Fabrique de la loi : pourquoi nos parlementaires votent-ils encore à main levée ?
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Face à la multiplication des amendements dans une Assemblée plus morcelée que jamais, les votes à main levée, qui sont la norme au Parlement, concentrent plus d’enjeux… et font plus débat. Dernièrement, plusieurs votes à main levée ont fait l’objet de protestations, les députés estimant que le ou la président.e de séance avait mal compté. Décryptage.
« Ne remettez pas en cause ma présidence, s’il vous plaît. » Ce 26 octobre, tard dans la soirée, Yaël Braun-Pivet défend sa position alors que des députés de gauche l’accusent d’avoir mal compté les voix.
Pour voter sur cet amendement lié au projet de loi de finances de l’année, les députés devaient voter à main levée tandis que la présidente de séance, en l’occurrence Yaël Braun-Pivet, doit compter visuellement ce pour quoi votent les députés qui lèvent la main. « Qui est pour ? … Qui est contre ? … Il est rejeté », assène-t-elle avant que l’on entende des voix se manifester dans l’hémicycle. « Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP », peut-on lire sur le compte-rendu des séances de l’Assemblée nationale.
« Je suis désolée mais de cette travée-là jusqu’à ici, c’était défavorable », tente de s’expliquer Yaël Braun-Pivet, comme le montre la vidéo. Les députés de gauche auront beau protester, l’amendement n°3165 sera rejeté.
Ce genre de spectacle n’est pas rare à l’Assemblée nationale. Que ce soit en séance publique ou en commission, les accusations de mauvais décompte ou même de triche reviennent chez nos parlementaires. Mais à l’heure du tout numérique, pourquoi diable nos députés votent-ils toujours à main levée ? Quelles sont les modalités des votes à l’Assemblée ?
La main levée : la norme d’après le règlement
Dans les deux assemblées parlementaires françaises, les procédés de vote sont régis, respectivement, par les règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat. Pour les députés, l’article 64 précise bien que « l’Assemblée vote normalement à main levée en toutes matières, sauf pour les nominations personnelles ».
« Sauf indications contraires, le vote a lieu à main levée, écrit Jean-Pierre Camby, professeur spécialisé en droit parlementaire, dans son livre Le travail parlementaire sous la Ve République (2024, éd. LGDJ). Les avantages sont clairs : présence physique du votant et rapidité. Les inconvénients le sont tout autant : le procédé n’identifie pas les votants et toute inattention passagère est fatale. »
La nécessité de rapidité est, en effet, de plus en plus cruciale à l’Assemblée nationale. Sur le dernier quinquennat, le nombre d’heures en séance publique avait fortement augmenté (6 070 heures sur la période de 2017-2022 contre 5 293 heures entre 2012 et 2017), tandis que le nombre d’amendements déposés avait, lui, explosé (200 000 sous le premier quinquennat d’Emmanuel Macron contre 112 700 sous celui de François Hollande), rapportait l’AFP en 2022.
La règle est claire : on vote à main levée. Sauf que, parfois, il n’est pas évident de compter, d’un coup d’œil rapide, qui a levé la main. C’est pourquoi il existe des garde-fous. Les alinéas suivants de l’article 64 expliquent la suite du procédé : « en cas de doute sur le résultat du vote à main levée, il est procédé au vote par assis et levé ; si le doute persiste, le vote par scrutin public ordinaire est de droit ».
Pour autant, tout le monde n’a pas la main sur les modalités de vote. Le ou la présidente de séance peut décider de vérifier les votes par « assis et levé » ainsi que par le scrutin public ordinaire, qui est le vote électronique. Ce dernier peut être demandé par un président de groupe ou son délégué, le gouvernement, la commission ou décidé en conférence des présidents.
En commission, c’est encore différent. Si un dixième des députés de la commission font une demande, le vote par scrutin est de droit (article 44 alinéa 2). C’est ce qui s’est passé en mars 2024, en Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Le président de la commission, Jean-Marc Zulesi, avait été pointé du doigt pour avoir prétendument « triché ».
D’après le premier décompte du député Renaissance, l’amendement avait d’abord été rejeté. Puis, après avoir refusé une première fois de recompter les voix, le président de séance avait procédé à un vote par scrutin sur demande de plus de 10 % des députés (en commission, chaque député doit dire s’il est pour ou contre à l’annonce de son nom). Résultat : amendement adopté avec une différence de seulement deux voix.
Ces votes en commission ont pris plus d’importance depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, explique Jean-Pierre Camby. « Comme le texte débattu en séance publique est celui issu des débats de la commission qui en a été saisie et non plus celui du gouvernement, le vote y revêt un enjeu plus important qu’auparavant. C’est pourquoi, on a pu voir plus d’incidents de la sorte. »
La vidéo pour prouver le vote à main levée ?
Dans les chambres parlementaires, on ne peut pas vraiment faire appel à la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage). Les séances des commissions parlementaires et celles dans l’hémicycle sont enregistrées et retransmises sur La Chaîne Parlementaire et Public Sénat. Sauf que, lors des votes à main levée, il est très rare de voir l’hémicycle, et donc de déterminer qui a levé la main ou pas.
Contactée, l’Assemblée nationale, qui détermine l’angle de la caméra, explique qu’il n’y a pas de volonté délibérée de ne pas montrer les députés qui votent à main levée. En revanche, la règle veut plus spécifiquement que ce soit l’orateur ou l’oratrice qui soit présentée à la caméra. Aussi, lorsque le ou la présidente de séance prend la parole pour appeler au vote, c’est plus généralement la caméra braquée sur le perchoir qui s’active.
À noter également qu’il n’y a pas de caméra grand angle qui permettrait de montrer tous les députés d’un seul plan. Les caméras ne prennent chacune qu’une partie de l’hémicycle.
Face à ces reproches fréquents, on peut légitimement remettre en question les procédures de votes à l’Assemblée nationale et au Sénat. Sont-elles obsolètes ? Pour Sophie de Cacqueray, maître de conférences en droit public à l’université d’Aix-Marseille, la question n’est pas tant du côté des procédures que des logiques derrière les accusations. « Il faut distinguer le doute réel sur les votes et le doute instrumental. Dire que le ‘vote a été volé’ relève parfois d’une utilisation politicienne. Mais la plupart du temps, il n’y a pas vraiment de doute sur le résultat. »
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