Immigration : que proposent le parti présidentiel et le nouveau front populaire ?

Crédit photo : Ank Kumar
Création : 5 juillet 2024

Autrice : Lili Pillot, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste 

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École publique de journalisme de Tours

Face au discours offensif de l’extrême droite, la majorité présidentielle et la gauche se positionnent sur le thème de l’immigration pour le second tour des législatives, le 7 juillet. Le parti de la droite et du centre souhaite pérenniser le pacte asile et migration européen. Pour l’alliance de gauche, les mesures visent plutôt à revenir sur le travail de la majorité présidentielle. Deuxième volet de notre décryptage. 

Pour atténuer la perspective d’une défaite aux législatives le 7 juillet, et tenter de faire barrage au Rassemblement national, la stratégie de la majorité présidentielle est toute trouvée : tenter de gagner sur le terrain favori de l’extrême droite : l’immigration.

Afin de répondre à l’une des principales préoccupations des Français, selon plusieurs sondages, l’alliance de droite et de centre-droit, guidée par le parti d’Emmanuel Macron, propose notamment la création de centres de rétention aux frontières extérieures de l’UE.

À gauche, le Nouveau Front populaire (NFP) propose un programme beaucoup plus ouvert. Au menu : suppression des dernières lois sur l’immigration, création de voies légales et sécurisées d’immigration ou instaurer un statut de “déplacé climatique”.

Après notre premier volet sur les promesses et les non-dits du Rassemblement national, c’est au tour du parti présidentiel et de l’alliance de gauche de passer sous le microscope des Surligneurs.

Et si la vision du NFP et de la majorité présidentielle s’oppose sur le sujet, les deux alliances se retrouvent sur un point : pas besoin de modifier la Constitution pour aboutir à leurs mesures, contrairement à certaines propositions du parti de Marine Le Pen. En cas de majorité à l’Assemblée nationale, leurs mesures pourraient donc être appliquées immédiatement.

La fausse promesse du camp présidentiel

Commençons par la majorité présidentielle. Dans son programme, la liste Ensemble pour la République souhaite ouvrir “des centres de rétention aux frontières extérieures de l’Europe pour examiner la situation des migrants avant qu’ils n’arrivent sur notre sol”.

Tout d’abord, cette proposition n’en est pas vraiment une. En effet, cette mesure n’est en fait qu’une application de la “procédure à la frontière” créée par le “Pacte sur la migration et l’asile” adopté en avril 2024 par l’Union européenne. Autrement dit, cette mesure devra être appliquée quel que soit le gouvernement, au risque de sanctions de la part de l’UE.

Dans le détail, aux articles 46 et 47 du “règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union”, il est prévu que “la capacité adéquate au niveau de l’Union est […] de 30 000.”

En clair, après une première étape de filtrage (introduite, elle aussi, par le règlement), certains demandeurs d’asile resteraient maintenus dans des zones d’attente nouvellement créées aux frontières extérieures de l’UE, avant d’obtenir, oui ou non, une mesure de protection internationale.

Selon les calculs de la Commission européenne (article 47), la “capacité adéquate” de ces centres – c’est-à-dire le nombre maximal de demandes examinables à la frontière pour mener à bien les procédures frontalières – serait de 30 000 places au niveau de l’UE (article 46) et à terme jusqu’à 120.000 migrants par an.

Ces centres pourraient prendre la forme de zones d’attente dans les aéroports ou les ports de capitales européennes, comme c’est déjà le cas en France à Roissy ou Orly. Elles ne sont pas à confondre avec les centres de rétention administrative français, qui concernent les étrangers faisant l’objet de mesures d’éloignement du territoire. 

Des réfugiés font la queue devant une tente au centre d'accueil et d'identification de Mytilène, sur l'île de Lesbos, le 5 décembre 2021. Photo : Andreas SOLARO / AFP

Des réfugiés font la queue devant une tente au centre d’accueil et d’identification de Mytilène, sur l’île de Lesbos, le 5 décembre 2021. Photo : Andreas SOLARO / AFP

 

De fait, ce règlement européen, qui “formalise la question des Hotspot, pourrait déboucher sur des sortes de prison”, explique Tania Racho. En effet, il n’y aucune mention du mot “centre” ou “zone d’attente” dans le règlement européen, ce qui pourrait déboucher sur des applications bien différentes en fonction des pays membres. C’est “parce que l’UE laisse chaque État libre de choisir comment cette procédure à la frontière peut se concrétiser.”

