Européennes 2024 : la désinformation s’est attaquée à nos fractures sociales

Création : 19 juin 2024
Dernière modification : 24 juin 2024

Autrice : Julia Terradot, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, étudiante à l’École publique de journalisme de Tours

Pendant la campagne européenne, les acteurs de la désinformation ont concentré leurs efforts sur des sujets nationaux en jouant sur les divisions sociales et les thématiques à fort potentiel de viralité. Une stratégie qui témoigne de leur adaptation aux nouvelles dynamiques informationnelles.

La désinformation présente un nouveau visage. Après avoir ciblé les institutions, elle s’attaque désormais à la cohésion de nos sociétés. En s’appuyant sur la base de données Elections24Check, qui regroupe une quarantaine d’organisations et médias européens, Les Surligneurs ont analysé les sujets qui ont mobilisé les fact-checkeurs ces derniers mois.

Les conclusions sont sans appel. Les attaques qui visent le processus électoral et les institutions se font plus rares. Notre classement montre que les conflits armés et le climat sont particulièrement visés par la désinformation, loin devant l’immigration et l’institution européenne.

Plus surprenants, les sujets locaux ont fait l’objet d’innombrables factcheck à travers l’Europe. Preuve d’une tendance qui montre que les acteurs de la désinformation ciblent les sujets nationaux viraux et qui divisent les sociétés européennes.

L’Union européenne, bouc émissaire autoritaire

Certes, le scrutin a bien été visé par les infox. Nos confrères d’AFP Allemagne ont pu le constater : non, une croix qui dépasse de la case du bulletin de vote ne le rend pas invalide, comme ce fut raconté sur Tiktok, Facebook, Reddit et X. Ceux qui arrivent par la poste allemande percés ne sont pas non plus inutilisables : ils permettent simplement aux personnes atteintes de cécité de voter plus facilement.

Une personne tient le drapeau de l’UE au Parlement européen de Strasbourg le soir des élections. (Photo : Sebastien Bozon/ AFP)

 

Outre le processus électoral, l’UE est régulièrement accusée de s’immiscer brutalement dans les politiques intérieures de ses pays membres, au point pour certains d’y voir une dictature supranationale.

Si un débat sur le rôle de l’Union au sein des pays membres est sain et nécessaire, certains n’hésitent pas à inonder les réseaux de désinformation pour décrédibiliser les pouvoirs publics. Le média portugais de lutte contre la désinformation, Polígrafo, confirme par exemple que l’UE n’a pas empêché l’Irlande de mettre en place des élections suite à la démission du Premier ministre Leo Varadkar, en avril dernier.

De la même manière, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a bien été élue par le Conseil européen, contrairement à ce qu’a pu affirmer le député français Nicolas Dupont-Aignant, dont l’affirmation a été largement reprise sur les réseaux hostiles à l’Union européenne.

Surfer sur la guerre 

Pour autant, ces attaques frontales n’ont plus autant la cote. Désormais, la désinformation se veut plus insidieuse, plus indirecte… et plus nationale ! Car les acteurs de la désinformation adaptent leurs discours aux enjeux locaux.

En France, par exemple, en pleine crise du monde agricole européen au début de l’année 2024, l’AFP s’est penchée sur une vidéo censée montrer des agriculteurs en train d’asperger l’ambassade d’Ukraine avec du fumier.

Une désinformation qui compte double. En surfant sur un événement avec un fort retentissement médiatique, les auteurs de cette infox font un lien avec le conflit en Ukraine pour tenter d’influencer l’opinion publique française… et européenne. La vidéo a en effet ensuite été partagée “dans des publications en russe sur Telegram, en anglais sur X et en allemand sur Facebook”, écrivaient nos confrères dans leur article.

La guerre entre la Russie et l’Ukraine est d’ailleurs en tête des sujets factcheckés par les partenaires d’Election24check. Et de la même manière qu’avec les agriculteurs français, la désinformation surfe sur cet événement pour déstabiliser les pays membres de l’Union européenne.

