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Non, la mauvaise météo n’est pas due à la chute d’un soleil artificiel dans la mer

Création : 12 juillet 2024

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relectrice : Lili Pillot, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille

Source : Vidéo TikTok, le 20 juin 2024

Une vidéo très populaire sur les réseaux sociaux mélange pêle-mêle des observations de comètes et de phénomènes météorologiques connus avec des projets de fusion nucléaire pour justifier les “problèmes de météo”. Cas d’école d’un raisonnement illogique.

Je viens de faire une découverte terrifiante.” L’internaute qui se filme dans les rues parisiennes a l’air profondément inquiet. Dans une courte vidéo, il explique que, selon lui, la météo peu clémente de ces derniers mois serait due à la chute d’un soleil artificiel dans la mer. 

On ne sait pas vous, mais du côté des Surligneurs, il a fallu qu’on s’assoit trois minutes afin d’être certains d’avoir bien compris. Pourtant, nous ne sommes pas les seuls à avoir regardé cette démonstration. Sa vidéo Tiktok a été vue plus d’un million de fois, et reprise par des comptes sur X et Instagram, qui enregistrent des milliers de vues. Certains pour s’en moquer, d’autres de façon beaucoup plus sérieuse. 

Pour appuyer son raisonnement, l’internaute s’appuie sur différentes observations sur les réseaux sociaux et sur des informations qu’il semble avoir glané, çà et là. Malgré ce travail – plus que succinct – de recoupement des informations, ce que l’homme avance est tout à fait faux, et complètement impossible scientifiquement. Pour l’affirmer, les Surligneurs se sont tournés vers des spécialistes de ces sujets, ce qui n’est sans doute pas le cas de l’internaute.

Une comète de 20 centimètres

Le cœur du raisonnement de cet homme repose sur l’idée qu’un soleil artificiel est tombé dans l’eau. Selon lui, cette thèse serait portée par au moins deux “preuves” : la “boule de feu que tout le monde a pu voir en Espagne et au Portugal qui est tombée du ciel”, et “toutes les vidéos en ce moment où les gens voient deux soleils”. 

Pour la première idée, l’internaute fait vraisemblablement référence à un phénomène qui a eu lieu dans la nuit du 18 au 19 mai 2024. Peu après minuit, une “boule de lumière” a illuminé le ciel d’Espagne et du Portugal, et de très nombreuses vidéos ont été postées sur les réseaux sociaux.

Cet éclair de lumière a été produit par un météore, c’est-à-dire une petite roche venue de l’espace. S’il était “inhabituellement grand” explique El Pais, on est très, très loin de la taille d’un soleil… Le météore ne mesurerait que 20 centimètres et aurait parcouru 500 km dans l’atmosphère, à la vitesse folle de 161 000 km/h, avant d’être complètement désintégré. Elle n’aurait même pas touché la terre ferme, selon l’astrophysicien José Maria Madiedo. Une belle comète, donc, mais absolument pas un “soleil artificiel”. 

Un phénomène météorologique de parhélie

Deuxième phénomène suspicieux selon l’internaute : “toutes les vidéos” d’observation de “deux soleils”. Selon lui, cela prouverait qu’il y aurait notre “vrai” Soleil, et un deuxième, le fameux “soleil artificiel”. En plongeant dans les tréfonds des réseaux sociaux, majoritairement de TikTok, Les Surligneurs ont retrouvé quelques vidéos que nous avons fait analyser par des spécialistes. 

Pour Sébastien Laflorencie, enseignant en observation et météorologie satellitaire à l’École Nationale de la Météorologie, il s’agit probablement d’observation de parhélies (aussi appelés sundogs “les chiens de garde du soleil” en anglais). “Ce phénomène de halo [auréole lumineuse, ndlr], dont il existe de multiples formes, est le résultat d’une décomposition de la lumière (par réfraction) du soleil au travers des cristaux de glace en suspension dans le nuage”, explique-t-il.

Dans d’autres vidéos, il s’agit plus vraisemblablement de reflets dans des vitres comme ici, ou de réflexion sur les bords en verre de la caméra du téléphone, comme

Un projet international de fusion nucléaire

Il faut se le dire, ces “preuves” ne tiennent pas debout. Mais pourquoi diable cet internaute est si persuadé qu’il existe un “soleil artificiel” ? Dans une vidéo suivante, l’homme va un peu plus loin. Pour lui, le soleil artificiel est déjà une réalité : il cite le projet “ITER” qui serait mené par l’Europe. Tout ceci serait le résultat d’une “course à l’énergie”. 

L’internaute fait appel à la rhétorique classique du complotisme, estimant que “s’il n’y a pas de preuves, c’est normal, car tout ceci nous est caché”. Mais, pour Les Surligneurs, cet argument est trop léger. Nous nous sommes retroussés les manches pour comprendre ce que renferme cette histoire de “soleil artificiel”.

Là où l’homme a raison, c’est qu’il existe bien des projets de “soleils artificiels”. Incroyable, non ? Pour autant, ce nom est trompeur, car il ne s’agit pas de faire naître de véritables soleils sur Terre, mais de reproduire les réactions qui ont lieu au cœur des étoiles dans le but de produire de l’énergie. On parle alors de fusion nucléaire (contrairement aux centrales nucléaires classiques qui fonctionnent sur le modèle de la fission nucléaire). 

Alors oui, on pourrait dire qu’il y a réellement une course à l’énergie : face au dérèglement climatique, les projets de fusion nucléaire sont présentés comme l’énergie verte de demain. Contrairement aux réacteurs de fission nucléaire, il y aurait bien moins de déchets radioactifs à vie longue. Les États redoublent d’efforts pour être les premiers à maîtriser et à commercialiser cette technique.

Pour autant, personne n’a encore réussi le défi technologique qu’est de faire fonctionner une usine grâce à la fusion nucléaire. Il existe bien un projet ITER (issu d’un partenariat entre les pays de l’Union européenne, la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Japon, la Corée, et la Russie) mais l’énorme tokamak test – le récipient en forme de donut dans lequel est réalisée l’expérience de la fusion nucléaire – situé en France n’est toujours pas fini.

L’idée est que, dans ce tokamak, les particules soient chauffées à 150 millions de degrés °C pour former un plasma et réaliser la fusion nucléaire qui dégagera de l’énergie.
Crédit : ITER

 

Plusieurs tests ont déjà eu lieu, et les Chinois détiennent le record : en décembre dernier, ils ont maintenu un plasma à 70 millions de degrés °C pendant 17 minutes et 36 secondes. Mais aucune équipe, ni aucune usine, n’a réussi à atteindre la température visée et donc à faire fonctionner les réacteurs pour produire plus d’énergie que dépensée.

Rassurez-vous, ces projets très coûteux et environnementalement controversés ne peuvent, en aucun cas, “laisser s’échapper” une étoile dans l’atmosphère comme l’imagine notre internaute. Tout simplement, car le “soleil artificiel” porte mal son nom : il n’y a pas “d’étoile”, simplement les mêmes réactions chimiques que ce qu’on y trouve.

Reste les “problèmes de météo” dont parlait notre internaute inquiet. Qu’il évoque des pluies intenses, du réchauffement des températures ou des brusques changements de temps, nous lui suggérons de se renseigner sur la loi physique qu’est la formule de Clausius-Clapeyron, et de continuer à lire Les Surligneurs

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