouvellement, pour quatre ans maximum, d’un marché notifié en mars 2021 composé de trois lots (trois outils distincts), dont l’échéance est le 28 mars 2025. L’analyse des réseaux sociaux est par ailleurs une activité qui préexistait au SIG, avec par exemple un marché d’outil de veille Twitter, notifié en janvier 2017. »

Ces entreprises étaient à l’époque chargées de faire remonter les publications des Français sur les principaux réseaux sociaux. Selon nos confrères de BFM TV, le but poursuivi était d’analyser des millions de publications pour mieux comprendre les opinions et les sentiments du public ainsi que les attentes des citoyens français.

Précision importante, cet appel d’offres est passé par le SIG « au bénéfice de l’ensemble des ministères et des services du Premier ministre », explique le SIG. Autrement dit, chaque ministère peut recourir à ces prestations « dans une logique de mutualisation », précise le SIG.

Ces prestataires étudient notamment les mots clés les plus recherchés afin d’enrichir les stratégies de communication. Ces pratiques sont nommées « social listening » et « search listening » (écoute sociale et écoute des recherches dans la langue de Molière).

Social et search listening, quésaco ?

L’offre actuelle, intitulée « Outils et études de social et search listening » commencera le 29 mars 2025, avec un doublement du budget par rapport au précédent appel d’offres. La somme attribuée à cette mission de veille numérique passe désormais à plus de 5 millions d’euros.

« Ces activités ont déjà commencé depuis 2021, et elles ont simplement augmenté. L’État fait presque de la publicité, non pas pour profiter économiquement, mais pour l’identification des besoins afin d’adapter les positions politiques », détaille Karine Favro, professeure en droit public à l’université Haute Alsace.

Selon les termes de l’appel d’offres, la demande porte sur « la fourniture d’outils et d’études de social et search listening, de mesure d’impact sur les conversations en ligne pour détecter, analyser et mesurer les préoccupations et attentes des internautes vis-à-vis de l’action du gouvernement et de l’actualité en général ».

D’après le SIG, les différences entre l’appel d’offres de 2021 et celui de 2024 résident principalement dans la prise en compte des « évolutions technologiques du secteur » : « élargissement des sources monitorées » pour prendre plus de plateformes publiquement accessibles en compte, mais aussi « l’intégration de nouvelles fonctionnalités comme l’IA » afin de faciliter l’exploitation des données et d’automatiser « et ainsi donner davantage de temps à l’analyse humaine ». Le SIG indique aussi qu’il s’agit « d’adresser de nouveaux besoins participant du mouvement de professionnalisation des communicants de l’État ».

Pas de violations de données personnelles

Ainsi, votre nom ou votre prénom ne seront pas « traqués » par le gouvernement. Il ne s’agit en effet pas d’accéder aux recherches ou messageries en ligne personnelles des internautes, mais à la liste des mots-clés les plus recherchés par les Français. Ces données sont publiques et partagées par Google, notamment à travers Google Trends.

Les données privées dans les groupes Facebook ou comptes Instagram privés ne sont ainsi pas celles concernées. « Il n’y a aucune surveillance. Le but est simplement de prendre le pouls de la société française, comme tout gouvernement devrait le faire », précise une source gouvernementale, auprès de BFM TV.

Pour Karine Favro, la question des données personnelles ne se pose pas : « il s’agit d’une analyse des tendances, on cherche des mots clefs qui permettent d’identifier des phénomènes sociaux, comme font les réseaux sociaux, comme Google a été le premier à le faire en 2005 avec Gmail. On ne va pas identifier des personnes ou des contenus, juste des tendances qui sont anonymes ».

Pour la professeure de droit, il y a donc un fossé entre l’objectif de ce marché public et les risques d’espionnage : « c’est un mode opératoire pour trouver des informations et non un mode de surveillance. On identifie des mots clefs dans une conversation, pas le contenu de cette dernière. Il ne s’agit pas de faire plus du profilage de personnes ».

« Il n’existe pas de contraintes spécifiques quant à la collecte et l’analyse des données publiques, si ce n’est pour celles qui pourraient constituer des données personnelles. Il n’est pas interdit de les collecter, mais leur traitement ultérieur devra respecter un certain nombre de conditions et limites », précise Philippe Mouron.

Le SIG assure qu’il consulte « les données mises à disposition via les interfaces de chacun des prestataires, qui les récupère eux-mêmes auprès des plateformes ». « Le stockage est donc géré par chacun des prestataires, pour lesquels les clauses contractuelles de l’appel d’offres leur imposent un traitement des données conforme au RGPD, telles que précisées à l’article 11.7 du CCAP et dans l’annexe 2 qui s’y rapporte. »

S’il est tout à fait possible et légitime de critiquer toute analyse de nos traces sur Internet par le gouvernement, comme le fait par exemple le service Viginum dans le cadre de la lutte contre l’ingérence numérique étrangère, cette veille numérique réalisée par le SIG est loin de moissonner nos données personnelles.

 

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