C’est le cas de plusieurs publications qui mettent en scène de prétendues collaborations armées entre pays membres de l’UE et l’Ukraine. Cette question du soutien militaire à l’Ukraine continue de diviser les opinions publiques aussi bien dans les pays de l’Est comme ceux de l’Ouest de l’Europe.

Un sujet qui est donc particulièrement choyé par les acteurs de la désinformation. Le site belge dpa factchecking a débunké l’une d’entre elles, affirmant que des policiers et des soldats allemands se trouvaient en territoire ukrainien. Ce qui est faux.

La désinformation profite aussi du poids émotionnel du conflit israélo-palestinien. Les réseaux sociaux sont inondés de fausses informations et notamment de prétendues attaques qui n’en sont pas. C’est le cas de cette vidéo dans laquelle des militants sont censés charger les voitures officielles d’un représentant israélien à l’Eurovision à Malmö, en Suède. In fine, Maldita recontextualise la vidéo : il s’agissait d’images de la coupe Davis en 2009.

Autre exemple de fausses décisions de politiques intérieures : la police allemande qui autoriserait les manifestations de l’État islamique, mais pas les protestations palestiniennes. Le média en ligne albanais faktoje s’est chargé de la “débunker”.

Instrumentaliser les crises

Si les conflits sont particulièrement propices à la propagation de fausses informations, c’est aussi le cas des crises européennes. Pendant les manifestations des agriculteurs — que nous avons évoquées un peu plus haut —, l’Union européenne a été désignée comme coupable de tous les maux.

Nos confrères bulgares de Factcheck ont eu affaire à de nombreuses publications assurant que l’Union européenne avait classifié l’agriculture comme “écocide”. C’est évidemment faux.

Une manifestation d’agriculteurs, près de Toulouse, en 2023. (Photo : Lionel Bonaventure/ AFP)

 

D’après l’European Digital Media Observatory, la désinformation liée aux protestations des agriculteurs s’est beaucoup concentrée sur la politique agricole de l’Union européenne, boostant le sentiment anti-européen. Selon eux, cette saveur anti-UE pourrait constituer une stratégie de propagande russe visant à affaiblir les institutions européennes.

Le climat, une passerelle pour attaquer l’UE

Autre sujet qui cristallise les tensions — malgré un consensus scientifique international — la question climatique. Les désinformations sur le réchauffement climatique abondent et peuvent être utilisées pour décrédibiliser l’Union européenne, comme l’a rapporté le consortium Climate Facts Europe.

Par exemple, l’UE n’a pas imposé une limite sur le nombre de passagers en voiture ni sur les kilométrages annuels en Roumanie (Sapo). La Commission européenne ne contrôlera pas l’accès à l’eau et aux douches dans les pays membres (Maldita), n’a pas non plus banni les vieilles voitures (Faktograf), et ne déterminera pas quels fruits et légumes seront autorisés dans les potagers privés (Polígrafo et Correctiv).

Ces désinformations en lien avec l’environnement feraient aussi le jeu des partis politiques d’extrême droite européens, à en croire le rapport de Climate Facts Europe. Elles seraient notamment utilisées contre le Pacte vert européen, comme l’a fait le président du parti polonais de Droit et justice Jarosław Kaczyński -qui en a profité pour nier la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique (Demagog).

S’il est évident que la base de données d’Election24Check ne peut mesurer l’ensemble de la désinformation à l’échelle de l’Europe, elle indique une tendance claire :  les sujets ultra-clivants que sont les conflits russo-ukrainiens ou le climat sont un nid à fausses informations, parfois utilisés par des puissances étrangères pour déstabiliser l’UE. Plus qu’avant, il semblerait que les discours de désinformation s’appuient sur des crises intérieures à des politiques de l’Union européenne dans le but de décrédibiliser l’institution.

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