Désinformation : Emmanuel Macron et l’Ukraine, catalyseurs d’infox lors des élections européennes

Crédits photo : France Diplomatie
Création : 28 juin 2024

Auteur: Nicolas Kirilowits, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétaire de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille

 

Pays fondateur de l’Union européenne, la France a été la cible de nombreuses fausses informations dans le cadre du scrutin européen. Principal terreau du phénomène : la guerre en Ukraine, comme l’expliquent les médias européens engagés dans la vérification d’informations.

Que ce soit sur les réseaux sociaux ou via les médias traditionnels, la majorité des Français se diraient inquiets des tentatives de désinformation pour influencer le vote des électeurs. Prise de conscience citoyenne sur la désinformation ? Peut-être, mais savoir qu’il y a une possibilité d’influence n’empêche pas toujours de tomber soi-même dans le panneau. Une étude Ipsos assure que, parmi le millier d’adultes interrogés, les deux tiers adhéraient à, au moins, une fausse information.

Ce sondage ne peut résumer à lui seul la perception qu’ont les interrogés d’un sujet si complexe comme la diffusion d’informations mensongères. Il traduit toutefois les paradoxes inhérents à une telle problématique. Car tenter de diagnostiquer le niveau réel et objectif de désinformation, sa genèse et ses conséquences dans le cadre d’ élections où 360 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire 720 parlementaires, relève d’une mission impossible à l’heure du tout-Internet. A l’heure où tout s’écrit et s’efface sur tout et n’importe quoi. 

Dans un communiqué de presse conjoint en date du 5 juin, soit la veille du début du scrutin, les institutions européennes indiquaient toutefois à ce propos que “Les acteurs de la désinformation ont diffusé de fausses informations sur la façon de voter, cherché à décourager les citoyens de voter ou encore cherché à semer la division et la polarisation avant le vote en détournant des sujets de grande envergure ou controversés. Parfois, ces tentatives de tromper consistent à inonder l’espace informationnel avec une abondance d’informations fausses et trompeuses, dans le but de détourner le débat public. Souvent, des dirigeants et leaders politiques sont ciblés par des campagnes de manipulation de l’information.” Pour David Colon, enseignant et chercheur à Science-Po et auteur notamment de La Guerre de l’information,“nous venons de connaître la plus grande campagne de déstabilisation à l’encontre de l’Union européenne”.

Naturellement, ce qui vaut pour un continent vaut aussi, grâce à la magie invisible du wifi, pour un pays comme la France et ses 68 millions d’habitants. 

Le mensonge des troupes en Ukraine

De fait, la France semble avoir été un objet de désinformation très « apprécié » par les créateurs de faux contenus à en croire les nombreux articles publiés par des médias européens spécialisés dans la vérification d’informations et regroupés dans la base de données de Réseau européen des normes de vérification des faits (EFCSN)

Et un tournant paraît avoir tout particulièrement déchaîné les passions, le 26 février. Ce jour-là, après une conférence de soutien à l’Ukraine organisée à l’Elysée, le Président français, Emmanuel Macron est interrogé par une journaliste sur le sujet de l’envoi de troupes au sol pour soutenir l’Ukraine face à la Russie. “Tout est possible si c’est utile pour atteindre notre objectif [sous-entendu de ne pas laisser la Russie gagner la guerre, ndlr]. », répond notamment le chef de l’Etat. 

Il n’en faudra pas moins pour que naisse une fake news à la propagation fulgurante : la France enverrait des troupes en Ukraine. Les nombreux auteurs de publications sur les réseaux sociaux à travers toute l’Europe se sont bien gardés de reprendre la phrase qu’a prononcé Emmanuel Macron juste après. A savoir : “il n’y a pas de consensus aujourd’hui pour envoyer, de manière officielle, assumée, et endosser des troupes au sol”.

Que ce soit en Grèce (Ellinika Hoaxes), Espagne (Efe, Maldita), Lituanie (Delfi), Albanie (Faktoje) ou encore en Allemagne (Correctiv), plusieurs médias se sont ainsi chargés de contrer, de manière journalistique et sérieuse, la fausse idée selon laquelle la France envoyait des troupes en Ukraine. “Nous pouvons dire que le principal phénomène de désinformation que nous avons détecté au niveau européen en ce qui concerne la France est le récit erroné de l’implication directe des troupes des États membres de l’UE, et en particulier des troupes françaises, en Ukraine”, appuie Enzo Panizio, journaliste italien de Facta.news et responsable d’un bulletin d’information, durant la campagne, sur les fausses nouvelles pour l’observatoire européen des médias numériques (EDMO).

Une cristallisation autour d’Emmanuel Macron

De manière générale, la figure d’Emmanuel Macron ainsi que sa politique ont servi de carburant à toute une série d’infox en amont du scrutin européen. Ici, une fausse une de journal dans lequel le Président français est caricaturé en coq déplumé remarquée par Facta.news. Là, l’incroyable faux look rétro du chef d’Etat français en train de danser en boîte de nuit décelé par le média turque Teyit.

