Élections en Géorgie : des observateurs français d’extrême droite caution d’un scrutin contesté

Des manifestants se rassemblent devant le Parlement géorgien pour protester contre les résultats des élections législatives en octobre dernier, à Tbilissi, le 25 novembre 2024. (Photo par Vano SHLAMOV / AFP)
Création : 9 décembre 2024
Dernière modification : 10 décembre 2024

Autrices : Clara Robert-Motta, journaliste 

Nelly Pailleux, journaliste, directrice des opérations 

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

La Géorgie est secouée par de violentes manifestations après les élections législatives du 26 octobre 2024, dont les résultats sont contestés après des soupçons d’irrégularités. Le parti pro-russe vainqueur a pu compter sur le soutien d’élus français d’extrême droite pour défendre sa position à la télévision géorgienne.

La Géorgie se déchire. Deux semaines après la victoire du parti pro-russe au pouvoir, Rêve Géorgien, aux élections législatives (53,9 %), d’importantes manifestations pro-européennes ont eu lieu dans la capitale, Tbilissi.

Il faut dire que pèse sur l’élection l’ombre de l’influence russe et des soupçons d’irrégularité. Sur les 23 583 observateurs accrédités, nombreux doutent de l’intégrité du scrutin. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH, un organisme de l’OSCE) affirme avoir détecté des irrégularités, notamment des intimidations à l’égard d’électeurs et des supposés achats de voix à la sortie du bureau. Au moins un cas de bourrage d’urnes a été filmé.

Le constat est partagé par des organisations locales. Des ONG comme Transparency international Géorgie ou Myvote, une coalition de plusieurs associations géorgiennes, ont également noté de « graves violations ». Quelques jours après le scrutin, MyVote a demandé l’annulation des élections dans 246 circonscriptions sur 3 110.

Mais le gouvernement l’assure : circulez, il n’y a rien à voir. Il en veut pour preuve l’invitation d’un « maximum d’observateurs internationaux », le Premier ministre, Irakli Kobakhidzé estimant que « les organisations d’observation locales ont complètement terni leur réputation« . Les 1 699 observateurs internationaux accrédités seraient donc les garants de l’intégrité du scrutin. Néanmoins, ils ne bénéficient pas tous de la même visibilité.

Des observateurs internationaux méticuleusement choisis

En effet, au lendemain des élections, les téléspectateurs de la première chaîne du pays, Imedi, n’auront pas entendu le discours alarmant des observateurs de l’OSCE-BIDDH sur la situation démocratique de leur pays. Repérée par les journalistes de MythDetector, une organisation de vérification des faits géorgienne, une conférence de presse a vu défiler plusieurs membres de l’extrême droite européenne.

La chaîne Imedi, considérée comme progouvernementale à de nombreux égards, relaie notamment des « récits anti-Occident, ​​faisant écho aux messages du Kremlin, ainsi qu’une rhétorique conspirationniste », écrit la BBC. Selon son propriétaire, la raison d’être d’Imedi est de « ne pas permettre au parti United National Movement [parti pro-européen de l’opposition, ndlr] et à ses affiliés de revenir au pouvoir ».

Des manifestants à Tbilissi, le 1er décembre 2024. Photo : Giorgi ARJEVANIDZE / AFP

 

Fidèle à sa ligne éditoriale, la chaîne a soigneusement sélectionné ses intervenants. Il faut dire qu’elle peut compter sur des observateurs internationaux triés sur le volet, venus de toute l’Europe, mais aussi de l’hexagone.

Tapis rouge pour d’anciens zemmouristes

Le 27 octobre 2024, au lendemain des élections, les observateurs internationaux organisent des conférences de presse pour rendre compte de leurs constatations. Le journal de 14 heures de la chaîne Imedi va choisir d’en relayer une en particulier. Les observateurs internationaux interviewés y sont laudatifs dans les extraits choisis.

Tous expliquent que le scrutin s’est déroulé en toute « transparence » et félicitent l’organisation « hautement professionnelle » et « démocratique ». Plus surprenant encore, on trouve, parmi cette flopée d’observateurs, quatre Français, dont deux sont élus.

Loup Bommier, par exemple, est l’édile de Gurgy-le-Château (Côte-d’Or) et aurait été « l’un des premiers maires de France à soutenir Éric Zemmour pour la Présidentielle » de 2022, selon Le Bien Public.

