Législatives 2024 : Sophie Binet (CGT) : “Je trouve légitime que les fonctionnaires refusent d’appliquer toutes les directives contradictoires aux principes républicains” en cas de victoire du RN

Création : 3 juillet 2024
Dernière modification : 4 juillet 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Source : France Info, 21 juin 2024

Pour pouvoir désobéir à un ordre de sa hiérarchie, un fonctionnaire doit prouver que cet ordre est clairement illégal et peut compromettre un intérêt public. Le juge examine chaque situation au cas par cas.

Peu avant le premier tour des élections législatives, à l’issue duquel le Rassemblement national a fini en tête, Sophie Binet, secrétaire générale de a CGT, a déclaré qu’il serait légitime que les fonctionnaires refusent de suivre les ordres de l’administration en cas de victoire du RN. Le juge tranchera cette question au cas par cas.

Les fonctionnaires doivent observer un devoir d’obéissance à leur hiérarchie. L’article L121-10 du code général de la fonction publique (CGFP) prévoit que “L’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique“. S’il se soustrait à ce devoir, il encourt des sanctions disciplinaires. Voilà pour le principe, qui est toutefois assorti d’exceptions.

Le droit de désobéir

Une des exceptions, qui nous intéresse dans le cas posé par Sophie Binet et qui risque de se poser avec plus d’acuité depuis les résultats du premier tour des élections législatives, est posée par ce même article L121-10 du CGFP le fonctionnaire se conforme aux instructions, “sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public“. Un fonctionnaire peut donc désobéir à un ordre de sa hiérarchie si deux conditions sont réunies. L’ordre doit être illégal (par exemple l’ordre d’emprisonner quelqu’un sans aucune poursuite) et compromettre gravement un intérêt public (par exemple provoquer la mort de personnes). Le juge administratif estime que ces conditions doivent être cumulées, une seule ne suffit pas (Conseil d’État, 10 février 1965 et 2 novembre 1966)

Du droit au devoir de désobéissance

Le juge va plus loin que la loi en affirmant que l’agent “a le devoir de faire part de ses objections” face à certains ordres (Conseil d’État, 5 décembre 2011). L’agent n’a donc plus le choix : il doit se soustraire à un ordre si les deux conditions vues plus haut sont réunies. C’est ainsi qu’a pu être condamné Maurice Papon en 1997 pour avoir obéi aux ordres de déporter des juifs dans la région bordelaise vers les camps de concentration pendant la guerre.

Un autre exemple notable et plus récent est l’affaire des paillotes corses incendiées. Plusieurs gendarmes ont été condamnés en 2004 pour avoir incendié clandestinement une paillote (une petite cabane en bois servant de restaurant sur une plage) en Corse sur ordre du préfet. L’ordre du préfet ne suffisait pas à exonérer les gendarmes qui ont mis le feu à ces paillottes et ont ensuite enseveli leurs outils dans le sable.

Un autre texte vient brouiller le principe

L’article L122-4 du code pénal prévoit que “n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal“. Il faut lire ce texte a contrario : tout agent qui respecte un ordre “manifestement illégal” est pénalement responsable. Par exemple, si un policier, sur ordre de son supérieur, tire sur une personne qui ne menace personne, l’ordre est manifestement illégal (voir une décision de la Cour de Cassation d’octobre 2021).

Dans tous les cas, un gouvernement ne dirige pas la France avec des ordres

Imaginons une caricature : un préfet nommé par le gouvernement RN donne l’ordre à la police de sortir tous les étrangers des logements sociaux et de la laisser à la rue. C’est bien illégal manifestement et cela crée un grave trouble à l’ordre public.

Mais en principe, ces textes et cette jurisprudence du Conseil d’État n’auront pas à s’appliquer : un gouvernement RN – puisque c’est lui qui est visé par Sophie Binet – ne donne pas d’ordres en principe : il rédige des propositions de loi que le Parlement vote, et émet des décrets. Et les fonctionnaires seront conduits à appliquer ces lois et décrets. À supposer même que ces textes soient contraires à la Constitution ou aux conventions internationales ratifiées par la France, il n’y aura donc pas d’illégalité “manifeste” : manifeste, en droit, signifie évident, qui saute aux yeux, qui n’a pas à être démontré. Lorsqu’un fonctionnaire se voit intimer l’ordre d’appliquer une loi ou un décret, il est très difficile de concevoir qu’il se trouve face à un cas d’illégalité, encore moins manifeste.

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