Mais ce fut surtout vrai, et bien plus sérieux, lors des contestations menées par les agriculteurs au début de l’année. L’agence de presse autrichienne, APA, a notamment publié le 9 février dernier un article sur Des images trompeuses sur les manifestations d’agriculteurs en France. Même chose en Allemagne, ou le média DPA prouvera, à la même période, que des photos de soi-disant agriculteurs français en colère étaient en fait celles d’agriculteurs belges datant de 2015. Le média serbe, Istinomer, et son confrère belge, decheckers, se chargeront quant à eux de démontrer qu’Emmanuel Macron n’a pas été contraint de fuir la colère des agriculteurs lors du Salon de l’agriculture.  

Et lorsque ce n’est pas le Président français qui est visé, c’est sa femme, Brigitte Macron qui est ciblée par la désinformation, comme le prouve ces articles de Factcheck (Géorgie) et Delfi (Lituanie) à propos d’une rumeur très persistante sur un supposé changement d’identité de genre.

Tout aussi grossière, une information affirmant que la France avait adopté une loi criminalisant les personnes qui s’opposent aux vaccins du type ARN messager a été contrecarrée par les sites Science Feedback et Fact.news à quelques semaines des élections européennes.

Pas encore débutés, les Jeux Olympiques qui capteront l’attention du monde entier à partir du 26 juillet prochain, font déjà l’objet de nombreux trucages au détriment de la France, pays hôte de l’évènement. Ça a été le cas le 8 mai dernier, soit un mois avant les élections européennes, pour l’arrivée de la flamme olympique à Marseille. Le survol de la cérémonie par la patrouille de France a été détourné pour faire croire, à tort, que le drapeau tracé dans le ciel était celui de la Russie et non celui de la France. Une fausse information déjouée par de nombreux médias en Europe dont Faktograf (Hongrie),  Teyit (Turquie), Newtral (Espagne) ou encore Facta.News (Italie).

Une désinformation pro-Kremlin

Géographiquement, s’il est difficile de définir précisément l’origine de la désinformation touchant la France, et donc indirectement l’Europe dans le contexte des élections, il ne fait guère de doute que celle-ci est liée, de près ou de loin, à la Russie. La répétition d’infox concernant la guerre en Ukraine en est l’une des preuves les plus tangibles. “En la matière, le Kremlin et ses partisans jouissent d’un savoir-faire et d’une expérience inégalables dans le monde”, affirme Rudy Reichstadt, le créateur et directeur du site Internet Conspiracy Watch. “Le Kremlin, depuis 2022, s’emploie à fragiliser le soutien à l’Ukraine dans les opinions publiques européennes et cible tout particulièrement la France et Emmanuel Macron pour leur engagement”, estime David Colon.

Consciente du phénomène, les institutions européennes ont d’ailleurs mis en place, depuis 2015, un projet dédié à cette seule problématique russe : EUvsDisinfo. Accessible via ce lien, le site créé par le Service européens pour l’action extérieur (SEAE) “s’est donné pour principal objectif de promouvoir la sensibilisation et la compréhension du public en ce qui concerne les opérations de désinformation du Kremlin, et d’aider les citoyens d’Europe et au-delà à développer une certaine résistance aux informations numériques et à la manipulation médiatique.”

Enfin, si la France ne fait pas figure d’exception en Europe, l’audience rencontrée par les Fake news y semble particulièrement élevée. Ainsi, d’après le bulletin mensuel de l’observatoire européen des médias numériques, la France est l’un des seuls pays où la diffusion des principales fausses informations est à chaque fois relevée. C’est le cas par exemple au mois de mars où des publications ont affirmé que l’un des assaillants de l’attaque terroriste dans une salle de concert de Moscou avait combattu en Ukraine. En avril, il s’agissait, parmi d’autres infox, de l’achat imaginaire par Volodymyr Zelensky d’une bâtisse historique à la famille royale britannique. Ou encore au mois de mai à propos du soi-disant soutien de la maison blanche à la cause Nazi en Ukraine.

Dès lors, une question se pose : l’accumulation de fausses informations a-t-elle eu un impact sur le score des élections européennes en France ? Sans répondre par l’affirmative, Rudy Reichstadt estime tout de même que “le score élevé de l’extrême droite est, en partie, le reflet d’années et d’années de propagandes et de complotismes qui visent à polariser les opinions publiques”. Pour David Colon, la corrélation ne fait aucun doute, “la campagne massive orchestrée par le Kremlin nourrit la psychose et les thèmes de l’extrême droite.” Et de prévenir : “Ce qui se passe en ce moment pour les élections législatives est simplement hallucinant, c’est encore un autre niveau d’ingérence.

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