Durant la conférence il affirme que « l’environnement était calme à Tbilissi et en Kakhétie », dans cette région « la société a été marquée par une grande confiance dans le processus électoral ». Pourtant, des soupçons d’agressions sur des journalistes de la principale chaîne d’opposition Mtavari ont été relevés. Des événements que l’ancien zemmouriste ne va pas relayer.

Loup Bommier est un habitué de l’observation électorale. Il fait partie d’un groupe qualifié de « faux-observateurs » par les observateurs de la plateforme européenne pour les élections démocratiques (EPDE).

Dans le cadre de l’élection présidentielle russe de 2024, il a notamment affirmé, dans le média russe Iz (désormais placé sous sanctions européennes), que « la question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment nous pouvons montrer que la Russie est un État démocratique fort afin de l’inclure dans le dialogue avec les autres pays démocratiques du monde », rapporte FakeObservers.

Le maire Loup Bommier lors de la conférence de presse pour la chaîne Imedi.

 

D’autres compatriotes présents à cette conférence de presse abondent dans son sens : Marc Gairin, maire de Momy (Pyrénées-Atlantiques), par ailleurs condamné à un an d’inéligibilité par le Conseil constitutionnel pour avoir tardé à remettre ses comptes de campagne, avait aussi été l’un des premiers à donner son parrainage à Éric Zemmour en 2022 (avant d’être lui-même candidat pour le parti aux élections législatives).

Il rapporte une « préparation exemplaire » de la part de la Géorgie. « Nous avons visité huit bureaux de vote et avons observé les personnes à l’intérieur et à l’extérieur. Les personnes pouvaient s’exprimer librement et nous n’avons vu aucun cas où les personnes n’étaient pas identifiées avec leurs cartes d’identité », explique celui qui est désormais membre du Rassemblement national.

De son côté, l’OSCE-BIDDH a rapporté des difficultés des bureaux de vote à faire fonctionner les dispositifs électroniques d’identification.

Soupçons de « complicité de crime de guerre » et vêtements « anti-wokes »

À leurs côtés, on retrouve François-Xavier Gicquel, également cité dans le média 1TV. Selon lui, la journée du scrutin a été un « exemple » pour de nombreux pays. « Je veux dire par là que la façon dont le processus a été organisé, ce que nous avons vu, le processus semblait assez fiable. »

Méconnu du grand public, François-Xavier Gicquel est le directeur des opérations chez SOS Chrétiens d’Orient, une ONG française visée par une enquête pour « complicité de crimes de guerre » pour ses actions en Syrie.

L’organisation est soupçonnée d’avoir des partenaires « à la tête de milices pro-Assad, accusées par des ONG syriennes d’avoir pillé des villages, bombardé des civils et entraîné des enfants au combat », comme le révélait Mediapart en février 2022.

Dans ce même article, nos confrères révèlent que SOS Chrétiens d’Orient entretient par ailleurs des liens étroits avec la sphère d’Éric Zemmour, qui avait notamment « aidé à récolter 20 000 euros lors d’une vente aux enchères de SOS Chrétiens d’Orient au profit de la ville de Mhardeh en Syrie ».

Éric Zemmour s’est aussi affiché aux côtés des bénévoles de l’association lors d’un déplacement en Arménie dans le cadre de sa campagne pour l’élection présidentielle de 2022.

Exclu du FN pour avoir effectué un salut fasciste (voir photo) lors d’une célébration à la gloire de Benito Mussolini en avril 2012, il a également été condamné en 2019 pour « violences aggravées notamment par la circonstance de la réunion » sur des militantes FEMEN et la journaliste Caroline Fourest lors d’une manifestation.

En Géorgie, il vante le système de votes électroniques mis en place pour les élections. Pourtant, le doute persiste sur de potentielles manipulations de ces machines, qui auraient pu être utilisées pour frauder, comme l’a expliqué Antonio López-Istúriz White, chef de la délégation d’observation électorale du Parlement européen, au Devoir : « Pour la première fois samedi, les Géorgiens votaient selon un mode de scrutin entièrement proportionnel et des machines à voter électroniques étaient en place. Il y avait donc beaucoup de gens qui posaient des questions, et cette dame leur indiquait systématiquement comment voter pour le parti [Rêve géorgien, ndlr] au pouvoir ».

Cela n’empêche pas les observateurs français d’être « surpris par l’organisation et le bon déroulement » du processus électoral. « C’était une élection très bien organisée. Je ne suis pas sûr que tous les pays occidentaux aient des élections organisées à un niveau aussi élevé. C’est impressionnant », affirme un quatrième observateur français, Alain Avril.

