Le puzzle normatif de la réforme des institutions

Création : 31 mai 2018
Dernière modification : 15 juin 2022

Autrice : Sophie Hutier, maître de conférences en droit, Aix-Marseille Université

Dès son élection acquise, le président E. Macron annonça aux parlementaires réunis en Congrès vouloir changer les institutions pour les rendre plus efficaces (Discours 3 juillet 2017). Ce souhait s’est concrétisé par une réforme des institutions intitulée « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » se décomposant, selon les termes du Premier ministre (Discours d’Édouard Philippe le 4 avril 2018), en trois volets qui correspondent à trois textes distincts déposés à l’Assemblée nationale en mai dernier : un projet de loi constitutionnelle (modifiant le texte même de la Constitution), un projet de loi organique, et un projet de loi ordinaire. Pourquoi l’exécutif souhaite-t-il faire adopter trois textes, et pas un seul ?

Les différences de fond entre Constitution, loi organique et loi ordinaire

L’exécutif a été contraint de fractionner sa réforme en plusieurs textes parce qu’à chaque texte correspond son objet, c’est-à-dire ce qu’il traite. La constitution en tant que norme suprême établit les règles principales du fonctionnement de l’État, c’est-à-dire les règles relatives à la distribution du pouvoir entre les institutions de l’État ainsi que les droits et libertés fondamentaux des citoyens. La Constitution de la Ve République n’y fait pas exception, et en plus elle prévoit l’interdiction de modifier « la forme républicaine du Gouvernement » (Article 89 alinéa 4).

La loi organique entretient un lien spécial avec la Constitution puisqu’elle en est le prolongement, l’application concrète. Par exemple, l’article 24 de la Constitution détermine le nombre maximal de députés à 577 et laisse la loi organique fixer le nombre exact de députés (qui peut donc être inférieur). Par conséquent, la Constitution se repose sur le « législateur organique » pour adopter ses mesures d’application. Le Conseil constitutionnel précise ainsi qu’« une loi organique ne peut intervenir que dans les domaines et pour les objets limitativement énumérés par la Constitution » (Décision du 7 janvier 1988).

S’agissant de la loi ordinaire, son objet est aussi défini par la Constitution qui dresse à l’article 34 une liste des matières au sein desquelles le législateur peut intervenir. Parmi celles-ci figurent notamment « le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales». Dès lors, qui fait quoi ? La loi  ordinaire peut déterminer le mode d’élection des parlementaires, et notamment introduire une dose de proportionnelle, elle ne peut déterminer le nombre des parlementaires. Ce nombre relève du législateur organique dans la limite fixée par la Constitution, qui est de 577 députés et de 348 sénateurs.

Les différences de procédure d’adoption entre Constitution, loi organique et loi ordinaire

Ces trois normes se caractérisent également par des procédures d’adoption distinctes qui s’expliquent par l’objet – plus ou moins essentiel – de chacune d’elles. La loi ordinaire suit une procédure d’adoption plus allégée comparativement aux deux autres. Plus précisément, une proposition de loi ou un projet de loi doit être examiné « successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l’adoption d’un texte identique » (article 45 de la Constitution). Mais pour faciliter et/ou accélérer la procédure, la Constitution offre une palette d’outils : par exemple, en cas de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale cette dernière statue définitivement. La loi organique suit un processus similaire, mais plus rigide. Puisqu’elle traite de thèmes plus importants, les rédacteurs de la Constitution ont voulu qu’elle soit « marquée par un long temps de réflexion et des pouvoirs accrus du Sénat » (Discours de Michel Debré devant le Conseil d’Etat du 27 août 1958). Ainsi, la Constitution impose un délai de 15 jours entre le dépôt du texte et sa délibération par l’ensemble des parlementaires. Ou encore, en cas de désaccord entre les deux assemblées, l’Assemblée nationale peut toujours statuer définitivement, mais seulement à une majorité absolue de ses membres soit un minimum de 289 voix. Et puisqu’elle applique directement la Constitution, la loi organique doit obligatoirement être contrôlée par le Conseil constitutionnel à l’issue de son adoption par le Parlement. Ce qui n’est pas le cas de la loi ordinaire.

Enfin, la procédure de révision de la Constitution est bien plus complexe, car c’est un texte qui doit rester stable, et protégé. La procédure commence le dépôt (par le gouvernement au nom du président de la République) d’un projet de loi constitutionnelle sur le bureau d’une des deux assemblées. Ensuite l’article 89 de la Constitution impose que le texte soit examiné et voté dans des termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat. À l’issue de ce vote, le président de la République décide de soumettre la révision aux électeurs par la voie du référendum ou à l’ensemble des parlementaires réunis en Congrès à Versailles.

D’où une réforme en trois textes

La réforme des institutions décidée par le président E. Macron ambitionne de rénover la vie démocratique française. Celle-ci se décompose en de nombreuses mesures ce qui a contraint l’exécutif à morceler la réforme en trois lois. Le volet constitutionnel comprend les transformations sur les institutions avec notamment la suppression de la Cour de justice de la République, la transformation du Conseil économique social et environnemental, une modification des droits du Parlement en passant par la disparition des anciens présidents de la République du Conseil constitutionnel. Le volet organique, quant à lui, porte sur le statut des élus en proposant la réduction de 30 % du nombre des parlementaires ou encore l’interdiction pour ces derniers de cumuler plus de trois mandats dans le temps, à la différence du volet législatif qui traite de modalités électorales en introduisant une dose de proportionnelle de 15% de l’effectif total des membres de l’Assemblée. Or, les différences de procédure de ces lois, ajoutées au fait que le Sénat comporte une majorité de droite, fait planer des doutes sur la possibilité d’une modification de la Constitution (Discours du président Larcher du 9 mai 2018). Si les procédures de la loi ordinaire et de la loi organique offrent la possibilité au Gouvernement de donner le dernier mot à l’Assemblée nationale (avec majorité LREM), le volet constitutionnel ne résisterait pas à un veto sénatorial.

Il y a deux ans déjà, le Sénat avait contraint le président Hollande à renoncer à inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les auteurs d’attentats terroristes. En définitive, à trop morceler la réforme, le puzzle institutionnel pourrait se transformer en un casse-tête insoluble pour l’exécutif ou à une réforme institutionnelle sans modification de la Constitution !

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