Crédit : Rafaels06 (CC BY-SA 4.0 - Photo modifiée)

Est-il possible d’amender le projet de loi de finances spéciale pour indexer le barème de l’impôt sur le revenu, comme l’affirme Jean-Philippe Tanguy ?

Création : 10 décembre 2024

Auteur : Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public à l’université de Picardie Jules Verne

Relecteur : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, université de Poitiers

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Jean-Philippe Tanguy sur CNews, le 3 décembre 2024

Le 3 décembre dernier, le député Jean-Philippe Tanguy a affirmé sur CNews qu’il est possible de déposer un amendement pour modifier le projet de loi de finances spéciale afin d’indexer le barème sur le revenu. Bien qu’il y ait eu un précédent en 1979, le cadre juridique concernant les lois de finances a depuis lors changé.

Jean-Philippe Tanguy, député Rassemblement national de la Somme, a déclaré sur CNews le 3 décembre dernier qu’il est possible de modifier le projet de loi de finances spéciale afin de lui ajouter une disposition permettant d’indexer les plafonds des tranches de l’impôt sur le revenu sur l’inflation.

Selon lui, une situation similaire s’est déjà produite, il y a deçà quelques décennies. Or, bien qu’il soit exact qu’en 1979 des sénateurs ont proposé d’amender le projet de loi de finances spéciale, la constitutionnalité d’un tel procédé est loin d’être certaine.

Un fonctionnement minimal des services publics

Le « projet de loi de finances spéciale » dont il est question est prévu à l’article 47 de la Constitution, tel que mis en vigueur aux articles 1er et 45 de la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Pour l’essentiel, il vise à sauvegarder la continuité de l’État et des services publics en l’absence de loi de finances adoptée à temps. Il permet au Parlement de consentir à l’impôt pour l’année suivante, dans les conditions de l’année écoulée, afin de garantir des ressources.

Le gouvernement dispose des « services votés ». Autrement dit : il peut mettre en œuvre les crédits nécessaires pour garantir le fonctionnement minimal des services publics, au plus dans les limites de la dernière loi de finances adoptée, soit probablement, en l’occurrence, la loi de finances de fin de gestion pour 2024.

Ce projet de loi de finances spéciale est le scénario le plus probable pour pallier l’absence de budget adopté avant le 31 décembre 2024. Mais, puisqu’il permettrait de percevoir les impôts comme prévu en 2024, l’impôt sur le revenu resterait calculé sur les bases de 2024. Et donc, sans prendre en compte la revalorisation du SMIC, ce qui entraînera logiquement une augmentation de cet impôt.

Un précédent en 1979

La situation était semblable en 1979 : pas de loi de finances, mais une loi de finances spéciale adoptée le 30 décembre 1979. À l’Assemblée nationale et au Sénat, les débats avaient porté notamment sur l’ajout d’une modification des tranches de l’impôt sur le revenu, mais les amendements avaient été rejetés au fond (pages 12550 et suivantes ; pages 5891 et suivantes). Jean-Philippe Tanguy a donc raison sur ce point précis : des amendements ont pu être discutés.

Un avant après 2001

Pour autant, le droit applicable en 2024 n’est pas exactement identique. Le cadre de la discussion des lois de finances s’est précisé, avec la LOLF de 2001. Son article 1er vient ainsi clarifier ce qui a caractère de loi de finances.

Et puisque son article 45 précise dans son alinéa 1er que « dans le cas prévu au quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, le gouvernement dispose des deux procédures prévues ci-dessous », il y a en réalité deux analyses possibles.

Soit cet article précise les seuls cas de figure où le projet de loi spécial peut être utilisé, et puisque son objet est limité à « continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année », alors aucun amendement n’est possible.

Autrement, il est possible de considérer que la LOLF n’est pas exclusive de l’article 47 de la Constitution. Après tout, ce dernier ne renvoie pas explicitement à la LOLF les cas où « le Gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts ».

De plus, très pragmatiquement, la LOLF n’encadre ce type de projet de loi de finances spéciale que pour un dépôt antérieur au 19 décembre. Si le gouvernement, démissionnaire ou de plein exercice, déposait un tel projet après le 19 décembre, il serait hors des clous par rapport à la LOLF, mais peut-être pas par rapport à la Constitution, le pragmatisme semblant ici l’emporter pour beaucoup de juristes.

Le gouvernement a choisi de déposer le projet avant le 19 décembre, et la question ne se posera donc pas. Dans un avis du 9 décembre 2024, postérieur à l’écriture initiale de ces réflexions, le Conseil d’État a pu considérer qu’il appartenait au gouvernement démissionnaire de procéder au dépôt de ce projet de loi de finances spécial, en y ajoutant des dispositions relatives au recours à l’emprunt.

Il écarte toutefois la possibilité de modifier le barème de l’impôt sur le revenu, dans une interprétation téléologique discutable de la LOLF : il considère qu’eu égard aux objectifs de cette disposition de la LOLF, qui vise « des mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale« . Pour autant, si de tels amendements étaient adoptés ou ajoutés par le gouvernement, et même si le Conseil constitutionnel était saisi, il n’est pas certain qu’il suivrait son voisin du Palais Royal.

La question reste donc ouverte et est loin d’être aussi facilement tranchée. En tout état de cause, même si le barème de l’impôt sur le revenu n’est pas adapté dès le 1er janvier, rien n’interdit par la suite à la nouvelle loi de finances de l’année de modifier les seuils. Cela entrainera une régularisation du trop-perçu le cas échéant.

Cet article a été modifié le 10 décembre 2024 après la lecture de l’avis du Conseil d’État cité.

Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.

Faites un don défiscalisé, Soutenez les surligneurs Aidez-nous à lutter contre la désinformation juridique.