L’homme n’a, à notre connaissance, jamais eu de mandat électif, mais affiche très clairement son appartenance idéologique. En 2023, il co-fonde une « marque de vêtements identitaires » et « anti-woke » du nom d’Aper, promue par la web-télé d’extrême droite, TV Libertés.

François-Xavier Gicquel et Alain Avril lors d’une conférence de presse à la télévision géorgienne. Capture d’écran Imedi.

 

Sa marque jouit d’une bonne publicité sur plusieurs sites d’extrême droite que sont Breizh-info, Riposte laïque et Résistance républicaine. « En achetant Aper, non seulement vous aidez Riposte Laïque, mais vous pouvez aussi montrer que vous combattez le wokisme ! », peut-on lire sur leur site.

Un mois après que son fondateur ait voyagé avec François-Xavier Gicquel, par ailleurs chroniqueur à Radio Courtoisie, la marque des « patriotes » aura même gagné une collaboration avec la matinale de la radio.

Contactés par Les Surligneurs à plusieurs reprises, aucun des quatre observateurs français n’a répondu à nos sollicitations.

De la Géorgie à la France

De retour en France, ils n’en ont pas pour autant fini avec les élections géorgiennes. Chacun y va de son analyse sur ses réseaux sociaux, en appuyant les positions de ses compagnons de voyage : « Très bonne analyse, Marc », répond Alain Avril à Marc Gairin qui, irrité par les constats d’autres observateurs internationaux, dénonce leurs dires sur X :

Tweet de Marc Gairin en réponse à Nathalie Loiseau sur X.

 

De son côté, François-Xavier Gicquel a raconté son voyage au micro de Radio Courtoisie. Il explique qu’il a été « accrédité par la Commission Électorale Indépendante Géorgienne pour observer les élections sur place » et qu’il a eu l’occasion de « rencontrer Viktor Orban très brièvement lors de ce déplacement ».

Dans sa chronique, François-Xavier Gicquel s’évertue pendant cinq minutes à expliquer combien la lecture donnée par les médias selon laquelle Rêve Géorgien serait un parti pro-russe est erronée : « Imaginez le niveau de mauvaise foi qu’il faut aujourd’hui pour les accuser de dépendance envers la Russie. Parce qu’il n’y a pas eu de Gay Pride à Tbilissi en 2024, on jette un peuple entier à l’anathème ».

Pour rappel, Rêve géorgien est soupçonné d’avoir détourné les institutions démocratiques du pays, au profit de son dirigeant et fondateur, le milliardaire Bidzina Ivanichvili, et d’avoir saboté le processus d’intégration européenne, à la demande de la Russie, avant de devenir ouvertement pro-russe à partir de 2021-2022.

L’extrême droite européenne au premier plan

Le discours des observateurs français d’extrême droite, qui va à l’encontre de celui des observateurs internationaux de l’OSCE, est partagé par des sympathisants de l’extrême droite européenne, à qui Imedi déroule également le tapis rouge dans la même émission.

Les observateurs européens mis en avant par la chaîne géorgienne Imedi.

 

On trouve notamment Lőrinc Nacsa, du parti hongrois KDNP relié au Fidesz (le parti de Viktor Orban), Ryszard Czarnecki qui avait été démis de ses fonctions de vice-président du Parlement européen à la suite d’insultes en référence à la période nazie, Candela Sol Silva, membre de la branche argentine de Fratelli d’Italia Youth (le parti de Giorgia Meloni) et quatre membres de la branche polonaise d’Ordo Iuris, un groupe anti-avortement ultraconservateur.

Ces observateurs ont par ailleurs servi de tête d’affiche à des publicités politiques par Imedi sur les plateformes de Meta, cumulant des centaines de milliers d’impressions.

Capture d’écran – publicité Meta utilisant l’image de Marc Gairin

 

Ces observateurs internationaux semblent utilisés par les médias proches du pouvoir comme une caution pour légitimer l’intégrité des élections qui les ont reconduites à la tête du pays.

Si la Cour constitutionnelle a refusé d’invalider l’élection législative, le 3 décembre dernier, le Parlement européen a, quant à lui, appelé à réorganiser de nouvelles élections « en raison d’importantes irrégularités ».

 

Loup Bommier, Marc Gairin, François-Xavier Gicquel et Alain Avril ont tous été contactés par Les Surligneurs à plusieurs reprises et via différents canaux. Aucun d’entre eux n’a répondu à nos sollicitations. 

 

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