Une explication confirmée par Fabienne Keller, députée européenne Renaissance et rapporteure du texte. “Le règlement donne la flexibilité aux États membres pour l’appliquer comme ils le souhaitent.”

Cette flexibilité d’exécution n’est-elle pas dangereuse dans des États à la politique migratoire très stricte, comme la Hongrie ? L’élue européenne garantit que non. Les conditions d’accueil, elles, sont assurées par une directive (articles 10 et 13). C’était la contrepartie au fait que les familles soient concernées par cette mesure. S’il y a une dégradation de ces conditions, il est de la responsabilité de l’Agence pour l’asile d’en informer la Commission (article 53 du règlement).

En France, selon une source au ministère de l’Intérieur contacté par Les Surligneurs : “Les zones d’attente existantes feraient très bien l’affaire”. En d’autres termes, l’idée de créer de nouvelles zones d’attente pour la France, comme le propose le parti d’Emmanuel Macron, pourrait se révéler quelque peu obsolète.

À gauche, révision des réformes macronistes

De son côté, le Nouveau Front populaire (NFP), propose un programme beaucoup plus ouvert sur l’immigration. Le sujet est d’ailleurs répertorié dans une section “garantir un accueil digne”.

Au menu notamment, la suppression des lois asile et immigration adoptées sous les mandats de l’actuel président de la République (2018 et 2024). Des réformes qui pourraient tout à fait avoir lieu sur le plan juridique.

Mais sur un plan strictement organisationnel, une telle abrogation n’aurait-elle pas des conséquences sur les organismes publics chargés de mettre en place une loi votée quelques mois plus tôt ? 

Des manifestants défilent à Bordeaux le 21 janvier 2024 pour demander le retrait de la loi immigration. Photo : Philippe Lopez / AFP

Des manifestants défilent à Bordeaux le 21 janvier 2024 pour demander le retrait de la loi immigration. Photo : Philippe Lopez / AFP

 

Pas vraiment, selon Tania Racho : “La plupart des décrets de loi Darmanin de 2024 n’ont pas été publiés”, explique la spécialiste : “Sur l’immigration, c’est un rythme d’une loi tous les deux ans. Donc les organismes savent s’adapter.”

Reste qu’un obstacle politique majeur se dresse pour revenir sur les lois votées en 2018 et 2024 : l’Assemblée nationale. Que ce soit pour une abrogation ou pour une nouvelle proposition de loi qui reviendrait sur ceux mis en place durant les années Macron, l’alliance de gauche devra obtenir une majorité dans l’hémicycle.

Associer flux migratoires et dérèglement climatique

Souvent critiqué sur le plan financier, le programme du NFP rebute les électeurs de droite et d’extrême droite qui considèrent qu’en plus de l’insécurité, l’immigration aggrave la situation économique de l’État.

Pourtant, il a été prouvé à de nombreuses reprises que l’immigration contribue à faire progresser l’économie française. Le site viepublique.fr, rattaché aux services du Premier ministre, indique, chiffre et document à l’appui, qu’ “au total, l’impact de l’immigration sur l’économie française et le niveau de vie moyen en France est positif”.

Des éléments confirmés par Francesca Sirna : “En quoi un immigré qui viendrait travailler en France appauvrit-il le pays ? Voir l’immigration uniquement comme un sujet d’accueil de la misère du monde, c’est une vision restreinte, comme si un migrant était forcément misérable. Or ce sont des gens qui ont des compétences.”

L’alliance de gauche propose également de créer des voies légales et sécurisées d’immigration. Est-ce que ce n’était pas déjà le cas ? “Oui et non : il existe déjà des outils pour des voies légales et sécurisées, que sont les visas, explique Tania Racho. L’accent devrait plutôt être mis sur une révision et un assouplissement de la délivrance de ces documents. Aujourd’hui, globalement, très peu de visas courts et longs séjours sont délivrés, c’est très compliqué à obtenir.”

Enfin, le NFP prévoit de créer un statut de “déplacé climatique”, en accord avec les prévisions réalisées par différentes institutions sur le phénomène de migration climatique. Par exemple, la Banque Mondiale considère que d’ici à 2050, le dérèglement climatique pourrait contraindre 216 millions de personnes à migrer à l’intérieur de leur pays.

Les flux extra-territoriaux pourraient être encore plus importants, même si des estimations restent très compliquées. Reste que le NFP est la seule force politique à lier les questions d’immigration et d’environnement, cette dernière thématique ayant été l’une des grandes absentes de ces législatives. 

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